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10H12 - vendredi 6 juin 2014

25 ans après Tian’anmen : la « cinquième modernisation » chinoise toujours introuvable

 

Le 4 juin 1989, l’armée chinoise rétablissait l’ordre brutalement sur la place Tian’anmen à Pékin en dispersant le mouvement pro-démocratique. La presse muselée et les journalistes étrangers expulsés, le chiffre des victimes de la répression reste à ce jour encore inconnu mais pourrait atteindre plusieurs milliers.

A l’étranger, ces évènements auront un retentissement important en dissipant l’espoir d’une transition démocratique pacifique du régime chinois. Au même moment, le bloc de l’Est commençait à vaciller sérieusement.

10 ans plutôt, le 5 décembre 1978, un jeune chinois, Wei Jinsheng, avait affiché son slogan pour une « cinquième modernisation » sur le « mur de la démocratie » près de la place Tian’anmen. Faisant écho aux « quatre modernisations » que venait de lancer Deng Xiaoping, cette étape devait inclure la reconnaissance des libertés individuelles et l’instauration de la démocratie en Chine… Si les évènements de Tian’anmen s’inscrivent dans cette perspective, qu’en reste-il aujourd’hui ? 

 

Manifestation étudiante sur la Place Tian'anmen 1989 © Jeff Widener

Manifestation étudiante sur la Place Tian’anmen 1989 © Jeff Widener

 

Le régime politique chinois n’a guère évolué malgré les déclarations de Xi Jinping, nouveau maître de la République populaire de Chine depuis le 14 mars 2013. Les opposants ne peuvent s’exprimer librement, les médias sont toujours strictement censurés, les mouvements sociaux naissants sont toujours réprimés, la situation des minorités ethniques toujours aussi précaire et la modernisation des structures économiques et financières a servi de prétexte à la mise en place d’un système généralisé de corruption au profit des cadres du Parti communiste chinois (PCC). Il y a 25 ans, à l’image de celui du grand frère soviétique qui s’effondrait alors, le Parti se déchirait entre sa faction conservatrice et sa faction réformatrice. Aujourd’hui, peu nombreuses sont les voix qui s’élèvent en son sein pour s’opposer au « Politburo ».

Plus que jamais, la « cinquième modernisation » démocratique de la Chine apparaît comme un mythe et les déclarations volontaristes de Xi Jinping en matière de moralisation de la vie politique et de lutte contre la corruption ne peuvent cacher l’obsession pour l’ordre chez les dirigeants chinois, obsession issue en partie des événements de 1989.

La « cinquième modernisation » démocratique de la Chine : un mythe

Quand Deng Xiaoping (1904-1997) devient le dirigeant de la République populaire de Chine en 1978, il rompt avec la l’idéologie autarcique de Mao Zedong et lance les « quatre modernisations » (industrie, agriculture, science et technologie, défense nationale). Le lancement de ce programme marque le début de l’ère des réformes qui devait permettre à la Chine de redevenir une grande puissance internationale. Le 5 décembre 1978, sur le « mur de la démocratie » près de la place Tian’anmen à Pékin, un jeune chinois, Wei Jinsheng, profitant du climat politique relativement ouvert après la purge de la « bande des quatre », affiche son slogan pour une « cinquième modernisation » : la reconnaissance des libertés individuelles et l’instauration de la démocratie en Chine contre le leurre de la politique officielle. Il est arrêté un an plus tard et passera 18 ans en prison avant d’être expulsé aux Etats-Unis en 1997.

Depuis, cette « cinquième modernisation » est demeurée lettre morte. Le mouvement démocratique de 1988-1989 a été réprimé dans le sang, mettant fin à toute ambiguïté concernant les desseins des dirigeants chinois pour leur pays : oui aux réformes économiques profondes et non à la remise en cause du pouvoir absolu entre les mains du PCC.

D’ailleurs, en 2008, les signataires de la Charte 08, dont Liu Xiaobo, professeur d’université et militant des droits de l’homme, sont emprisonnés ou inquiétés. Devenu le symbole de la répression chinoise après son incarcération pour « subversions », ce dernier obtient le prix Nobel de la paix en 2010.

Cette obsession pour l’ordre et la répression contre les réformateurs et les autonomistes continuent de guider l’action du Parti en Chine malgré l’ouverture rapide du pays. Dans les régions autonomes du Tibet, du Xinjiang ou de Mongolie intérieure, les identités culturelles ou ethniques sont mises à mal sans vergogne par une politique d’assimilation et d’immigration massive de chinois « ethniques » (Han). Le système judiciaire n’est pas indépendant mais soumis au PCC qui contrôle jusque la vie privée des citoyens. Les emprisonnements arbitraires sont monnaie courante de même que les assignations à domicile pour les dissidents les plus célèbres, comme l’artiste Ai Weiwei que les autorités ne peuvent pas faire taire en les emprisonnant dans une prison sordide ou en les « rééduquant par le travail ».

La Chine détient enfin le triste record du nombre d’exécutions de condamnés : les deux tiers de celles commises dans le monde ont lieu dans ce pays, selon l’ONG Amnesty International. Une trentaine de chefs d’accusation dont une dizaine de « crimes contre l’Etat » peuvent en outre conduire à la peine de mort.

Bien que la Chine soit signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis 1998 (elle n’a pas encore ratifié ce traité), et directement partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elle n’en respecte guère les clauses les plus fondamentales concernant la dignité humaine, les libertés fondamentales, l’égalité des citoyens et la justice. Contrôlant l’information et avec la plus grande efficacité grâce à son puissant système de censure qui diffuse une idéologie officielle dès l’école, les dirigeants chinois parviennent à maintenir la cohésion de leur Etat.

Est-ce parce que les nouvelles technologies de la communication diffusent l’information plus rapidement et sont de plus en plus difficiles à étouffer ? La lutte contre les dissidents, des intellectuels ou de simples citoyens en colère, se poursuit.

Xi Jinping : restaurer la confiance des Chinois envers le régime

Quand Hu Jintao est devenu président de la République populaire de Chine en 2002, il décide de renforcer la légitimité du pouvoir en place par l’accélération des réformes économiques, le lancement de projets d’infrastructures titanesques et le réveil de l’orgueil chinois par une politique nationaliste réhabilitant même les anciens symboles honnis de la Chine impériale et républicaine. A son départ en 2012, le pays était devenu la deuxième puissance économique mondiale derrière les Etats-Unis mais devant le Japon.

Malgré ce succès éclatant, les réformes économiques et financières et les changements rapides dans la société chinoise (enrichissement personnel, individualisme, urbanisation) ont provoqué des déséquilibres très profonds qui ont entraîné l’amorce d’une nouvelle contestation politique de la part à la fois des déshérités du miracle chinois mais également de la nouvelle classe moyenne chinoise. En effet, cette dernière aspire à plus de libertés individuelles afin se rapprocher des standards européens, américains ou japonais qu’elle côtoie, notamment en voyageant.

Si l’éducation idéologique et le contrôle de l’information parviennent encore aujourd’hui à canaliser cette opposition politique, les actions citoyennes parfois violentes contre les potentats locaux du PCC qui s’enrichissent sur le dos de leurs administrés (révolte de Wukan), contre l’exhibition largement ostentatoire de leurs richesses et les scandales financiers jusque dans les plus hautes sphères du Parti, contre les scandales alimentaires et sanitaires à répétition ou contre les problèmes environnementaux qui plongent les grandes mégalopoles chinoises sous un brouillard toxique, sont autant de signes qui peuvent conduire à un nouvel essor du mouvement démocratique en Chine. Les grèves et manifestations pour raisons sociales, environnementales et sanitaires se multiplient.

Il faut également ajouter à cette liste le terrorisme international qui est arrivé en Chine par des attentats commis par ou prêtés à des Ouïghours, une ethnie musulmane du Xinjiang, radicalisés par la politique brutale du gouvernement central dans leur région. L’incapacité des forces de l’ordre à enrayer ces actions brutales portent un coup très sérieux à la légitimité du pouvoir en place alors qu’il assure pouvoir protéger le pays contre n’importe quelle menace.

Devenu le nouveau président de la République en mars 2013, Xi Jinping a cherché à enrayer cette dynamique contestatrice par un discours axé sur la lutte contre la corruption, la moralisation de la vie politique et publique mais également par un discours fortement teinté de nationalisme et par la définition d’une doctrine expansionniste contre ses voisins, Japon, Philippines et Viêtnam en tête. 

En corrigeant les défauts de son administration et en détournant les Chinois des problèmes internes par une politique étrangère agressive, Xi Jinping cherche finalement le statu quo et/ou à détourner les Chinois des vrais maux du régime. Il a ainsi lancé une grande campagne anti-corruption, qui aura conduit à la condamnation de Bo Xilai, l’ex-homme fort de la ville de Chongqing et rival potentiel à la présidence, et à la disgrâce du tout puissant chef de la sécurité, Zhou Yongkang, ainsi qu’une grande campagne contre les réseaux mafieux et de prostitution afin d’écarter les éléments impliqués dans les scandales financiers mais qui constituent également ses principaux rivaux politiques.

Le 4 juin 2014, vingt cinq ans après la répression de Tian’anmen, tout était calme à Pékin. La police avait quadrillé la zone et la censure a bloqué sur les réseaux sociaux chinois tous les mots clés susceptibles d’être reliés à ces événements.

Bercée dans l’idéologie officielle depuis l’enfance, la grande majorité des Chinois s’étonne toujours des critiques qu’elle entend (quand elles arrivent à leurs oreilles) pour un événement qu’ils ignorent pour la plupart totalement.

Tout va bien dans l’Empire du Milieu et le portrait de Mao reste accroché sur les murs de l’ancienne Cité interdite impériale … Jusqu’à quand ?

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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