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11H41 - mercredi 20 mai 2015

« Du chiffre là où il faut de l’humain » : Le malaise de la France en matière de droit d’asile

 

 

La France serait-elle une fois de plus en retard ? Alors qu’elle doit appliquer avant le 1er juillet les dispositions des directives européennes adoptées en 2013 en matière de droit d’asile, le texte qui vise la réforme de la loi française dans ce domaine est débattu au Sénat depuis le 11 mai. L’Assemblée Nationale avait voté le projet de loi en décembre dernier, mais les discussions au sein de la Chambre haute – à majorité de droite – sont plus agitées. D’autant plus qu’il règne un certain flou autour du comportement de la France en matière de droit d’asile.

 

source : www.amnesty.fr  Photo © Pierre-Yves Brunaud / Picturetank

source : www.amnesty.fr
Photo © Pierre-Yves Brunaud / Picturetank

 

La réalité de l’asile en France

Alors qu’en particulier les conflits armés au Moyen-Orient ont fait grimper de 47% les demandes d’asile au sein de l’Union Européenne en 2014, la France a été moins accueillante que les années précédentes, s’inscrivant en opposition à des pays comme l’Allemagne ou la Suède, qui figurent sur la liste des bons élèves.

Près de ¾ des demandeurs d’asile en France se voient refuser le statut de réfugiés, alors que, selon les associations, au moins la moitié des demandeurs correspond aux critères fixés par la Convention de Genève. A l’heure actuelle, les décisions sont rendues dans un délai moyen de dix-huit mois, pendant lesquels les demandeurs ne peuvent pas travailler et subsistent avec une allocation de 343,50 euros par mois. Seul un tiers d’entre eux obtient une place en centre d’hébergement, auquel ils sont ensuite rattachés.

Epinglée par les associations ainsi qu’au niveau européen, la France semble bien loin de son image de patrie des droits de l’Homme quand l’on constate que l’obsession des chiffres et de l’argent des autorités françaises semble primer sur la considération humaine du problème.

C’est d’ailleurs dans un contexte particulier qu’ont débuté les discussions parlementaires sur le nouveau projet de loi du droit d’asile au Sénat.

Contexte européen d’abord. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission Européenne, vient de rendre publique sa proposition d’instaurer des quotas pour la redistribution des immigrés en Europe. Les ONG avertissent que considérer des personnes comme des marchandises ne sera pas une solution au problème, et nombre de chefs d’Etats, François Hollande inclus, s’opposent à cette idée de quotas. 

Contexte français ensuite. L’arrivée aux frontières franco-italienne d’exilés venant de Méditerranée, 900 arrestations à Nice ces derniers jours…sont des évènements qui risquent d’obscurcir la sérénité des débats. Ensuite, le 12 avril dernier, le Figaro a publié des extraits d’un rapport de la Cour des Comptes selon lequel le droit d’asile coûterait deux milliards d’euros à la France. Une pure « manœuvre de retardement » selon la gauche. Des chiffres bien sûr contestés de parts et d’autres, notamment par les associations qui précisent que ce montant inclut le coût de l’expulsion du territoire des personnes déboutées. Or Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’asile, explique que ceci « n’est pas une question de droit d’asile, mais d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière, ce qui n’est pas la même chose ». Reste que deux milliards d’euros, c’est une somme qui marque l’esprit des citoyens et des décideurs politiques. Pour preuve, le Sénat, qui devait examiner le texte dès le mois d’avril, avait repoussé la séance afin que la Commission des lois puisse y introduire des amendements décisifs.

 

 

Un projet de loi durci à l’emballage libéral

Un des changements les plus importants prévus par le projet de loi est la réduction du délai de l’octroi ou du refus du droit d’asile. Ce délai passerait donc de dix-huit à neuf mois, voire trois mois selon un des amendements. Deux organismes principaux sont concernés, à savoir l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui reçoit les demandes en première instance administrative, et la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) devant laquelle sont formulés les recours juridiques. Ceux-ci devront être traités en cinq semaines (contre six mois environ aujourd’hui) pour les procédures dites accélérées.

Cette réduction des délais sera notamment rendue possible par le recours à un juge unique au sein de la CNDA – donc par l’abandon de la décision en collégialité. Plus généralement, la CNDA devra également prévoire une réduction drastique des procédures en amont et en aval de l’examen du dossier. En effet, le pari est de voir les demandeurs d’asile, souvent accompagnés de leurs enfants, rester moins longtemps dans une situation d’incertitude et « d’alléger le poids financier de la gestion de ces demandes d’asile », selon la sénatrice PS des Yvelines Catherine Tasca.

Les adversaires du projet de loi sont vent debout. Stéphane Campana, bâtonnier du Barreau de Seine-Saint-Denis, qui a participé à un rassemblement de protestation des avocats devant le Sénat le 11 mai, explique qu’il est impossible « d’instruire, de traiter et juger » en cinq semaines et craint que cela n’aboutisse à des décisions hâtives de refus. Pour lui, ainsi que pour ses confrères venus manifester lundi, le gouvernement se cache derrière un projet de loi pour en réalité nuire au principe-même du droit d’asile.

Autre point important, le texte prévoit la création de la procédure accélérée, précédemment dite procédure prioritaire, devant la CNDA. A ce jour, elle est appliquée uniquement au niveau administratif, celui de l’Ofpra, afin de garantir à chaque demandeur d’asile une procédure juridique normale. Si le projet de loi est adopté, la procédure accélérée fera, au même titre que la procédure normale, l’objet d’une suspension en cas de recours. Un demandeur d’asile qui s’oppose à un refus de l’Ofpra ne pourra donc pas être expulsé avant que la CNDA ait statué. D’où une accélération des procédures, même au niveau juridique et malgré les dangers que cela représente pour les droits des personnes.

Le projet de loi, qui se veut pourtant plus conforme au droit international et aux droits humains, prévoit en outre un durcissement considérable de la France vis à vis des personnes déboutées. Ainsi, elles ne pourront pas être régularisées par la suite pour un autre motif, tel que la famille par exemple, proposition qualifiée d’«aberration » par le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte. Elles auront l’obligation de quitter le territoire dès que le refus sera prononcé. Afin de mettre en place ces expulsions, le texte prévoit une assignation au centre d’hébergement temporaire, sous peine de voir annuler la procédure de recours. « Humanité mais fermeté », tels sont pourtant les propos de la sénatrice UDI Valérie Létard pour qualifier ces mesures qui se veulent « protectrices mais efficaces » à l’égard des personnes déboutées, mais déboutées souvent à tort.

La très timide intention du texte de garantir à chaque demandeur d’asile une place en centre d’hébergement avec un principe « d’hébergement pour tous » ne se traduira en réalité que maigrement dans la construction de nouveaux bâtiments, faute de budget. Le renvoi plus rapide et, c’est à craindre, plus systématique des demandeurs d’asile est semble-t-il la solution proposée.

Notons que certains experts juridiques dénoncent d’ores et déjà nombre de ces mesures et mettent en cause leur conformité avec les normes européennes. Un paradoxe quand on sait que la refonte du droit d’asile français vise précisément la mise en conformité avec l’Union Européenne.

 

La considération des personnes en marge du débat ?

Trop de demandeurs, trop de réfugiés, trop peu de places dans les centres d’hébergement… Le texte de loi semble rejoindre l’opinion publique qu’un demandeur d’asile veut contourner la loi, et en particulier la Convention de Genève, afin d’immigrer en France. La paranoïa est telle que le sénateur UMP Roger Karoutchi avait exprimé fin avril son souhait de créer « une seule loi asile/immigration (…) tellement l’asile est aujourd’hui détourné par des réseaux d’immigration clandestine ». Vus au mieux comme un problème auquel il faut faire face, au pire comme un parasite à démasquer et à expulser en restant si possible dans le spectre légal, les demandeurs d’asile sont assimilés à des opportunistes.

Nos décideurs oublient peut-être (ou font semblant…) un peu vite que pour quitter son pays, sa famille, son travail et sa culture, le but et le motif unique d’un confort capricieux, qu’on ne mérite apparemment pas, ne suffit pas. D’ailleurs, se sont-ils rendus dans ces centres d’hébergement afin de se faire une image de ce confort si coûteux ?

On se rend à l’évidence que l’amélioration des conditions de vie, le support psychologique et la lutte contre la stigmatisation sont éloignés de l’ordre du jour de ce débat parlementaire. Faire « du chiffre là où il faut de l’humain », c’est ce que dénonce Maître Aïcha Le Strat, avocate en droit des étrangers. En effet, il est utile de rappeler qu’à l’opposé de marchandises qu’on peut exporter (ou expulser) et importer, commercialiser ou refuser car elles rapportent, ou non, de l’argent, nous parlons-là de vies humaines qui s’inscrivent difficilement dans un calcul utilitariste.

 

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