International
14H09 - samedi 7 décembre 2013

« Il faut payer le prix de notre liberté en donnant de l’indépendance aux développeurs, aux associations et aux entreprises qui contribuent à l’écosystème du libre »

 

Dans le cadre de la Social Good Week (du 7 au 15 décembre dans les grandes villes de France), Bastien Guerry, Sylvain Lebon et Frédéric Bardeau organisent un « hackadon » le 11 décembre prochain. L’objectif de la soirée : soutenir les logiciels libres en leur faisant des dons. À cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec Bastien Guerry sur ce mouvement du « libre ».

 

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Qu’appelle-t-on logiciel « libre » ?

 

Un logiciel libre est un logiciel que les utilisateurs peuvent exécuter, dont ils peuvent étudier et modifier le code source puis redistribuer librement les versions modifiées. Ces quatre libertés sont inscrites dans les licences libres. Les « libristes » sont ceux qui défendent l’idée qu’il faut garantir ces libertés aux utilisateurs.

On peut dire que le logiciel libre est né deux fois : une première fois, avant les années 1980, quand tous les logiciels étaient de facto utilisables et redistribuables par les universitaires qui en avaient besoin (car leur coût était dérisoire par rapport à celui des machines sur lesquelles ils travaillaient) ; une deuxième fois, au début des années 1980, lorsqu’il a fallu défendre activement les pratiques de partage contre les éditeurs de logiciels qui se sont mis à restreindre les usages des logiciels, par le biais du droit d’auteur et des fameuses Conditions Générales d’Utilisation.

C’est Richard Stallman, alors informaticien au MIT, qui a lancé le mouvement du libre, en trois étapes : en 1984, il lance un projet de système d’exploitation libre (appelé GNU pour « GNU is not Unix ») ; en 1985, il crée la Free Software Foundation ; et en 1989, la FSF publie la licence libre GNU General Public License, actuellement la plus utilisée des licences libres.

C’est aujourd’hui un mouvement très vaste et très divers, qui va bien au-delà de la FSF, et que nombre d’internautes côtoient sans s’en rendre compte : Firefox, LibreOffice, VLC, Linux, tous sont des logiciels libres, dont on ne perçoit souvent que la gratuité…

 

Mais peut-on « vendre » des logiciels libres ?  Existe-t-il actuellement des modèles économiques autour du libre ?

Il est possible de vendre des logiciels libres – c’est d’ailleurs ainsi que Richard Stallman a financé le développement de son éditeur de texte Emacs.  Mais à l’heure du Web, ce n’est pas pratique, car un autre acteur pourra distribuer gratuitement ce que vous vendez.

Le libre a donc poussé à l’invention d’autres modèles de revenus, directs ou indirects.  Par exemple, des entreprises proposent des services : installation, formation, documentation, etc.  D’autres proposent à l’utilisateur de choisir entre une licence libre (qui oblige à partager les améliorations que l’on apporte au logiciel) et une licence non-libre (qui permet à l’utilisateur de ne pas partager ses améliorations avec la communauté, il « achète » alors ce droit.)

D’autres entreprises encore trouvent un intérêt économique à publier des logiciels libres : par exemple, les constructeurs d’imprimantes publient des « pilotes » libres pour que les utilisateurs du système GNU/Linux puissent se servir de leurs imprimantes.

Il y a un très grand nombre de modèles possibles.  L’important est l’accent mis sur la pérennité des solutions techniques, qui ne peuvent pas tomber entre les mains d’un seul acteur, et l’autonomie des utilisateurs, qui permet de faire marcher plus sainement la concurrence.

 

Si le marché permet déjà de produire des logiciels, pourquoi ce « hackadon » le 11 décembre ?

 

Parce que le marché ne fait pas tout et que les logiciels libres ne sont pas tous écrits par des entreprises.

Certains sont le fruit de passionnés qui codent pendant des heures de façon bénévole.  Beaucoup d’étudiants se jettent dans l’aventure parce qu’ils apprennent énormément en collaborant avec d’autres hackers, et sont contraints d’arrêter quand ils trouvent un emploi parce que tous n’ont pas la chance d’intégrer une entreprise qui développe du libre.

D’autres logiciels sont soutenus par des fondations : c’est le cas par exemple de Firefox, développé par la fondation Mozilla. Mais celle-ci dépend très largement du financement de Google.  Le jour où Google coupera les vivres, quid de Firefox et de l’écosystème qui s’est construit autour ?

Au final, le choix revient aux utilisateurs.  Ils ont pris l’habitude de payer pour des logiciels qui les privent de libertés, et de ne pas payer pour des logiciels qui leur en donnent.  Il faut faire le contraire : payer le prix de notre liberté en donnant de l’indépendance aux développeurs, aux associations et aux entreprises qui contribuent à l’écosystème du libre.

Et derrière cette ambition très vaste, le but du « hackadon » est surtout festif ! C’est l’occasion de rencontrer des gens qui ne connaissent rien au libre, qui veulent s’y intéresser, et qui se demandent comment contribuer.

 

Quels sont vos objectifs ?

Pendant la soirée, nous afficherons un « score » : la somme totale des dons faits par les participants.  Nous espérons atteindre un beau chiffre et donner envie à d’autres libristes d’organiser des hackadons un peu partout dans le monde.

Le second objectif, c’est évidemment de partager un moment d’échange, de découvertes de projets libres, de témoignages de donateurs et de développeurs…  Si cette bonne ambiance permet aux uns et aux autres de parler argent sans y associer les tabous habituels, ce sera gagné !

 

Est-ce que cette période de crise est un moment opportun pour demander de l’argent ?

Oui.  Car il y a deux crises : la crise économique, dont j’entends parler depuis que je suis né (et dont on se demande toujours si elle peut vraiment empirer !) ; et la crise inaugurée par Wikileaks, qui est à mi-chemin de la crise de confiance et de la prise de conscience : chacun se demande à quelle sauce le numérique le mange.  Est-ce que mon ordinateur transmet des informations à Microsoft ?  Est-ce que les résultats de Google sont les mêmes pour tous ?  Est-ce que mes mots de passe sont espionnés ?  Est-ce que ma webcam me filme ?

Le libre n’est pas un hobby de techniciens qui aiment co-écrire du code.  C’est un mouvement qui protège la liberté des utilisateurs. Plus nous sommes cernés par l’informatique, plus cet enjeu devient important.  Je crois que les utilisateurs en prennent conscience et qu’ils sont prêts à contribuer d’une façon ou d’une autre (temps, argent…), surtout si nous construisons des solutions ergonomiques pour faciliter ces formes de soutien.

 

Comment voyez-vous l’avenir du libre d’ici 15 ans ?

Le rêve des marchands de logiciels propriétaires est de nous faire payer pour des services « dans les nuages », comme si l’informatique n’était pas de ce monde. Ils veulent de l’informatique invisible et des systèmes utilisables par des personnes âgées et des bébés (songez à l’iPad…).

Dans quinze ans, soit nous aurons cédé à ceux qui veulent nous faire croire que l’informatique n’est qu’un problème de spécialistes, et nous aurons perdu beaucoup ; soit nous aurons soutenu financièrement les différents acteurs du libre et ceux-ci pèseront un peu plus dans la négociation de nos libertés.

À chacun de choisir… dès aujourd’hui !

 

• Liens utiles :

Social Good Week : http://www.socialgoodweek.com

Bastien Guerry : http://kickhub.com

Sylvain Lebon : http://openinitiative.com

Frédéric Bardeau : http://simplon.co

 

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