Les exécutions au Vietnam avaient été suspendues depuis 2011. Elles ont repris cette année, et le chemin vers une abolition semble encore long. Vo Tran Nhat, secrétaire exécutif du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, répond à nos questions.
Qu’en est-il de la peine de mort au Vietnam, de ses conditions d’application, du nombre de détenus exécutés, de leurs crimes ?
Les chiffres étant classés secret d’Etat, il est difficile de les connaître. Toutefois certains peuvent être publiés dans la presse officielle. En moyenne, on peut estimer qu’il y a de 80 à 100 condamnations à mort par an. La suspension des exécutions, depuis 2011, en raison du changement du mode de mise à mort, a causé une accumulation des condamnés en attente de l’application de leur peine, et aujourd’hui on peut compter presque 590 personnes attendant dans les « couloirs de la mort » vietnamiens. Les condamnés sont en majorité des criminels accusés de meurtre, ou liés au trafic de stupéfiants, le Vietnam disposant en la matière d’une législation extrêmement sévère : 100 grammes d’héroïne sont suffisants à faire exécuter un homme. En revanche, les quelques articles concernant la « sécurité nationale » qui prévoient la peine de mort, n’ont pas été utilisés récemment à notre connaissance.
La peine capitale au Vietnam pose plusieurs problèmes. En premier lieu, les procès eux-mêmes, iniques. Les procédures sont profondément viciées, les verdicts généralement décidés à l’avance, et par conséquent, les procès ne sont jamais équitables. A cela s’ajoutent les conditions de détention. Les prisons vietnamiennes ont une terrible réputation, mais le sort réservé aux détenus en attente de leur exécution est épouvantable. Enchaînés à leurs lits, ils ne sont pas prévenus du jour de leur mise à mort, mais réveillés un beau matin pour être emmenés. Ils ne dorment généralement pas. Avec la suspension de 2011, des détenus ont attendu très longtemps, et attendent encore, d’être tués. Les cas de suicide et de folie se sont multipliés.
Vous évoquez le changement des modalités de mise à mort, adopté en 2011. Qu’est ce qui a changé ? Pourrait-on, dans une certaine mesure, considérer ce changement comme une forme de « progrès », un premier pas vers plus d’humanité ?
Auparavant, les condamnés étaient exécutés par fusillade, devant un peloton d’exécution. Dorénavant, les autorités vietnamiennes tueront par injection létale. Le discours du gouvernement est resté volontairement flou quant aux raisons de ce changement. Des conditions plus humaines de mise à mort ont été effectivement avancées. Seulement, cette réforme sert surtout à éviter les problèmes psychologiques qui s’étaient multipliés parmi les membres des pelotons d’exécutions. De surcroît, l’Union Européenne ayant refusé d’exporter les produits nécessaires à la fabrication de ces injections, le Vietnam a décidé de créer ses propres « produits ». Le résultat est que la dernière mise à mort, datant d’août dernier, a duré près de deux heures. Difficile dans ces conditions de parler de plus d’humanité.
Le mouvement abolitionniste vietnamien est-il fort ? Quels en sont les acteurs ?
En fait, le mouvement abolitionniste est assez faible. Ce n’est pas un vrai sujet de préoccupation pour les défenseurs des droits humains vietnamiens, qui se préoccupent plutôt de liberté d’expression ou de religion. La voix de Thich Quang Do*, portant avec lui la parole de l’Eglise Bouddhique Unifiée, s’était élevée, mais il s’est avéré qu’il était assez isolé. Le fait est que la population semble en majorité favorable à la peine de mort, et il n’existe pas au Vietnam de lobbying, de groupes de pensée qui pourraient amener le peuple vietnamien à s’interroger. Il y trois ans environ, le Ministre de la Justice Vietnamien s’était exprimé dans la presse officielle au sujet d’un éventuel maintien ou non de la peine de mort. Il n’en était rien sorti, car cela s’inscrivait dans une politique de séduction du gouvernement vietnamien à l’égard de l’Occident.
Comment expliqueriez-vous que la peine de mort soit si répandue en Asie ?
En Asie, les Etats ont privilégié davantage le développement économique lors des dernières décennies, et se sont moins intéressés aux évolutions en termes de droits humains. Les gouvernements ont, en quelque sorte, troqué les droits civiques et politiques des populations contre le droit économique de faire du business et de s’enrichir. Toutefois, au Japon ou en Corée du Sud, des mouvements abolitionnistes existent et sont actifs.
Le Vietnam est le dernier pays de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à appliquer la peine de mort. Pensez-vous que l’OIF, ou plus largement la communauté internationale, puisse faire pression sur le Vietnam pour l’abolition ?
L’OIF, n’ayant pas beaucoup de fonds, n’a pas vraiment d’influence. Les Etats membres en revanche, en particulier la France, ou le Canada et la Belgique, qui ont des capitaux, seraient susceptibles d’en avoir. Seulement, aujourd’hui, le Vietnam est en position de force, tant sur le plan géopolitique que commercial. C’est un pion crucial sur l’échiquier mondial que se disputent les grandes puissances. Il est donc assez peu enclin à procéder à des réformes de ce genre. Le Vietnam ne cédera sur ces questions que contraint et forcé. Et les deux plus grandes puissances mondiales continuent d’exécuter leurs condamnés, ne donnent pas l’exemple.
* Il s’agit de Thich Quang Do (85 ans), chef de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam. Il a été proposé pour le Prix Nobel de la Paix 2013. Il est actuellement détenu en résidence surveillée dans le Monastère Zen Thanh Minh à Ho Chi Minh Ville (Saigon), sans justification ni procès (il est en détention – prison, camp, exil intérieur ou assignation à résidence – depuis 1982, quasiment sans interruption).