International
11H18 - vendredi 25 octobre 2013

Jean-Pierre Sueur : « Ce serait une négation de nous-même si en France prospérait une remise en cause des principes hérités de 1789 ».

 

Le sénateur du Loiret (Centre) et président de la Commission des lois a répondu à nos questions. L’interview, effectuée le 10 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort a été complété suite aux révélations du Monde sur les écoutes de la NSA.

 

Le sénateur du Loiret et président de la Commission des Lois, Jean-Pierre Sueur

Le sénateur du Loiret et président de la Commission des lois, Jean-Pierre Sueur

 

Aujourd’hui, 10 octobre, c’est la journée internationale contre la peine de mort. Quels souvenirs gardez-vous de l’abolition en 1981 et pensez-vous comme Robert Badinter qu’elle soit irrémédiable ?

 

J’ai été député en 1981. Hier (NDLR : l’interview a été réalisée le 10 octobre), j’ai présidé une séance sur l’Afrique et le Moyen Orient et j’ai rappelé les propos de Robert Badinter en 1981 : « J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France. » Ce fut un moment très fort car Robert Badinter avait connu de près ce qu’étaient les exécutions au petit matin. Il avait été marqué par le discours de Victor Hugo qui avait parlé avec beaucoup d’éloquence de l’abolition en 1848 devant les députés. Je sais l’énergie qu’il déploie pour rendre l’abolition universelle. En France, je pense effectivement que le mouvement est irréversible.

 

La ministre de la Justice a présenté un texte sur la réforme pénale qui fait l’objet d’un grand nombre de critiques de la part de l’opposition qui considère ce projet de loi comme étant « laxiste » et qu’il va conduire à « vider les prisons ». Qu’en pensez-vous ?

 

C’est faux. La réforme de Christiane Taubira est non seulement juste mais elle est aussi nécessaire car la politique précédente qui s’est traduite par une accumulation de lois s’est révélée contradictoire. La mise en place des peines plancher ont eu pour conséquence de remplir les prisons. Du coup, les promoteurs de cette politique constatant qu’elle était intenable ont mis en place une autre loi qui stipule qu’en dessous de deux ans il peut y avoir des aménagements de peine. Au 1er octobre, selon les chiffres du ministère de la justice, on estime à 99 600 le nombre de personnes condamnées à la prison ferme en attente d’exécuter leur peine.

Cette politique est en outre inefficace car la récidive ne cesse d’augmenter et on laisse croire que la seule solution qui existe serait l’enfermement. Il est faux de laisser penser que toute peine doit valoir une peine de prison. La prison est nécessaire – nous ne contestons pas cela car Christiane Taubira a annoncé la création de 6 500 places supplémentaires qui elles sont financées – mais quel doit être le rôle de la prison ? Elle doit sanctionner, protéger la société mais aussi préparer la réinsertion des détenus. Aujourd’hui, 81% des sorties sont des sorties « sèches » : la personne se retrouve sur le trottoir sans logement, sans travail, éloignée de tout milieu affectif ou familial.

Au cours du précédent quinquennat, on a constaté que la récidive a augmenté malgré le durcissement de la loi. On a constaté qu’il y avait plus de récidive après des sorties sèches qu’après des aménagements de peine. Donc, il faut une diversité dans les peines. Il peut y avoir des peines sous forme de travail d’intérêt général, sous forme de contrainte avec des obligations fermement établies, de bracelets électronique plutôt qu’un système où il n’y a pas assez d’alternative à la détention et qui ne fonctionne pas. Ce qui était laxiste, c’était cette politique car on aboutit à ce que la récidive augmente toujours.

Quant à l’image laxiste que l’opposition colle à Christiane Taubira, cela relève pour moi du réflexe pavlovien.

Enfin, pour ce qui est du calendrier, j’ai indiqué dans un entretien au Monde au mois d’août qu’il ne fallait pas différer l’examen de cette loi comme si nous donnions le sentiment de nous excuser. Il faut expliquer pourquoi elle est beaucoup plus réaliste que les lois précédentes. Elle sera examinée le 8 avril à l’Assemblée nationale. Pour ce qui est du Sénat, notre rapporteur prochainement nommé et je l’inciterai à commencer le travail parlementaire dès maintenant.

 

On reporte donc l’examen de la loi après les élections municipales…

 

Je voudrais que dès après les élections municipales elle soit votée dans des délais raisonnables de manière à ce qu’elle soit  mise en place le plus vite possible. J’ajoute que le fait que le Premier ministre ait annoncé la création de 1000 emplois supplémentaires, dans le cadre de la réforme pénale pour 2014, 2015 et 2016 est une très bonne chose car cela nous permettra d’avoir le personnel nécessaire pour faire appliquer cette nouvelle loi. Si l’on veut un suivi des gens en milieu ouvert ou en sortie de détention, il est indispensable d’avoir les moyens pour mettre en œuvre cette loi.

 

Pensez-vous que le gouvernement soit également convaincu de l’importance de cette loi ?

 

Cette loi engage tout le gouvernement.

 

Le non cumul des mandats a beaucoup occupé les parlementaires ces dernières semaines, pouvez-vous nous indiquer ce que cela va changer ?

 

Je suis un ardent partisan du non cumul. La loi n’a pas été majoritairement adoptée au Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale. Au sein du groupe Socialiste, 69 sénateurs ont voté contre le cumul et 31 pour. C’est un changement des mœurs politiques et ce sera mis au crédit de François Hollande. On a examiné cette question un mercredi. Le lundi et le mardi qui précédaient, nous votions pour une loi très importante pour l’égalité entre les hommes et les femmes et peu de sénateurs étaient présents. Mais, l’enchainement des textes à un rythme soutenu et le cumul des responsabilités ont pour effet que nous ne pouvons être tout le temps présents en séance. Or, il y a beaucoup de talents dans la société, je ne vois pas pourquoi la même personne devrait être le maire, le maire, président du Conseil régional ou général…

J’ajoute que l’on dit souvent que le cumul permet aux élus d’être plus proches du terrain. On peut être juste sénateur et être réélu au premier tour en 2011, ce qui est mon cas sans avoir aucun autre mandat car je m’efforce d’être proche de mes concitoyens.

 

 

Il y a un certain conservatisme chez les parlementaires ?

 

Une grande majorité a voté pour le non cumul. L’Assemblée aura le dernier mot, ce qui est conforme à nos institutions. Il s’agit d’un changement et comme tout changement il n’est pas toujours accepté mais je crois qu’il va rentrer dans les mœurs. On a été élu pour rendre encore plus démocratique notre société et je pense que répartir les mandats est une bonne chose.

 

Les Roms ont pris beaucoup de place dans les débats ces derniers temps et va être une question phare des élections municipales. Quelle est votre position sur ce sujet ?

 

La France est un pays d’accueil, où le droit d’asile existe notamment pour les personnes issues de l’Union européenne. Je refuse toute stigmatisation. Une circulaire a été signée en 2012 par plusieurs ministres dont Manuel Valls et Cécile aDuflot qui stipule que lorsqu’il y a des problèmes d’hygiène, d’insalubrité ou d’insécurité, on peut démanteler ces camps mais l’on doit toujours trouver une solution pour les familles. En France, nous ne pouvons tolérer que les enfants ne soient pas scolarisés et nous devons oeuvrer pour l’insertion. On ne peut pas dire que telle ou telle population serait par essence inassimilable et nous devons travailler étroitement avec els autorités roumaines ou bulgares.

 

Marine Le Pen ne cesse de progresser dans les sondages. Elle risque de connaître un grand succès aux élections européennes, comme d’autres partis d’extrême droite ou populistes dans toute l’Europe. Comment endiguer ce phénomène ?

 

Nous devons dire la vérité : le programme de Mme Le Pen est démagogique et irréaliste. Sortir de l’euro entrainerait de graves conséquences pour la vie des Français. Fermer les frontières se traduirait par encore plus de chômage. Il ne faut pour autant pas stigmatiser les Français qui votent pour le Front national. Nous avons pris des mesures difficiles car elles n’ont pas été prises avant. Expliquons pourquoi il faut diminuer la dette, pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour l’emploi et comment notre politique va en ce sens. Je n’ai pas d’autre remède.

 

Elle prospère sur le fait que l’Europe n’est pas unie sur différents sujets. Prenons le cas des réfugiés syriens. Le Haut Commissariat aux Réfugiés a plaidé pour que l’Union européenne accueille 12 000 réfugiés. La France a indiqué qu’elle allait en accueillir davantage sans en préciser le nombre exact…

 

La France doit faire son travail. Michel Rocard avait dit que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde mais qu’elle devait en prendre toute sa part. Il manque effectivement une solidarité européenne. La réponse à Marine Le Pen doit passer par une volonté européenne forte. Il faut une plus forte politique en matière d’immigration ou d’investissements d’avenir. L’Europe doit être le lieu où l’on investit dans l’université, la recherche et ne pas donner le sentiment que l’Europe donne toujours le sentiment que l’on ne se préoccupe que de déficits et d’austérité.

 

 

 

Suite aux dernières révélations du Monde lundi 21 octobre sur les écoutes de la NSA, la France a exprimé son indignation à juste raison, mais n’agit-elle pas de la même manière ? Quelle sont les suites à attendre de cette affaire ?

 

Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius, Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian ont bien fait de réagir fortement à la suite des révélations du journal « Le Monde ». Ces pratiques sont inacceptables. La France doit peser de tout son poids pour qu’il soit mis fin à ces intrusions massives et attentatoires aux libertés et au respect de la vie privée. Elle ne peut agir seule. Mais je constate que les réactions sont vives dans nombre de pays : la France peut et doit donc œuvrer avec beaucoup d’autres !

Le paradoxe, c’est que ces révélations ont eu lieu le jour même où, à l’occasion du débat sur le projet de loi de programmation militaire, j’ai pu faire adopter une série d’amendements, au nom de la commission des lois, pour accroître les moyens de contrôle du Parlement sur les services de Renseignement. J’ai aussi pu faire adopter un amendement très important sur les interceptions de sécurité et la géolocalisation : celui‑ci instaure des procédures strictes et protectrices des libertés grâce auxquelles on ne pourra plus connaître l’affaire des « fadettes », pour ne prendre que cet exemple.

Au vu des auditions auxquelles nous avons procédé au sein de la Délégation Parlementaire au Renseignement, que je préside cette année, je peux dire qu’il n’est pas fondé d’affirmer que les services français agiraient de la même manière que la NSA.

 

Pour finir, la France des droits de l’homme, qu’est ce que ça représente pour vous ?

 

La France est indissociable de l’idée des droits de l’homme. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est un texte fondateur que la France a offert au monde. Ce serait une négation de nous-même si en France prospérait une remise en cause de ces principes.

 

Propos recueillis par

Rédacteur en chef

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