International
11H00 - mardi 26 novembre 2013

« La communication touche au cœur de la vie des gens »

 

L’ADEME et l’ARPP, l’autorité qui régule les pratiques et les messages des publicitaires, rendent public leur rapport annuel sur les usages de cette profession en matière d’argument écologique. La tendance de fond constatée ces dernières années se confirme : stabilisation de l’emploi de l’argument écologique et des abus. Le problème plus fréquent est l’emploi parfois abusif du terme « naturel » pour vanter des produits qui ne le sont pas tout à fait.

Entretien avec Thierry Libaert, professeur de communication à l’université de Louvain (Belgique), membre du Comité Economique et Social de l’Union Européenne, ancien vice-président du Conseil Paritaire de la Publicité, organe de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), membre du think tank de la Fondation Nicolas Hulot, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages.

 

Thierry Libaert

Thierry Libaert

 

Thierry Libaert, vous publiez « Communication(s), vingt ans d’articles de références » (Dunod). Etes-vous d’accord avec ceux qui considèrent que la communication est l’art du mensonge ?

 

livrelibaertNon, mais la communication a beaucoup été dévoyée et peu d’acteurs croient en une communication sincère. A l’heure où la transparence devient une exigence et une valeur absolue (« tout doit être transparent »), à l’heure où la défiance l’emporte sur la confiance, on parle plus d’une mise en scène de la transparence par la communication. D’autre part, on a trop voulu que la communication soit la solution à tous les problèmes alors qu’elle a ses propres limites.

La communication n’a pas pour finalité ultime de vendre mais de donner toute sa force aux dimensions qui lui sont pourtant intrinsèques (on parle bien de « com » munication) : échange, participation, concertation, dialogue. La communication commence dès lors qu’il y a rétroaction, échange.

 

Vous êtes spécialisé des enjeux de communication dans le développement durable. Trouvez-vous normal qu’une majorité de directeurs (rices) du développement durable aient été choisi (e) s parmi les directeurs (rices) de communication de ces mêmes entités ? Comme si changer les process de production, prendre en compte des impératifs environnementaux et changer en profondeur des entreprises ou des collectivités relevait surtout de la communication.

De prime abord, ce n’est pas sain car cela assimile le développement durable à de la communication. Mais si l’on comprend le développement durable comme ce dialogue entre les trois sphères de l’économique, du social et de l’environnemental, le responsable de la communication, par son travail d’écoute des parties prenantes, est à même de formuler des propositions pour le management d’une organisation. Je suis donc sceptique mais je n’exclus pas l’intérêt de cette double fonction. Tout dépend comment le directeur(rice) de la communication et du développement durable conçoit son métier : j’ai par exemple connu Jean-Pierre Bourdier à EDF qui distinguait bien les deux sphères et utilisait la communication pour faire avancer le développement durable et non l’inverse.

 

Dans le même ordre d’idée, pourquoi est-ce un communiquant comme vous qui vient de faire adopter un rapport au Comité Economique et Social de l’Union Européenne sur l’obsolescence programmée?

 

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source : tlibaert.info

Au départ, j’ai proposé une telle étude sur l’idée d’une meilleure information du consommateur et de l’affichage sur les produits : le spectacle quotidien de ces consommateurs pris au dépourvu par leur machine à laver qui tombe subitement en panne et qui se voient rétorquer « nous n’avons plus la pièce de rechange, rachetez donc une nouvelle machine » était pour moi une question d’information. Et puis, en avançant dans le travail, il est apparu que des problématiques environnementales et sociales entraient en ligne de compte, que des enjeux plus fondamentaux pouvaient seuls déterminer l’amélioration de la relation entre le consommateur et l’entreprise.

Au final, ma démarche plus interactive de communicant a servi et nos recommandations sont de trois ordres : l’interdiction de l’obsolescence programmée, organisée et calculée de l’arrêt de vie des produits. Ces puces électroniques qui programment la panne définitive de l’imprimante à la 5.000ème copie doivent être interdites. L’information sur la durée d’utilisation et sur les réparations doit être améliorée. Enfin, le vendeur doit garder les pièces de rechange pendant 5 ans. Au-delà de ces recommandations qui devraient déboucher sur une directive européenne, l’enjeu économique est de taille avec un secteur de la réparation créateur d’emplois. Et ce sont les pauvres qui souffrent le plus de l’obsolescence des produits du quotidien : ce sont les produits les moins chers, d’entrée de gamme, qui tombent en panne le plus vite. Autre implication : il est peut-être préférable de louer des produits que de les acheter pour une durée de vie si limitée. Ce qui renvoie à cette idée un peu révolutionnaire d’une société de l’usage plus que de la propriété. Vous le voyez : la communication touche au cœur de la vie des gens et des process d’entreprise et n’est pas seulement une question de message et d’information.

 

Un secteur a connu une révolution au regard des enjeux de l’obsolescence des produits : les ampoules. Le secteur a totalement abandonné les ampoules classiques pour imposer aux consommateurs de nouvelles ampoules présentées comme ayant une vie illimitée. Voilà un secteur qui a fait sa révolution au nom de préoccupations environnementales et sociétales tout en exagérant un peu sur sa communication concernant la durabilité de ses produits.

Effectivement, et d’ailleurs, l’obsolescence programmée a démarré en 1924 avec la constitution du cartel de Phoebus : les fabricants d’ampoules se rendent compte qu’ils fabriquent des ampoules qui durent cent ans, ce qui n’est pas tenable comme modèle économique, et décident de fabriquer des ampoules qui durent deux ans. Aujourd’hui, le secteur évolue à nouveau mais sous la pression des associations de consommateurs et d’environnement. Ce qui en dit long tout de même sur les changements de paradigme auxquels on assiste actuellement.

 

On connaît le « green washing » mais on parle moins de « fair washing », de ces entreprises qui affichent des normes éthiques et qui violent les libertés fondamentales, notamment le droit social, dans leur processus de production, surtout dans le cadre de leurs filiales dans les pays émergents. Par exemple, une enquête préliminaire est en cours en France concernant Samsung qui aurait embauché des personnes sous-payées en Asie alors que sa communication en France vante le respect des normes sociales.

Cette notion émerge peu à peu. Mais revenons sur le green washing tout d’abord. On constate une inversion de tendance : de 2006 à 2009, l’argument environnemental dans la publicité a été multiplié par cinq et l’année dernière, son emploi a diminué de 30%. Les entreprises ont été trop loin, l’argument s’est banalisé et, il faut le reconnaître, la préoccupation environnementale a diminué dans la société française. D’autre part, et on en aura la confirmation fin novembre, le prochain bilan de la publicité environnementale publié par l’ADEME et l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), montre une stabilisation des manquements : les entreprises ont compris les recommandations de la profession et des autorités et ont compris qu’il ne fallait pas aller trop loin. Bref le green washing se stabilise.

Le « fair washing », lui, augmente à la faveur de l’augmentation de la préoccupation sociale. Mais tout cela est-il si grave ? Pour ma part, je crois dans la notion de « prophétie autorégulatrice ». Je m’explique : le rôle de la communication n’est pas que de faire savoir, mais aussi d’afficher une ambition. Ce qui pousse en soi les acteurs à changer leurs comportements. L’affichage environnemental des entreprises, que certains dénoncent comme du « green washing » en soi, a été une façon aussi d’afficher une ambition, de s’exposer, de prendre des risques, de pousser vers le haut les collaborateurs (rices) et de changer, jamais assez il est vrai, mais tout de même fortement, le management, les process et parfois les produits de ces entreprises. Bref, malgré les excès que je suis le premier à dénoncer, la communication a pu aussi servir le développement durable.

 

Votre réflexion me fait penser à ces grandes entreprises qui ont beaucoup communiqué sur la diversité tout en diversifiant leur management, ce qui, ces dernières années, a été un des rares messages positifs délivrés par la société française en matière d’immigration.

C’est un exemple effectivement de la dynamique qu’une communication bien entendue peut créer.

 

Qu’est ce qui a changé depuis vingt ans dans les rapports entre la communication et la société ?

L’émergence des réseaux sociaux est évidemment le premier grand changement mais ils ne sont qu’un outil de plus. Selon moi, la défiance généralisée à l’égard de tous les discours, publics, privés, surtout en période de crise, est une nouveauté majeure. Les affaires du sang contaminé, de Tchernobyl, de la vache folle, de l’amiante et d’autres ont profondément affecté la confiance dans la parole des organisations. Ensuite, plus que jamais dans le passé, nous sommes prisonniers du court-termisme : la programmation, qui était un axe déterminant de toute stratégie de communication, a beaucoup diminué. Or la réputation d’une entreprise, d’un homme politique, c’est une question de long terme, cela se construit dans le temps. Quatrième élément, j’évoquerai le poids de la finance : 46 000 sociétés cotées en Bourse dans le monde sont dans une hyper-concurrence avec des pressions surtout de court terme. Ces éléments interagissent fortement comme une spirale dangereuse pour la communication et pour le monde. Enfin, le poids du juridique, la judiciarisation de la communication a introduit de multiples contraintes..

 

Donnez-nous un exemple de cette nouvelle communication qui s’adresse surtout au public des fonds de pension et des actionnaires…

Nous en avons de nombreux exemples lorsque des entreprises publient leurs résultats annuels parfois excellents et dans le même temps annoncent des plans de restructuration parfois sauvages. C’est un message adressé aux marchés financiers au risque de braver l’opinion. Nous en avions eu aussi des exemples lors de communication de crise, notamment lors du naufrage de l’Erika, le 12 décembre 1999. Le premier discours de Total ne s’adressa pas à l’opinion publique ou aux habitants qui voyaient leurs côtes souillées mais à ses actionnaires : « nous ne sommes pas juridiquement responsables », ceci pour éviter avant tout l’effondrement de son cours de Bourse. Et cela a marché puisque Total a surperformé ses résultats boursiers dans l’année qui a suivi et dégagé les plus forts bénéfices jamais réalisés par une entreprise française. La communication a servi surtout à rassurer les actionnaires. Le directeur de la communication de Total m’avait confié à l’époque : «  les Français ne nous aiment pas… Et alors ? » Cela a le mérite de la franchise.

 

Pour aller plus loin :

– http://tlibaert.info

– le nouveau rapport de l’ARPP : http://www.arpp-pub.org/6e_rapport_pub_environnement.html

 

Propos recueillis par

 

Directeur de la publication

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