Opinion Amériques Latines
14H49 - vendredi 29 mai 2015

L’île de Pâques, entre mystères et découvertes

 

 

Située à plus de 3000 km des côtes chiliennes et 4000 km de Tahiti, l’île de Pâques, avec ses célèbres statues en pierre volcanique, appelées les Moaï, a toujours suscité fantasmes et mystères, suite aux nombreux mythes qui ont contribué à nourrir un certain imaginaire collectif. Depuis les premières expéditions européennes, de nombreux archéologues sont venus sur l’île. Chacun y allant de son point de vue pour élaborer des hypothèses concernant ses habitants et les statues Moaï qui y sont érigées. Lors d’une conférence donnée jeudi 21 mai dernier à la Maison des Amériques latines, le photographe et écrivain Patrick Bard a proposé un état des lieux des dernières découvertes réalisées pour tenter de percer ce grand mystère qui entoure encore ce petit îlot de l’océan Pacifique. 

Les Moaï, les célèbres statues de l'île, gardent leurs secrets depuis des siècles dans la pierre et le silence.  Crédit: Marion et Yves Lecailtel

Les Moaï, les célèbres statues de l’île, gardent leurs secrets depuis des siècles dans la pierre et le silence.
Crédit: Marion et Yves Lecailtel.

 

Petit retour historique : l’île fut découverte pour la première fois par une expédition hollandaise, menée par Jakob Roggeween, le 5 avril 1722, jour de Pâques, d’où son nom donné par les Européens. Elle comptait alors près de 4000 habitants, dénommés les Rapa Nui. 

Tombée ensuite dans l’oubli pendant des années, elle est redécouverte par le célèbre navire français La Pérouse qui y accoste en 1786. L’expédition, commandée par l’explorateur Jean François de la Pérouse et soutenue par Louis XVI, trouve alors une île en mauvais état et une société Rapa Nui éclatée en dix communautés. 

Des statues Moaï gisent à terre, entourées d’ossements humains. Ce qui laissa supposer à certains archéologues que le déclin de la population Rapa Nui résulte de guerres ou de violences faites de cannibalisme qui auraient éteint la population à petit feu.

 

L’hypothèse du déclin dû à des causes environnementales

Cependant, les fouilles effectuées entre 2000 et 2010 par les archéologues  américains Terry Hunt et Carl Lipo, n’ont pas trouvé de preuves de batailles ou de cannibalisme. 

« A l’heure actuelle, aucune arme n’a été mise au jour pour prouver qu’il y ait eu guerre. Des ossements humains ont été retrouvés autour des centres cérémoniels mais aucune trace de cannibalisme », déclare Patrick Bard qui s’est rendu sur l’île en reportage pour Le Monde

D’autres hypothèses, comme celle de la déforestation ont été avancées pour expliquer le déclin de la population locale. C’est la théorie défendue en 2005 par Jared Diamond, biologiste évolutionniste américain, dans son livre Collapse (Effondrement, Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie). Pour lui, les différentes tribus insulaires seraient allées tailler les statues Moaï dans l’unique carrière de l’île et auraient réalisé un concours de qui sculpterait les plus grandes et les plus lourdes statues. Leur transport aurait nécessité de plus en plus de bois, ce qui entraîna la destruction croissante de palmiers. L’île aurait ainsi connu la déforestation et la famine. D’où la disparition progressive de la population… 

Les fouilles de Terry Hunt et Carl Lipo, si elles ont pu montrer que la déforestation a bien eu lieu et qu’elle a été causée par des rats ayant mangé les graines des palmiers, n’ont pas pour autant conclu que cette dernière était à l’origine de la baisse brutale du nombre d’habitants. 

 

L’hypothèse des maladies européennes 

La supposition la plus répandue aujourd’hui est celle des maladies apportées par les premiers explorateurs européens qui auraient décimé la population,  passée de trois mille habitants au moment de sa découverte à cent quinze à la fin du XIXème siècle. 

 

Une population à la merci de pays voisins

Le déclin démographique peut aussi se lire à l’aune d’une période sombre de l’histoire de l’île. En 1862, le Pérou dirige une expédition qui enlève 1500 Pascuas pour les emmener de force dans des mines de salpêtre où ils travailleront comme esclaves. 

Quelques années plus tard, en 1888, le Chili annexe l’île via le Traité des volontés : le roi Pascua Atamu Tekena signe cet accord d’amitié avec Policarpo Toro, représentant du gouvernement chilien. Le Chili prend en charge l’administration de l’île mais doit assurer en échange la protection du peuple Rapa Nui. Très vite, le gouvernement chilien, sous couvert de domination administrative, déplace les Rapa Nui à Hanga Roa, capitale de l’île, où ils sont rassemblés. 

A partir de 1895 et jusqu’en 1953, le Chili sous-traite l’exploitation de l’île à des compagnies étrangères. Puis de 1953 à 1966, c’est la marine des forces armées chiliennes qui prend le relais de l’administration de l’île. « Jusqu’à cette date, les Rapa Nui ne pourront pas sortir de la capitale où le Chili les a tous rassemblés », poursuit le photographe.

Crédit: Marion et Yves Lecailtel.

Crédit: Marion et Yves Lecailtel.

 

Les Moaïs ont-ils marché ? 

Aujourd’hui, l’île abrite autour de 4500 habitants mais le mystère demeure encore quant à ses 2000 autres résidents, figés dans leur immuable silence depuis des siècles : les fameux Moaï, ces statues géantes en lave, mesurant de trois à dix mètres de hauteur. 

La question qui a agité les spécialistes s’est focalisée sur le transport de ces colosses en pierre. Comment ont-ils été emmenés de l’unique carrière où ils étaient conçus aux endroits où ils se trouvent actuellement dans l’île? Certains se dressant face à la mer et d’autres lui tournant le dos. La signification de ces postures pourrait être liée à l’origine de la population Rapa Nui qui proviendrait, selon Hunt et Lipo, de Polynésie. 

Pour Jared Diamond, les statues auraient été placées sur des rondins de bois et acheminées en position couchée. Avis non partagé par Cristian Moreno Pakarati, premier historien Rapa Nui diplômé de l’Université du Chili, qui prône la réaffirmation de l’identité autochtone Rapa Nui. Pour lui, les Moaï sont empreints du Mana (esprit divin et puissant dans la tradition pascua) et auraient cheminé en autonomie jusqu’à leur destination. 

Marcher, oui, mais pas seuls. C’est ce que défendent Hunt et Lipo. Pendant leurs études de terrain, les deux archéologues ont entrepris de charrier les statues avec des cordes. Pour eux, la conclusion est la suivante : les Moaï étaient d’abord taillés, couchés dans la pierre, puis mis debout le plus vite possible et terminés comme tel. Ce qui pourrait expliquer la découverte de nombreuses statues retrouvées gisant sur le sol, brisées, et qui contribue à étayer cette théorie. Hunt et Lipo ont remarqué que celles tombées dans les montées étaient sur le dos tandis que celles dans les descentes se trouvaient sur le ventre, face contre terre. Certaines ont d’ores et déjà été remises sur pied par l’Etat chilien mais aussi par les archéologues. 

Restent en débat l’éventuelle signification de la différence de taille entre les Moaï, leur degré de sophistication ou bien l’interprétation de l’écriture pascua, le rongo rongo, toujours indéchiffrable à ce jour. 

L’île de Pâques n’a pas fini de dévoiler tous ses mystères…