International
10H41 - lundi 13 juillet 2015

ASEAN : l’échec d’un système de protection des droits individuels

 

 

Alors que chaque jour des milliers de réfugiés appartenant à la minorité Rohingya venue de Birmanie fuient leur pays dans l’indifférence la plus totale, à la fois des responsables politiques locaux et de la communauté internationale, l’ASEAN, l’organisation régionale qui rassemble l’ensemble des Etats de l’Asie du sud-est, s’est montrée incapable de protéger les droits des plus faibles malgré leur volonté affichée de s’intégrer politiquement.

 

(c) Mapim

(c) Mapim

Abandonnés par leurs passeurs sur des navires de fortune, ces réfugiés, dont les images nous rappellent celles des « Boat people » des années 1970, sont refoulés par tous les Etats riverains : Thaïlande, Malaisie, Indonésie, qui refusent de prendre leur responsabilité dans ce qui ressemble désormais à un désastre humanitaire dans l’une des zones où le développement économique et humain est pourtant le plus rapide au monde.

Fondée en 1967 et d’abord vue comme une organisation à vocation purement économique et commerciale, l’ASEAN affiche ces dernières années une volonté d’intégration politique prenant pour modèle l’Union européenne. En 2007, l’organisation adopte une Charte où les principes de promotion et de défense des droits de l’Homme sont inscrits. En 2012, une Déclaration des droits de l’Homme est même signée par ses Etats-membres. Depuis, les plans d’intégration politique sont au point mort ou presque – en matière de lutte contre le terrorisme international notamment -, et la crise actuelle des réfugiés Rohingyas est venue confirmer l’échec d’un système de protection des droits fondamentaux dans la région.

 

Développement économique et violations massives des droits fondamentaux 

C’est ainsi que l’on pourrait qualifier l’Asie du sud-est qui connaît depuis plus de 20 ans maintenant (hormis la parenthèse de la crise asiatique) un développement économique extrêmement rapide porté par les délocalisations des principaux industriels européens, américains et asiatiques, attirés par la faiblesse des coûts de main-d’œuvre et le positionnement logistique intéressant de la région. Si ce développement a permis à certains Etats comme Singapour, la Malaisie, la Thaïlande ou l’Indonésie de sortir du sous-développement voire d’entrer dans le club des pays les plus avancés, force est de constater qu’en matière de libertés fondamentales, les pays de l’ASEAN restent parmi les plus répressifs au monde.

Les libertés fondamentales, telles que la liberté d’expression, le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit de vivre sans discrimination et même la liberté de conscience sont en danger dans l’ensemble des pays de l’ASEAN. Les gouvernements communistes vietnamien et laotien exercent toujours une pressions intense sur les médias, musellent les journalistes et enferment les blogueurs. Avec 35 cyberdissidents enfermés, le Vietnam détient ainsi un triste record, dépassé uniquement par la Chine. En Thaïlande, où un coup d’Etat militaire a renversé l’année dernière un gouvernement démocratiquement élu, les lois liberticides ont remplacé la loi martiale et s’appliquent avec une même rigueur contre tous ceux qui oseraient lever la voix. Au Cambodge, en Malaisie et à Singapour, la presse dispose d’une marge plus grande mais reste étroitement surveillée par le pouvoir politique.

L’arbitraire et la corruption règnent au sein des forces de polices et dans le corps judiciaire, le plus souvent aux ordres du pouvoir politique. Des accusations très fortes pèsent ainsi contre les services de police en Birmanie qui oppressent les minorités ethniques comme les Rohingyas musulmans, les Karens chrétiens ou les Chinois de la région du Kokang, et ce dans un climat explosif pré-électoral et empli de nationalisme belliqueux. Considéré comme l’un des Etats les moins corrompus au monde, Singapour n’en reste pas moins l’un des plus répressifs au nom de la stabilité et de l’harmonie. Seuls le Cambodge et les Philippines ont aboli la peine de mort, les autres Etats continuant de l’appliquer fièrement comme en Indonésie où les exécutions de condamnés pour trafic de drogue se poursuivent. Pourtant, lors de son élection Joko « Jokowi » Widodo, était apparu aux yeux du monde comme un progressiste, le nouveau « Barack Obama de l’Asie ».

Les pays de l’ASEAN sont également devenus le carrefour de tous les trafics. Les réfugiés de Birmanie ne sont pas les seules victimes de la traite d’êtres humains. Les migrants de toute la région sont aussi les victimes de l’exploitation économique et du proxénétisme. Des milliers de femmes venues d’Indonésie et des Philippines, venues travailler comme femme de ménage ou nourrice, sont ainsi exploitées à Singapour et en Malaisie. Dépourvues de droit, elles choisissent souvent de se taire pour continuer d’envoyer leur salaire au pays. La prostitution ronge des sociétés entières comme en Thaïlande où le tourisme sexuel a rendu le « pays des hommes libres » aussi célèbre pour ses plages, ses palais et sa cuisine que pour la prostitution infantile qui s’y est développée. Officiellement condamné, le travail des enfants est toujours un problème sérieux dans la région notamment dans l’industrie textile particulièrement présente au Cambodge ou au Vietnam.

 

L’impossible intégration politique conduit à une impunité de fait 

Le 20 mai dernier, les ministres des affaires étrangères de la Thaïlande, de la Malaisie et de l’Indonésie se sont réunies à Putrajaya (Malaisie) afin de discuter d’une résolution commune à la crise des réfugiés birmans. Le 29 mai, le gouvernement thaïlandais organisait une réunion sur l’immigration clandestine dans l’Océan indien à Bangkok qui a rassemblé une vingtaine de représentants d’Etats et d’organisations internationales. Ces deux réunions ont fait naître un instant la possibilité d’une résolution commune à une grave crise politique interne mais les pays de l’ASEAN ne sont parvenus qu’à une solution de compromis et temporaire et ont échoué à condamner l’action de la Birmanie contre la minorité Rohingya qui n’est d’ailleurs mentionnée sur aucun document.

Malgré leur volonté affichée d’accentuer leur intégration, y compris politique, les Etats membres de l’ASEAN qui doivent achever la construction d’un marché commun à la fin 2015, se retrouvent toutefois dans l’incapacité de résoudre de façon commune les problèmes régionaux en raison d’une très grande hétérogénéité de leurs régimes politiques. Si ces Etats se sont engagés à défendre des valeurs communes, à promouvoir une identité culturelle et sportive qui leur est propre et à résoudre certains enjeux régionaux et internationaux ensemble comme la lutte contre le terrorisme, la piraterie ou l’islamisme, les réalisations concrètes sont bien maigres en matière de promotion et défense des droits de l’Homme.

La faiblesse de l’Etat de droit dans un ensemble qui comprend à la fois des démocraties fragiles ou fragilisées (Indonésie, Malaisie, Philippines), des régimes autoritaires (Singapour, Cambodge), des dictatures militaires (Thaïlande, Birmanie, cette dernière étant en voie de transition) et des dictatures communistes (Vietnam, Laos) ; et le fort attachement à la notion de souveraineté permet d’expliquer l’absence de régime viable qui sanctionneraient les atteintes aux droits de l’homme commises par les Etats de l’organisation. Contrairement à l’Union européenne qui a adopté une Charte des droits fondamentaux en 2000, directement intégrée dans le corps des traités depuis le Traité de Lisbonne, et aux Etats du Conseil de l’Europe qui reconnaissent la juridiction de la Cour européenne des droits de l’Homme, il n’existe aucun mécanisme contraignant ou juridictionnel comparable en Asie du sud-est. Le Cambodge et les Philippines sont d’ailleurs les seuls à avoir signé et ratifié le statut de Rome relatif créant une Cour pénale internationale.

 

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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