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07H00 - jeudi 28 mars 2013

« J’ai rêvé la danse. Libre désormais, je vis la danse ». Rencontre au Centre National de la Danse avec le chorégraphe iranien, réfugié à Paris, Afshin Ghaffarian

 

OI : Pourquoi être venu en France ?

Afshin Ghaffarian : Lors d’un festival de danse en Allemagne auquel j’ai pu participer en octobre 2009, j’ai décidé de ne pas retourner dans mon pays. J’ai préféré la France parce que sa culture m’était familière. Je connaissais également Shahrokh Moshkin Ghalam, pensionnaire de la Comédie française, comédien et danseur franco-iranien qui m’a beaucoup aidé et dont je visionnais les vidéos de ses spectacles en Iran sur Internet. Très vite, le Ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, et la Directrice du Centre National de la Danse, Monique Barbaroux, m’ont accueilli et offert de vivre mon rêve : danser et chorégraphier des spectacles de danse.

OI : Peut-on danser en Iran ?

AG : Les Iraniens aiment danser mais le régime des Mollahs interdit officiellement  la danse. Il n’y pas d’école de danse, ni de spectacle officiel, sinon quelques représentations de danses traditionnelles de tribus nomades, notamment dans le sud de l’Iran.

Depuis 30 ans, la danse a toujours été le plus opprimé des arts : certes, la censure bride la musique, le cinéma, mais ils peuvent tout de même s’exercer. Pas la danse. Et moi, je voulais danser.

Alors, on utilisait des subterfuges, des masques : lorsque je me suis rendu en Allemagne fin 2009, c’était officiellement pour un spectacle de théâtre. En fait, du théâtre corporel.

OI : Pourquoi cet interdit ?

AG : C’est l’expression corporelle qui gène les autorités. Leur interprétation erronée et excessive de l’Islam les conduit à contrôler et tend ainsi à faire disparaître les corps de toute expression publique. Ils ont peur du corps.

OI : Vous êtes réfugié en France, vivez-vous désormais de votre art ?

AG : Le Centre National de la Danse m’accueille, m’apprend le métier de chorégraphe et me permet de réaliser mes premières créations. Le théâtre dansé m’intéresse. Mon premier spectacle, « le cri persan », créé en 2010 en relation avec mon parcours, sera repris à partir du 30 novembre à Pantin. Je travaille aussi pour 2012 sur une nouvelle de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal : « une trop bruyante solitude ». J’ai également créé ma propre compagnie, « La Compagnie Des Réformances ».

OI : L’art est-il politique selon vous ?

AG : Je ne suis pas un politicien mais je me sens engagé. Je crois plus à un art engagé que politique. Une œuvre d’art délivre un message universel plus qu’elle ne dénonce une situation donnée, dans un pays par exemple.

OI : Mais pourriez-vous danser pour dénoncer le régime iranien ? Pourriez-vous par exemple danser ou chorégraphier d’après le Boléro de Maurice Ravel (dont la puissance et le tempo pourraient annoncer une révolution) devant l’ambassade d’Iran à Paris pour attirer l’attention du public ?

AG : Vous savez, les autorités iraniennes se déplacent aux spectacles des artistes réfugiés iraniens et en repartent habituellement peu joyeuses. Le Théâtre national de Chaillot, dédié à la danse, est juste à côté de l’ambassade d’Iran. Mais c’est une bonne idée, on pourrait y penser. Vous savez, je rêve de retourner dans mon pays et je sais que je le ferai un jour prochain lorsque tombera ce régime comme on l’a vu en Tunisie.

OI : Un mot pour interpeller l’opinion internationale ?

AG : J’ai toujours en moi ce texte du grand poète iranien Sadi (ou Saadi – Mushrif ud Din Abdullah) :

« Les hommes sont les membres d’un même corps, ils furent créés à partir de la même essence.

Si le destin venait à faire souffrir l’un d’eux, les autres membres ne connaitraient pas le repos.

Toi que le malheur des autres laisse indifférent, tu ne mérites pas d’être appelé Homme. »

Propos recueillis par Michel Taube

Gros plan sur le Centre National de la Danse : Une institution au service de la liberté des artistes

Le Centre National de la Danse a pour vocation de soutenir la création et la culture chorégraphiques, former les professionnels de la danse et leur permettre d’exprimer tout leur talent. Mais cette mission vise aussi parfois à aider des artistes danseurs et chorégraphes à se libérer des carcans politiques ou sociaux qui les empêchent, dans leur pays, d’avancer dans leur art.

«Le CND accueille en résidence de formation des artistes cubains, haïtiens, africains », nous confie Monique Barbaroux, Directrice du CND. « Afshin Ghaffarian est l’un de ces résidents et nous voyons comment, en un an et demi, Afhsin s’est non seulement éveillé à la liberté grâce à la danse et combien il se plaît en France, avec une maîtrise presque parfaite du français acquise en si peu de temps.

Le CND a par exemple accueilli Ahmed Taigue venu du Tchad dont le destin est émouvant et qui a monté au CND une œuvre quasi autobiographique », nous explique la Directrice : « dans la région du Darfour, sa maman l’a déguisé en femme étant petit pour qu’il ne soit pas pris comme enfant soldat.

Au-delà des personnes, nous recherchons dans les pays instables ou en difficultés des institutions locales ou des compagnies que nous pourrions suivre dans la durée : les Studios Kabako de Faustin Linyekula (Congo-Kinshasa), Omar Rajeh au Liban.

La Tunisie est un bon exemple des actions internationales du CND : nous soutenons depuis plusieurs années les chorégraphes Radhouane El Meddeb et le couple Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou,  dont le CND montrera leur nouveau spectacle en novembre, « KAWA ». Je l’espère, la révolution de Jasmin permettra à la danse de prendre son envol et de voir éclore des institutions arabes de danse », conclut Madame Barbaroux.

MT.

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