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17H14 - mercredi 23 décembre 2015

La musique arabe au cœur de la culture israélienne

 
Les trois sœurs de A-WA. Crédit: Tomer Yossef.

Les trois sœurs de A-WA. Crédit: Tomer Yossef.

« Ainsi, fut-il sans états d’âmes décidé de bannir ces résidus du passé, yiddish, judéo-arabe et autres langues de l’exil, des rues israéliennes. »

 

L’été dernier, trois sœurs, et leur groupe A-WA, s’installaient au sommet des hit-parades israéliens, et enflammaient par le net tout le Moyen Orient, avec Habib Galbi, chanson traditionnelle yéménite, dont elles avaient arrangé la mélodie à leur mode mais gardé les paroles originales en arabe. Elles n’ont même pas envisagé, disent-elles, de les traduire en hébreu. Question d’authenticité. De fidélité à la source, la voix de leur grand-mère, aux souvenirs de leur enfance. Et le public a marché, il y a couru même.

Par le passé, une seule artiste, Ofra Haza, avait en Israël connu pareil succès avec des chansons en arabe. Déjà très populaire, elle avait osé et gagné ce pari audacieux dans son pays et au-delà. En 1984, son album Yemenite song lui avait acquis l’Europe, les Amériques et le Moyen Orient, faisant d’elle une star. « Ofra Haza était une exception, une pionnière », raconte Neta Elkayam, jeune artiste d’origine marocaine. Une exception qui confirmait cette règle de base : la musique arabe, ou orientale comme on la nomme pudiquement en Israël, n’avait pas de place légitime dans le paysage musical national.

Ce rejet s’inscrivait dans un contexte particulier. Celui de la naissance de l’État d’Israël, où les Juifs affluaient par vagues des quatre coins du monde. Pour former une nation, il fallait créer l’unité autour d’une identité autre que seulement juive. L’idéal étant même qu’elle se démarque le plus possible de celle du Juif historique, cet être pitoyable, humilié et soumis, qui s’en remettait à son Dieu pour toujours perdre à la fin, dépossédé, chassé, assassiné. Or cet Israélien avait besoin d’une culture propre. L’hébreu en serait le ciment. Ainsi, fut-il sans états d’âmes décidé de bannir ces résidus du passé, yiddish, judéo-arabe et autres langues de l’exil, des rues israéliennes.

Pourtant, le sort réservé aux sépharades, ou orientaux, à leurs usages et à leur langue, différa largement de celui des ashkénazes – les pères du nouvel État étant tous originaires de la Mitteleuropa. Aussi, la culture naissante se constitua naturellement sur des standards occidentaux. Dernier arrivés derniers servis, les « Juifs arabes » n’eurent qu’à s’adapter.

 

 

« Leurs enfants rejetèrent cette langue, la musique et ses trémolos, synonymes pour eux d’exclusion »

 

Deux autres facteurs s’ajoutèrent à ceux déjà évoqués. Tout d’abord, le racisme. Si répandu à cette époque parmi les Européens envers les Orientaux. En toute ignorance, les premiers se croyaient seuls détenteurs d’une culture digne de ce nom. Ils jugèrent les seconds incultes, refusant à leur mode de vie et à leurs traditions respect ou considération. Ainsi, les populations venues des pays arabes furent-elles mises à l’écart – presque en quarantaine –, condamnées à l’isolement et au mépris, souvent envoyées peupler des zones encore désertes, loin de la capitale et des grandes villes où le présent et l’avenir se jouaient. En butte à ces injustices, la plupart, loin de se rebeller, firent leur possible pour s’intégrer. Et si les parents continuaient de parler arabe en famille, d’écouter et chanter les airs de leur pays natal, leurs enfants rejetèrent cette langue, la musique et ses trémolos, synonymes pour eux d’exclusion, et qui se trouvaient être aussi, second facteur aggravant, ceux de l’ennemi de la nation.

Des années de peine plus tard, ponctuées de révoltes et revendications, le groupe A-WA a réussi à se hisser en haut des charts, mieux, il y a été porté. Israël existe bel et bien. L’hébreu s’est imposé. Les petits-enfants d’immigrés ne sont plus des immigrés et ne craignent pas de se perdre dans une culture autre, dans leur culture passée. Au contraire, ils rêvent de s’y frotter, la considèrent comme une richesse dont ils auraient été privés. Ainsi, de jeunes artistes osent chanter aujourd’hui cette musique qu’hier leurs parents étaient honteux d’aimer ou préféraient s’en cacher, certains même dans cette langue que la génération d’avant avait choisi d’abandonner. Et le phénomène s’amplifie aussi côté public. Pour ceux qui sont issus de ces communautés, il est question de réparer, de recoller les morceaux de leur identité. En appelant aux sens, la musique les ramène vers les territoires oubliés, les aide, comme à tâtons, à se les réapproprier. « La musique, c’est la dernière chose que l’on perd, explique Almog Behar, poète et écrivain. Elle a presque autant de force que la prière. »

Quant aux autres, leur engouement pour cette musique vient aussi de leur volonté d’apprendre à mieux connaître ces autres qui vivent parmi eux, pas toujours avec eux, les Arabes israéliens et les Palestiniens, de voir en eux des frères plus que des ennemis, de leur tendre la main. « Et finalement, poursuit Almog Behar, on arrivera à vivre en paix avec le fait qu’une partie de notre culture est arabe, et cela aura certainement une influence sur nos relations avec les Palestiniens. »

Enfin, et surtout bien sûr, si la musique arabe séduit un si large public, c’est avant tout par sa beauté. « Il y en a de toutes sortes, comme la musique classique, raconte Gilad Vaknin, jeune guitariste. Quand tu entres dedans, c’est tout un univers qui s’ouvre à toi. »

 

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