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11H34 - vendredi 25 octobre 2013

Bruno Le Maire : « J’espère que le discours qui l’emportera à l’UMP ne sera pas celui du repli sur soi ».

 

L’ancien ministre et député de l’Eure nous a reçu pour un entretien. Il répond sur la politique migratoire et sur la montée des extrêmes dans toute l’Europe à l’approche des élections européennes. Bruno Le Maire indique également dans cet entretien, les risques que comporterait pour la droite de se laisser aspirer par les idées du Front national.

 

le maire

L’ancien ministre des Affaires européennes et de l’Agriculture, député de l’Eure, Bruno Le Maire

 

Jean-François Copé a annoncé mardi que l’UMP déposerait d’ici la fin de l’année une proposition de loi pour réformer le droit du sol. Le terme reste flou mais certains imaginent déjà que l’on ouvre la porte au droit du sang, une revendication phare du Front national. Qu’en pensez-vous ?

 

 

Il faut voir ce que deviendra cette proposition. Je souhaite pour ma part que l’on réponde concrètement aux attentes des Français en matière d’immigration.

 

Je suis en faveur d’un meilleur contrôle des flux migratoires. Pour cela, la première priorité est une application stricte de la loi républicaine. Il y a des lois sur le regroupement familial qui doivent être appliquées strictement. Je pense que l’on réglera beaucoup des problèmes liés à l’immigration en France si on commençait par appliquer strictement la loi, avant d’essayer d’inventer de nouveaux dispositifs. L’affaire Leonarda montre que lorsqu’on commence à transiger avec la loi et à diviser une famille entre ceux qui auraient le droit de rester et ceux qui doivent partir, comme l’a fait François Hollande, alors que loi stipule très clairement qu’aucun membre de la famille n’a vocation à rester sur le territoire national, on ouvre la voie à des critiques et au désordre. Cet épisode est une humiliation pour notre pays.

 

La deuxième proposition que je fais, c’est que l’on regarde attentivement toutes les voies de l’immigration, que l’on analyse quels sont les problèmes qui se posent et qu’on y applique des solutions très concrètes. Le droit d’asile  par exemple a explosé en France au cours des deux dernières années. Ce moins à cause des menaces pesant sur les étrangers dans le monde, qu’en raison de l’organisation de filières d’immigration clandestine, parce que notre pays est attractif de par son système de protection sociale et parce que certains rêvent de pouvoir y trouver facilement du travail. Je plaide pour que nous ayons une remise à plat de la procédure de droit d’asile qui permette de traiter beaucoup plus rapidement les demandes qui arrivent en France.

 

Premier élément de réforme, arriver, au niveau européen, à réduire la liste des pays considérés comme non sûrs, c’est-à-dire ces pays qui donnent le droit à un examen en procédure de droit d’asile. Par exemple, pour ce qui est du Kosovo, la question se pose de classer ce pays en pays sûr à partir d’aujourd’hui. En ce moment, des filières entières de Kosovars arrivent en demandeurs d’asile car le pays est encore considéré comme non-sûr. Voilà une bataille à livrer, plutôt qu’à livrer une bataille idéologique inutile.

 

Second élément, les demandes d’asile qui sont traitées en deux ans doivent pouvoir l’être en six mois. Je pense qu’il faut éviter les slogans et proposer des réponses concrètes et fermes. Je suis allé sur le terrain, et j’ai vu des agents de l’Office Français des Réfugiés Apatrides (OFPRA) qui font un travail formidable, en recevant les demandeurs d’asile, en traitant leurs demandes, en essayant de savoir si l’histoire qu’ils racontent est vrai ou non, mais leurs moyens sont totalement insuffisants. La Cour Nationale d’Appel sur la première décision en matière d’asile est également totalement engorgée. C’est insupportable, pour les agents comme pour les demandeurs. Au Président de la République de prendre des mesures drastiques et rapides pour donner à l’OFRA, à la Cour nationale du droit d’asile et à tous les autres organismes, les moyens de traiter les demandes d’asile en six mois ! Ce sera un progrès majeur ! Le traitement des demandes en deux ans est trop cher : les demandeurs d’asile sont logés, les enfants scolarisés, le tout au frais des Français l’Etat.

 

En second lieu, je trouve difficile à vivre, le fait que les enfants soient scolarisés pendant parfois plus de deux ans – comme dans le cas de Leonarda – puis arrachés à leur école. Humainement, ce n’est pas non plus acceptable.

 

Troisième élément de proposition : mieux contrôler notre système de protection sociale. La décision de l’actuelle majorité de supprimer toute franchise sur l’Aide médicale de l’Etat est une faute grave et incompréhensible. Les citoyens français doivent payer pour leur accès au soin – lors de leurs cotisations par exemple. Je ne vois pas au nom de quoi un étranger en situation irrégulière bénéficierait d’une aide médicale d’Etat sans avoir à payer quoi que ce soit. C’est un vrai scandale.

 

Voici donc les propositions que je fais. Il est évident aujourd’hui qu’une grande partie de la politique migratoire est  traitée à l’échelle européenne. Nous devons donc aussi pousser notre réflexion à l’échelle européenne, sur le fonctionnement de Schengen, sur l’amélioration du dispositif Frontex et sur la conditionnalité des aides que nous versons aux pays sources. Je ne vois pas en quel nom l’Union européenne verserait des aides à des pays sources comme la Tunisie ou la Libye alors qu’ils ne font aucun effort pour contrôler leurs flux migratoires.

 

 

Vous parlez de revoir la politique migratoire, notamment en matière de droit d’asile. Il semble que le gouvernement ait lancé un groupe de travail sur ce sujet. Des rapporteurs rendront leur travail à la fin du mois de novembre pour que l’Assemblée statue sur le sujet soit à la fin de l’année soit au début de l’année prochaine. Pensez-vous, dans l’état actuel des choses, que ce groupe de travail va dans le bon sens ?

 

 

Cela va dans le bon sens à cette réserve près que les groupes de travail sur le droit d’asile ont été très nombreux par le passé, et l’on sait ce qui bloque. Toute personne qui a passé comme moi du temps à l’OFRA sait parfaitement qu’il y a un problème de moyens, d’instruction des dossiers, de recrutement des interprètes, de nombre de magistrats en ce qui concerne la CNDA. J’attendrais donc du Président de la République qu’il prenne des décisions, et non qu’il réunisse des comités.  Je jugerai son travail au résultat ; arrivons-nous à traiter en six mois les demandes d’asile ? Il faut traiter ce sujet sans naïveté, en restant attaché très fortement aux principes républicains. Ce qui affaiblit le plus la République, c’est quand la loi n’est pas strictement respectée. Je suis d’accord pour accueillir quelqu’un de réellement menacé sur son territoire d’origine, mais pas quelqu’un qui a simplement contourné la loi. Accueillir quelqu’un parce qu’il est attiré par la gratuité totale de notre système de protection sociale, je m’y oppose.

 

 

A propos de Schengen,  là aussi, des propositions sont formulées, et ne sont pas toutes très claires. On a l’impression que certains voudraient le retour des douaniers à nos frontières pour le contrôle des flux migratoires.

 

 

Il y a évidemment une réforme en profondeur à faire concernant Schengen. C’est un succès sur la circulation des personnes entre les pays de l’Union, mais c’est un échec complet sur le plan du contrôle de nos frontières extérieures, avec les pays qui n’appartiennent pas à l’espace Schengen. Frontex est devenue une gigantesque administration qui ne prend aucune décision. Je ne vois pas non plus en quel nom on interdirait à un pays de se retirer en vingt quatre heures de l’espace de Schengen et de fermer ses frontières s’il l’estime nécessaire. Dans le cas de l’arrivée massive de migrants en Italie par Lampedusa il y a quelques années, j’estime que le France a le droit souverain de fermer ses frontières sans avoir à faire autre chose qu’en informer ses partenaires de Schengen. Il ne s’agit pas de les fermer définitivement.

 

Je souhaite également qu’en matière de délivrance de visa, celui-ci puisse être retiré à une personne n’ayant pas respecté un certain nombre de règles. Schengen est donc, sur le plan du contrôle des flux migratoires et de l’arrivée de migrants sur le territoire, un échec, et il faut en tirer les conséquences tout de suite. Ne pas en tirer tout de suite les conséquences, c’est faire la victoire de ceux qui demandent la fin définitive de Schengen, ce qui signifierait le repli des Etats sur eux-mêmes et la renationalisation de l’Europe.

 

 

Prenons un exemple concret, celui des Roms. Ils sont citoyens européens et donc, à ce titre, la libre circulation s’applique à eux également. Or, on a l’impression, tant à droite qu’à gauche que les reconduire à la frontière et leur retour en Roumanie ou en Bulgarie résoudrait le problème. Pourtant on voit que c’est ce que l’on fait depuis des années et ils reviennent s’installer sur notre territoire. La Commission européenne octroie 50 milliards d’euros aux Etats membres pour l’intégration des populations. Que faut-il faire à votre avis ?

 

 

D’abord, il faut constater que c’est un échec complet. C’est une politique qui a couté des milliards et n’a produit aucun effet. Je comprends l’indignation contre la bureaucratie européenne incapable d’obtenir des résultats à ce sujet. Lorsque les Roms ne trouvent pas de travail et se trouvent en situation illégale dans des campements illégaux eux aussi, je rejoins Manuel Valls et pense qu’il faut démanteler les camps selon la loi républicaine. Je souhaite aussi que l’argent dépensé pour l’intégration des Roms en Roumanie ou en Bulgarie serve bien ce but et non les gouvernements roumains ou bulgares, et que l’on en ait une preuve tangible. Ceci devrait être une condition de l’accès de la Roumanie et de la Bulgarie à Schengen. Car aujourd’hui, selon les rapports européens, les Roms continuent à être maltraités dans ces pays, en dépit des aides. Il faut donc, dans ce problème, il faut un bâton en plus de la carotte, en quelque sorte. Et ici, le bâton, c’est leur refuser d’intégrer l’espace Schengen.

 

L’Allemagne et les Pays-Bas ont déjà manifesté leur refus quant à l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans Schengen. La France vient de les rejoindre alors qu’elle n’y était préalablement pas opposée.  Ce « bâton » est donc brandi depuis déjà plusieurs années sans réel effet…

 

Sauf qu’aujourd’hui, le délai c’est janvier 2014 et la pression est très forte. Nous refusons donc dans l’état actuel des choses, l’entrée de la Bulgarie et la Roumanie.

 

Les élections européennes arrivent dans quelques mois et on assiste à une radicalisation des opinions dans tous les pays d’Europe et une montée des populismes. Comment endiguer ce phénomène de montée des extrêmes, et plus concrètement, qu’est-ce que cette montée des extrêmes pourrait changer au fonctionnement de l’Europe ?

 

J’espère tout d’abord que l’on n’attendra pas une vague aux élections européennes pour agir, car il sera déjà tard. On sait tous que les extrêmes ont fortement monté. Tous ceux qui sont sur le terrain et écoutent leurs électeurs savent qu’ils rejettent, pour de bonnes raisons, le fonctionnement européen. Je suis profondément européen ; je crois en l’avenir de ma France dans l’Europe. Mais comment ne pas être inquiet et surtout, dégoûté ? Ce n’est pas simplement que la politique européenne va dans la mauvaise direction. Il y a aussi un vrai vide du pouvoir en Europe. Rien ne nourrit plus les extrémismes, qui veulent occuper ce pouvoir vacant. L’Europe d’aujourd’hui n’a ni tête, ni cap, ni vision. Personne ne sait qui prend les décisions, ni qui en est responsable, qui serait sanctionné en cas d’échec. C’est tout le problème. Dans le cas de l’échec de l’intégration des Roms en Bulgarie ou Roumanie, de l’échec du contrôle des flux migratoires, personne n’est satisfait, mais personne n’est responsable. Il faut pouvoir définir les responsabilités politiques des uns et des autres, c’est la priorité absolue, pour que le citoyen ait un contrôle sur la politique européenne.

 

Deuxièmement, il faut redéfinir les objectifs stratégiques de l’Union Européenne. A quoi sert l’Europe ? L’objectif est-il d’instaurer une concurrence de plus en plus forte entre les pays européens au service du droit de la concurrence ? Ou est-ce que notre priorité absolue est de défendre les producteurs, quitte à revenir sur le droit de la concurrence ? Pour moi, nous devons être du côté des producteurs européens. Je plaide fortement pour qu’on défende les droits des producteurs européens, et donc nos emplois, et qu’on revienne sur le droit de la concurrence.

 

Troisième élément d’explication de cette crise grave que traverse l’Europe, quelles relations entretenons-nous avec les pays extérieurs à l’UE ? Quels sont nos intérêts stratégiques ? Comment faire pour que, sur nos opérations comme le Mali, la Libye, la Syrie, nous puissions avoir des réponses coordonnées plutôt que partant dans tous les sens ? Donc oui, l’Europe est en situation d’échec. Pour y répondre, il faudrait déjà le reconnaître. ET c’est à nous, politiques, de reconnaître que les choix faits n’ont pas toujours été les bons.  Si nous ne trouvons pas de solutions à ces trois problèmes, nous aurons inévitablement une montée des populismes en Europe.

 

 

Rendre la Commission européenne davantage responsable des décisions qui sont prises est une idée intéressante mais l’on ne trouvait pas grand monde, notamment à droite lors des dernières élections européennes en 2009 pour ne pas reconduire José Manuel Barroso à la tête de la Commission. En réalité cela arrange bien les Etats que la Commission ait un faible poids politique…

 

Certes, mais jusqu’à maintenant il n’était pas envisageable que dans l’un des plus grands pays européens, un parti d’extrême-droite devienne le premier parti. Hypothèse aujourd’hui envisageable en France, et cela change tout.

 

Pensez-vous qu’aujourd’hui, ce discours soit encore audible, à l’heure du repli sur soi, d’une envie moindre d’Europe ?

 

Je pense que tout l’honneur de l’UMP serait de défendre une autre Europe, et d’expliquer que c’est parce que nous croyons en l’Europe que nous voulons une autre Europe. J’espère que le discours qui l’emportera à l’UMP ne sera pas un discours de repli sur soi, car je crois profondément que le projet européen fait partie de l’ADN de notre famille politique.

 

 

Mais les sondages montrent les sympathisants UMP prêts à des alliances avec le Front national progressent. Les dirigeants du Parti sont donc obligés de prendre en compte cette radicalisation. Ne pensez-vous que cela soit inexorable ?

 

Je ne le pense pas. Rien n’est inexorable en politique, car la politique  c’est la volonté et non le suivisme.

 

 

Un mot sur les écoutes de la NSA ? Quelle est votre réaction là-dessus ? Que doit-on attendre de cette affaire ? On voit mal Obama s’expliquer sur les raisons qui l’on poussé à espionner la France et d’autres pays encore. La France elle-même n’aurait-elle pas pratiqué elle aussi ce genre d’écoutes ?

 

Pas de cette ampleur. Je pense que le gouvernement français a eu raison de demander des explications aux Américains. On ne peut pas laisser écouter nos citoyens, nos ambassades, nos communications diplomatiques, économiques, entre deux alliés. Il en va de notre souveraineté.

 

Propos recueillis par

Rédacteur en chef

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