People (2014)
10H33 - jeudi 18 juin 2015

Entretien du jour avec Esther Kamatari : « Nous disons NON à un troisième mandat du président burundais ! »

 

 

Entretien avec la princesse burundaise Esther Kamatari, également élue locale en France, Ambassadrice d’une grande marque et première top-model noire en France.

 

En tant que citoyenne burundaise, comment vivez-vous la situation dans votre pays ?

Très douloureusement. Nous retrouvons la situation de 1993, c’est pathétique. Après les accords d’Arusha signés le 28 en août 2000 sous l’égide de Nelson Mandela, on a arrêté la guerre et Pierre Nkurunziza a été nommé. Tout le monde avait de l’espoir, nous pensions que les antagonismes qui nous séparaient allaient être oubliés. Je m’étais engagée dans l’humanitaire, mais cela n’a servi à rien.

Le Burundi traverse aujourd’hui une nouvelle crise humanitaire, la population fuit à nouveau. Je me rends compte que sur ces dix dernières années, le pouvoir a fabriqué des tueurs. La jeunesse qui a repris les rênes, c’est elle qui tue. Je n’arrive pas à comprendre qu’on puisse nous armer nous-mêmes et nous entretuer.

Aujourd’hui, on est revenu à la dictature. Des journalistes qui font leur métier, qui informent, se font terroriser. Pourquoi y a-t-il eu autant de mouvement pour créer les Accords d’Arusha si c’est pour les violer après ?

 

Rassemblement contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza de la diaspora burundaise de France sur le parvis des droits de l'Homme à Paris le 9 mai 2015.

Rassemblement contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza de la diaspora burundaise de France sur le parvis des droits de l’Homme à Paris le 9 mai 2015.

  

Le Président Nkurunziza est-il en train de gagner la partie, comme on a pu le voir le 31 mai dernier avec le sommet de l’EAC, qui l’a presque soutenu en appelant au report de six semaines seulement les élections ?

La société civile doit continuer à dire non. Elle ne va pas accepter de se faire museler juste parce-que les chefs d’Etat de la région ont pris une décision ou ne se sont pas prononcés. C’est très curieux car on écoute toujours les décideurs, mais pas la population alors que c’est elle qui importe réellement.

Lors du sommet en Tanzanie, une conclusion avait été rendue par les magistrats jugeant illégal le troisième mandat. Mais ces conclusions n’ont pas été publiées.

Les élections planifiées, ce seront des fausses élections. Ce n’est même pas la peine d’y procéder… Pierre Nkurunziza peut se nommer Président directement dans ce cas !

 

Quelle est votre ressenti face aux conclusions du sommet de l’Union Africaine qui se tenait à Johannesburg le week-end dernier ?

Je suis très déçue, car le nœud du problème, donc la question du troisième mandat, n’a pas été mentionné. On ne résoudra rien tant qu’on ne parlera pas de cette vraie question. J’observe une hypocrisie générale dans cette crise. Le fait de ne pas parler du troisième mandat conforte Pierre Nkurunziza. Que les élections soient ou non reportées une nouvelle fois, il n’y renoncera pas et de toute manière ce sont des élections tronquées, non inclusives et non transparentes.

En ce qui concerne les observateurs que l’Union Africaine veut envoyer au Burundi, Nkurunziza a déjà dit qu’il ne les laisserait pas venir, qu’il y a déjà des personnes sur place pour désarmer les milices. Mais comment pensez-vous qu’une cinquantaine de personnes puissent désarmer toute une population disséminée dans les collines ? A l’heure actuelle, chacun peut être armé s’il le veut au Burundi.

Malheureusement, personne n’a pris le taureau par les cornes. On se demande à quoi servent ces sommets internationaux.

 

Vous avez lancé un appel avec Opinion Internationale, à quel effet ?

Nous avons appelé les citoyens, burundais et non-burundais, à réagir et interpeller la communauté internationale. Beaucoup de monde a déjà répondu à cet appel. Le mot de « viol » qui y est utilisé interpelle tout le monde. J’espère que plus en plus de personnes le signeront.

 

Rassemblement contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza de la diaspora burundaise de France sur le parvis des droits de l'Homme à Paris le 9 mai 2015.

Rassemblement contre le 3e mandat de Pierre Nkurunziza de la diaspora burundaise de France sur le parvis des droits de l’Homme à Paris le 9 mai 2015.

 

 

Propos recueillis par Maria Gerth-Niculescu