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20H23 - mercredi 1 octobre 2014

Quel modèle de société va choisir la Tunisie ?

 

FaizaKefiLes Tunisiens sont appelés aux urnes d’octobre à décembre pour élire leurs futurs gouvernants. Ces élections marqueront l’aboutissement de trois années de transition qui ne furent pas un long fleuve tranquille… Retour sur ces années décisives et décryptage par Faiza Kefi, juriste et ancienne Ambassadrice de Tunisie en France, des enjeux politiques des élections législatives et présidentielles.

 

Ce texte fait partie d’une série de trois articles publiés par Opinion Internationale : L’avenir de la Tunisie selon trois femmes tunisiennes

 

Le paysage politique tunisien a profondément changé depuis les évènements de janvier 2011. Dans l’euphorie générale, la Constitution de l’indépendance (1958) a été suspendue, la Chambre des députés et celle des Conseillers ont été dissoutes. Plus d’une centaine de partis ont été reconnus et le peuple a été appelé à élire, le 23 octobre 2011, une Assemblée Nationale Constituante (ANC) chargée de rédiger en une année la Constitution de la Deuxième République.

L’élan vers les urnes a été exceptionnel et les électeurs ont fait la queue pendant des heures pour choisir librement leurs représentants. C’était en 2011…


Petite histoire de trois années de transition

Le Parti islamiste Ennahdha en est sorti vainqueur, remportant le nombre le plus élevé des sièges. Le reste des sièges fut partagé entre toutes les tendances allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.

drapeau_tunisieLa Tunisie vécut alors un semblant de démocratie : les «trois présidences» de la République, de l’ANC et du Gouvernement furent partagées avec les partis alliés à Ennahdha. L’ANC se prétendit totalement souveraine et investie de la légitimité électorale, ne se soumettant à aucun contrôle même constitutionnel. L’équilibre des pouvoirs fut rompu au détriment de la Présidence de la République et du pouvoir judiciaire dont l’indépendance demeure hypothétique. L’ombre du système hégémonique passé se remit à planer. Tous les rouages de l’Etat furent concentrés entre les mains du Parti majoritaire.

Mais, la société civile ne laissa pas faire, dénonça cette dérive et fit pression par la rue et via les réseaux sociaux.

Face à ce danger, et dans le magma des forces politiques opposées aux trois partis au pouvoir, un nouveau Parti émergea en juin 2012 dans l’espoir de créer l’équilibre entre les forces politiques et d’assurer les conditions de l’alternance du pouvoir. La scène politique évolua dès lors vers une bipolarisation: la compétition politique se cristallisa essentiellement entre l’Appel de Tunis (Nidaa Tounès, parti démocrate libéral – Appel de la Tunisie) et Ennahdha (parti islamiste) qui fera tout pour stigmatiser un concurrent devenu très vite encombrant. Désormais, deux fronts s’organisent, l’un porteur d’un projet théocratique et l’autre d’un projet progressiste universaliste.

Le débat déborda très vite l’instance constitutionnelle et le phénomène de la violence politique se fit jour. Depuis 2012, les fameuses LPR (Ligue de protection de la révolution) sévissent dans les quartiers, des militants et des journalistes sont agressés ou menacés de mort, les sectes religieuses extrémistes s’emparent des mosquées et détruisent les mausolées, la présence de groupes armés sur le territoire est signalée et minimisée par le pouvoir en place. Cette violence atteint son paroxysme avec trois assassinats successifs de leaders politiques en 2013, suscitant une très vive émotion au sein de la population tunisienne et à l’étranger.

Le processus de transition démocratique fut mis en danger. L’opinion publique, sous le choc, se mit à craindre une guerre civile. Les Constituants du pôle démocratique quittèrent l’ANC en juillet 2013, créent  le « Front du Salut », appelant à la démission du Gouvernement d’Ennahdha et à la constitution d’un gouvernement non partisan. 

Deux facteurs se conjugueront pour le sauvetage de la transition : le premier eut trait au lancement d’une initiative conjointe de la centrale syndicale, l’UGTT, de la centrale patronale, l’UTICA, de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et du Conseil de l’Ordre des Avocats appelant tous les partis politiques représentés au sein de la Constituante à un « Dialogue National » pour la mise en œuvre d’une feuille de route que devraient respecter le Gouvernement et l’ANC : l’achèvement de l’élaboration d’un texte constitutionnel consensuel, la mise en place d’un gouvernement d’indépendants, des élections législatives et présidentielles à fin 2014 s’imposèrent enfin aux acteurs de la transition.

Le second facteur, non moins déterminant, d’une transition finalement sauvée se rapporta d’une part au changement dans les relations entre les deux Partis dominant la vie politique nationale, Ennahdha et Nidaa Tounès, qui, de belliqueux, ont évolué vers l’acceptation de l’autre et le respect mutuel, et d’autre  part, à la constitution d’une alliance démocratique au sein de «l’Union pour la Tunisie», espace de concertation et de coordination des positions pour le Dialogue National.

Aujourd’hui, la Tunisie vit une étape décisive de sa transition démocratique : les élections législatives auront lieu le 26 Octobre prochain, tandis que les présidentielles, à deux tours, se tiendront le 26 Novembre et le 28 Décembre.


Enjeux décisifs pour des élections tant attendues

Qu’en est-il du contexte de ces élections et quels en sont les enjeux ?

La scène politique reste marquée par le nombre élevé des partis politiques et des candidats indépendants pour les deux élections : le risque de dispersion des voix et de non émergence d’une majorité parlementaire confortable pour les partis de poids est considérable.

La violence a changé de camp et de cible : elle est désormais le fait de mouvements terroristes internationaux dans la région, sévissant dans l’ensemble du Maghreb, qui s’en prennent à l’Armée et à la Garde Nationale, symboles de la souveraineté nationale et garantes de l’intégrité territoriale.

Les incertitudes alimentent l’état d’esprit des Tunisiens quant à la capacité de leur pays à sortir de la crise et à la possibilité de compter sur ses partenaires économiques et financiers. Les Tunisiens désespèrent du politique et risquent de ne pas se rendre aux urnes le jour « J ».

Pourtant, les enjeux de ces rendez vous électoraux sont majeurs :

Premièrement, ce n’est rien moins que le modèle de société qui est en jeu. La Tunisie va-t-elle se tourner vers le modèle d’Etat religieux, dont les contours sont imprécis et peuvent entraîner le pays vers des régressions et des bouleversements profonds ou bien choisira-t-elle de vivre un 21ème siècle de progrès et d’ouverture sur le monde ?

Deuxièmement, comment venir à bout de l’insécurité, sans un pouvoir stable, fort et soucieux de sa souveraineté ? La France pourra-t-elle soutenir la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme environnant ?

Troisièmement, la transition démocratique arrivera-t-elle au bout de son processus pour donner au pays des institutions véritablement démocratiques qui donneront tout son sens au vivre ensemble dans le respect de la différence et la suprématie de la loi ? La Tunisie pourra-t-elle recouvrer  son unité et sa cohésion ? Dans le cas d’une  victoire serrée des deux camps, y aura t-il rapprochement entre deux projets aux contenus contradictoires ou bien cantonnement d’un clan dans l’opposition avec tous les risques que l’on peut imaginer ?

Faiza Kefi, juriste et ancienne Ambassadrice de Tunisie en France

 

Demain : la contribution de Jaouida Guiga, magistrate et ancien membre du Conseil constitutionnel.

Ce texte fait partie d’une série de trois articles publiés par Opinion Internationale : L’avenir de la Tunisie selon trois femmes tunisiennes

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