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09H36 - mardi 1 juillet 2014

Fukushima : vers un oubli collectif des Japonais ?

 

Le 19 juin, le ministre japonais de l’environnement, Nobuteru Ishihara, déclenchait la colère des habitants de la préfecture de Fukushima en sous-entendant que le versement d’une somme d’argent pourrait régler définitivement l’opposition des villageois d’Ōkuma et de Futaba à l’implantation définitive d’installations de stockage pour les déchets irradiés suite à la catastrophe nucléaire de mars 2011. Le ministre a ensuite échappé le lendemain à une motion de censure déposée contre lui par les sénateurs du Parti démocrate du Japon (PDJ) et de huit autres partis d’opposition.

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Des journalistes équipés de combinaisons et de masques de protection sont accompagnés par les employés de Tokyo Electric Power Co. (TEPCO) pour visiter la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, à Fukushima, au Japon, le 20 février 2012. © Xinhua / Allpix Press

Trois ans après le tremblement de terre qui a dévasté le nord-est du pays et provoqué l’accident nucléaire le plus grave depuis celui de Tchernobyl, la situation autour de la zone interdite de Fukushima est loin d’être stabilisée et est en passe de devenir un véritable tabou chez les politiques nippons de tous bords.

En dehors des conséquences matérielles et financières, cet accident a suscité un véritable choc chez les Japonais et renforcé la défiance envers les politiques. Le PDJ, critiqué pour sa gestion désastreuse de la catastrophe nucléaire a subi une lourde défaite lors des élections législatives de 2012 en ne sauvant que 57 sièges sur les 230 qu’il avait engrangé lors des élections de 2009. Pourtant, le successeur de Yoshihiko Noda au poste de Premier ministre, Shinzo Abe, ne cache pas sa volonté de redémarrer les réacteurs nucléaires au pays, arrêtés depuis la catastrophe. Fukushima a également marqué la naissance d’une conscience écologiste au Japon avec la fondation en juillet 2012 des partis « Greens Japan » et « Vent vert » qui dispose d’un siège à la Chambre des représentants.

Si les questions du redémarrage des réacteurs nucléaires et du stockage des déchets provenant de la zone irradiée autour de la centrale de Fukushima restent des points de clivage importants au sein de la classe politique et de la société japonaise, elles semblent toutefois être passées au deuxième plan derrière les questions économiques et de défense nationale avec l’arrivée de Shinzo Abe qui doit gérer une situation énergétique pour le moins difficile.

Le dilemme énergétique de Shinzo Abe

Avant la catastrophe de Fukushima, le Japon était le troisième producteur d’électricité nucléaire dans le monde derrière les Etats-Unis et la France. Cette énergie comptait alors pour près du quart de la production électrique dans le pays. Aujourd’hui les 50 réacteurs que compte le pays sont tous à l’arrêt.

En 2012, dans la perspective d’élections anticipées, le gouvernement Noda a annoncé un plan de sortie du nucléaire pour 2040 accompagné d’une campagne ambitieuse de promotion des énergies renouvelables. Alors que près des deux tiers des Japonais s’opposent ouvertement au nucléaire (sondage Asahi du 18 mars 2014), ce plan a été entièrement revu par l’actuel Premier ministre qui a annoncé en avril sa décision de redémarrer les réacteurs nucléaires afin d’assurer l’indépendance énergétique du pays.

Ces ambitions ont toutefois été contrecarrées par la Cour de Fukui qui, le 21 mai dernier, a donné raison aux habitants d’Ōi près d’Osaka contre le redémarrage de deux réacteurs de la centrale nucléaire d’Osaka. Cette décision a été suivie par une série de manifestations jusque sous les fenêtres de la résidence du Premier ministre à Tokyo.

Le gouvernement Abe dispose donc d’une marche de manœuvre relativement réduite pour sa politique énergétique qui se concilie très mal avec la volonté du gouvernement de relancer l’économie. Les importations massives de pétrole, de charbon et de gaz naturel liquéfié (GNL) ont fait exploser le service de la dette du Japon. Cet effet est également multiplié par la faiblesse du yen qui surenchérit les importations et gonfle artificiellement les prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises, acteurs clés de la relance économique.

En attendant le redémarrage des réacteurs nucléaires, le Japon continue donc de dépendre des approvisionnements en provenance du Moyen-Orient et de la Russie. Cette situation difficile conditionne en grande partie la conduite de la diplomatie nippone qui s’efforce de garder de bonnes relations avec ses principaux fournisseurs arabes et russes. Elle explique en particulier les atermoiements du Japon lors du G7 qui a instauré une première salve de sanctions contre Moscou.

Disposant d’une marge de manœuvre étroite, le gouvernement nippon a volontairement placé la question énergétique au second plan derrière les questions économiques (Abenomics) et de défense nationale (conflit frontalier avec la Chine).

Une question de second plan ?

Disposant d’une majorité confortable dans les deux chambres parlementaires, Shinzo Abe a la capacité de faire passer toutes ces réformes sans réelle opposition. Toutefois, il préfère s’abstenir de commentaires concernant la politique énergétique et se garde bien d’accélérer le redémarrage des réacteurs nucléaires, redémarrage par ailleurs soumis au contrôle de l’AIEA qui a émis un avis négatif concernant les normes de sécurité pour une majorité de centrales nippones.

Nouveau serpent de mer de la politique japonaise, la question du nucléaire divise les citoyens et les partis politiques. Si certains partis minoritaires tels que « Votre parti », le Parti social-démocrate (PSD) ou le « Parti de la vie du peuple » (PVP) qui promeut une sortie du nucléaire dès 2022, ont clairement intégré la sortie du nucléaire dans leur plateforme électorale, les grands partis sont plus divisés. Des anti-nucléaires se trouvent jusque dans les rangs du Parti libéral-démocrate (PLD) emmené par une faction dirigée par l’ancien Premier ministre charismatique Junichiro Koizumi et des tensions se sont créées avec le partenaire traditionnel du PLD, le Nouveau Komeito, parti bouddhiste et pacifiste, qui s’oppose à l’énergie nucléaire.

A contrario, si le principal parti d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ) maintient une position officielle anti-nucléaire, des factions proches des syndicats de travailleurs redoutent la destruction de milliers d’emplois. Enfin, la coalition de l’Association pour la restauration du Japon (ARJ) qui se déchire actuellement sur la question d’une réforme constitutionnelle, se divise entre ses deux factions principales, dont l’une, emmenée par Toru Hashimoto, maire démissionnaire et populiste d’Osaka, s’oppose farouchement au nucléaire.

Cette apparente complexité dans les positions officielles couplées avec le jeu des factions et la faible discipline parlementaire au sein des chambres ne contribuent guère à apaiser et éclairer le débat sur l’énergie nucléaire au Japon. On comprend dès lors pourquoi Shinzo Abe préfère se concentrer sur la réalisation de ses autres mesures en faisant passer la question énergétique pourtant primordiale au second plan des discussions.

Dès lors, la situation évolue lentement aux alentours de Fukushima où les familles habitant autour de la centrale continuent de vivre dans des logements provisoires en attendant une hypothétique décontamination. Pourtant, la catastrophe ne fait plus la une des journaux depuis longtemps et, si certains événements sont à même d’entretenir une opposition au nucléaire, celle-ci n’est pas assez organisée pour parvenir à se faire une place dans le débat politique. Passé l’hommage aux victimes du raz-de-marée de 2011, il n’y a pas eu d’empressement de la part des politiques pour améliorer la situation malgré la création d’un ministère de la reconstruction. Le trauma collectif existe bel et bien et le jeu politique a été totalement bouleversé par ces événements, mais l’on semble se diriger vers un oubli collectif des Japonais, qu’il soit volontaire – fatalisme face aux catastrophes – ou poussé par les dirigeants.

Ainsi, paradoxalement, les candidats qui ont axé leur campagne principalement sur la sortie du nucléaire ne sont pas parvenus à remporter d’élections malgré l’opposition farouche de l’opinion à la politique d’Abe. Par exemple, lors des élections à Tokyo en février 2014, Morihiro Hosokawa, candidat PDJ, et Kenji Utsunomiya, candidat soutenu par une coalition de gauche, n’ont remporté chacun que 20% des voix, loin derrière Yoichi Masuzoe, candidat soutenu par le PLD qui a préféré axer sa campagne sur les questions sociales.

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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