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23H03 - jeudi 2 octobre 2014

« Malgré un tableau sombre, nous, la société civile, restons optimistes pour l’avenir de notre pays »

 

jaouida-guigaJaouida Guiga, est Haut magistrat et conseillère auprès de la Banque Mondiale, dirigeante de l’association « Women and leadership ». Elle revient sur trois années de lutte pour les droits civils et politiques, notamment pour les femmes.

 

Ce texte fait partie d’une série de trois articles publiés par Opinion Internationale : L’avenir de la Tunisie selon trois femmes tunisiennes

 

Notre pays traverse une période difficile depuis la révolution Tunisienne déclenchée fin 2010. La période transitoire, dominée par l’Assemblée nationale constituante, aura duré plus de trois ans. Cette révolution avait au départ pour objectif l’emploi, la dignité, la liberté d’expression. Mais au fil de ces trois ans, la révolution n’a pas atteint ses objectifs. On constate au contraire que les conditions de vie des Tunisiens ne se sont pas améliorées. Le taux de chômage est toujours élevé, le coût de la vie a augmenté. Les Tunisiens sont déçus par cette révolte qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, mais dont ils savent qu’ils n’en croqueront pas encore les fruits.

Toutefois, le peuple n’est plus le même, sa mentalité a changé : il ne compte pas se laisser faire. Les Tunisiens n’acceptent plus l’incompétence au pouvoir. Le chaudron social est alimenté par la hausse considérable des prix, même ceux des produits et les services de première nécessité (l’eau, l’électricité, le carburant ont subi des hausses considérables…). Les familles débordées se replient dans la grève. Des réseaux qui se disent djihadistes ont vu le jour. Deux projets de société s’affrontent : un courant de l’islam politique dit modéré, et un islam politique extrémiste qui nous est étranger.

On assiste à des phénomènes inédits, comme la baisse de la scolarisation des filles, à rebours de la tendance continue depuis l’indépendance : les régions du Sahel, par exemple, qui étaient auparavant les premières à développer la scolarisation des filles, affichent une régression sensible. Dans le domaine de l’emploi, on repère une discrimination envers les femmes diplômées (sur dix recrutements de fonctionnaires cadres, le gouvernement recrute trois femmes uniquement sur les dix demandées, il en est de même pour les entreprises privées). Nous avons vu se généraliser le port du voile : presque toutes les filles des villages sont voilées. On constate même qu’elles sont accompagnées par leur mari ou leur frère à la sortie des usines ; de même, les femmes qui présentent des demandes de micro-crédit sont, la plupart du temps, représentées par leur mari ou leur frère.

Rien n’a endigué jusqu’ici la chute de l’économie, même les entreprises et les usines installées non loin de la capitale appellent au secours.

Daaech (acronyme arabe pour l’organisation de l’Etat Islamique) a pris pied dans le pays et menace la Tunisie.

Pourtant, malgré ce tableau sombre, nous, la société civile, restons optimistes pour l’avenir de notre pays. Selon nous, la période de difficultés que traverse le pays est normale car aucun accouchement ne peut se faire sans douleur. Surtout, le fait est là : les premiers projets de Constitution proposés par la « troïka » (les trois partis politiques de la coalition dirigée par les islamistes) ont mis au jour des tentatives dégradantes que la société civile a su repousser. Des membres d’Ennahdha, parfois l’ensemble du parti islamiste, ont tenté d’imposer une théocratie islamique, d’appliquer la charia dans la vie quotidienne, d’affirmer le principe de la complémentarité de la femme à l’homme, et non d’égalité ; d’ignorer les traités et des conventions Internationales ratifiées par la Tunisie et ayant une valeur supérieure à la loi interne ; de supprimer la loi de 1958, relative à l’adoption et celle relative à la reconnaissance de l’enfant naturel…

Dès lors, les femmes tunisiennes se sont menacées. D’où leur mobilisation, qu’elles soient des intellectuelles, femmes d’affaire, juristes, médecins, journalistes, ouvrières, instruites ou analphabètes. D’où le déclenchement d’un combat quotidien contre le modèle de société que le courant de l’islam politique extrémiste voulait imposer en osant évoquer la circoncision des filles, le mariage coutumier, le mariage des filles dès 12 ans, le retour à la polygamie… Les femmes ne sont pas seulement descendues dans la rue pour manifester : la société civile a participé aux débats de l’Assemblée Nationale Constituante pour empêcher tout retour en arrière. Grâce à quoi, en janvier dernier, l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) s’est inclinée devant cette force : l’ANC a finalement maintenu les droits acquis depuis 1956, et en adopté de nouveaux touchant à

la parité, l’égalité des chances, les libertés de presse, de syndicat, d’association, de culte ; le droit à la grève et à la protestation pacifique, le droit de manifester ; l’adoption, l’interdiction de la polygamie, la contraception.

Le plus dur a été fait. La page de Ben Ali est définitivement tournée : rien ne peut être pire que ce que l’on a vécu durant la dictature. Désormais, nous sommes en face de la réalité. On découvre la Tunisie sous son vrai visage. Chacun de nous, citoyens tunisiens et citoyennes tunisiennes au sein de la société civile, doit s’associer au mouvement commun : il faut accomplir des campagnes de sensibilisation, il faut aller voter et voter utile. Il faut expliquer ces objectifs en se déplaçant à l’intérieur des régions et à l’extérieur du pays. Il faut redonner espoir aux citoyens Tunisiens déprimés.

Jaouida Guiga, magistrate et ancien membre du Conseil constitutionnel

 

Demain : la contribution de Sana Ghenima, chef d’entreprise et présidente du réseau Femmes et Leadership.

Ce texte fait partie d’une série de trois articles publiés par Opinion Internationale : L’avenir de la Tunisie selon trois femmes tunisiennes

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