International
14H48 - samedi 16 février 2013

Brésil : la pacification à bout portant

 

En novembre 2011 le gouvernement brésilien a entrepris des mesures de pacification des favelas d’une ampleur jamais vue à Rio de Janeiro. Le pays a encore beaucoup à faire en terme de sécurité avant d’accueillir la coupe du monde de Football en 2014 et les JO en 2016…

 

La Favela de Vidigal partage sa plage avec le Sheraton Hotel, à deux pas de la plage bobo d'Ipanema.

La Favela de Vidigal partage sa plage avec le Sheraton Hotel, à deux pas de la plage bobo d’Ipanema. © Opinion Internationale

Le prince Harry était dernièrement en visite dans l’une des favelas du « Complexo do Alemão » à Rio de Janeiro. Les favelas sont très différentes des bidonvilles africains auxquels elles sont assimilées dans les médias en général. Elles s’assimilent plutôt à des quartiers « normaux » avec des maisons en dur mais sans routes, souvent accrochées sur la montagne dans les hauteurs des beaux quartiers comme à Rio ou en périphérie du centre-ville comme à Sao Paulo. La visite du prince aurait, selon les médias, été perturbée par des narcotrafiquants en colère (« les méchants »), arrêtés rapidement par la police (« les gentils ») pour permettre au Prince d’effectuer sa visite (visiter des favelas – ce nouveau phénomène qui se développe avec la pacification qui permet aux touristes de voir comment les « pauvres » vivent dans leur « habitat naturel »…).

 

 

 

La plus belle vue de Rio appartient aux habitants de Vidigal et Rocinha.

Les non-dits de la pacification des favelas

 

Malheureusement les médias ne relaient pas toujours la réalité de la situation au Brésil, où les mouvements de pacification ont parfois de douloureux impacts sur les habitants des favelas, et la police est loin d’avoir le beau rôle.

Economiquement d’une part, les habitants se voient contraints de racheter leur parcelle de terrain s’ils souhaitent continuer à l’habiter après la pacification, les montants trop élevés contraignent parfois les habitants à s’éloigner encore plus de leur travail et du centre-ville (alors qu’ils dépensent déjà la moitié de leur salaire dans les transports en commun, particulièrement chers au Brésil).

D’autre part les habitants subissent parfois des conséquences méconnues et littéralement inverses de cette volonté de « pacification ». Ceux-ci vivaient jusqu’à présent sous les lois des narcotrafiquants dans tous les aspects de leur vie quotidienne. La présence des malfaiteurs à la tête de la favela conféraient aux habitants une certaine protection (interdiction de molester un enfant sous peine d’exécution par exemple) et une sécurité tant qu’ils obéissaient aux règles imposées, aussi dures soient elles. Les habitants perdent cette protection avec la chute des trafiquants, pour être confrontés à un nouvel ordre, celui de la police, dans lequel les droits de l’Homme sont bien souvent bafoués.

On ignore souvent que la police en faction dans les favelas dites « pacifiées » s’accorde un pouvoir sans limite sur les habitants, dans un total irrespect des droits humains. Viols, exécutions arbitraires, tortures sont monnaie courante de la part de la police et très rarement réprimées, principalement à cause de la difficulté des dénonciations : qui croirait un bandit au profit d’un « gardien de la paix » ? Les habitants des favelas pacifiées sont désormais exposés à de nouveaux problèmes, souvent tus dans les médias brésiliens ou étrangers.

João (le prénom a été modifié), 34 ans, photographe à São Paulo: “La pacification est impossible à Rio de Janeiro, si un jour il y a pacification entre les favelas il y aura la guerre entre la police et la favela. Tout le monde connaît la violence policière. Elle entre dans la favela sans pitié tirant sur tout et tous, si quelqu’un meurt sans avoir rien à se reprocher, la police trouvera une faute à lui attribuer. Je trouve que police et voleur c’est la même chose, j’ai personnellement plus peur de la police que du voleur ».

 

 

En 2007 à São Paulo la Police tuait plus d’une personne par jour. © Vanessa Moracchini

La vérité sur les forces de l’ordre

 

Le Brésil est un des pays les plus dangereux au monde – quelles que soient les statistiques considérées, homicides, violences et autres attaques à main armée atteignent les plafonds des statistiques mondiales. Le Haut commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies s’est intéressé à l’origine et à la nature des homicides. Il a ainsi permis de soulever les problèmes de non-respect des droits humains, régulièrement bafoués par la police militaire (sur le terrain) et la police civile (administration). La corruption et le non-respect des droits humains sont bien évidemment le fait de certains policiers et non pas de la totalité d’entre eux.

La majorité des homicides n’ont pas lieu par hasard. La stratégie de guerre entre la police et les trafiquants est la première cause des exécutions extrajudiciaires au Brésil, ainsi qu’on a pu l’observer ces dernières années dans les favelas de Sao Paulo et de Rio de Janeiro, entre autres.

Dans de nombreux cas, la police est corrompue et participe directement aux activités illégales des narcotrafiquants. Ces derniers paient une taxe pour que les policiers ne s’impliquent pas dans leur trafic dans les favelas. En contrepartie, les policiers fournissent des armes ou rendent les drogues antérieurement confisquées et contribuent parfois à la libération de trafiquants.

La police protège souvent les plus importants narcotrafiquants. Pour cela les trafiquants arrêtés ou rués lors des pacifications sont souvent définis dans les médias comme de dangereux bandits même s’ils n’ont qu’une dizaine d’années. Ils ne sont en réalité pas les premiers acteurs du trafic mais bien ceux dont la police choisi de se débarrasser.

 

 

Praça da Sé, São Paulo. © Vanessa Moracchini

Les droits de l’homme toujours bafoués

 

Le Haut commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, destiné à protéger le respect des droits humains à travers le monde, mandate régulièrement des « special rapporteur » dans les pays où les droits de l’Homme sont susceptibles de ne pas être respectés (selon la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948).

Avec l’ampleur des violences, de la criminalité et des interventions policières dans les favelas ces dernières années, le Brésil nécessite plus que jamais l’intervention de l’ONU. Philip Alston est mandaté au titre de rapporteur spécial depuis 2004. Il a publié en 2009 le rapport de sa visite de 2007 durant laquelle il rencontra les officiels du gouvernement, la police et les personnes intéressées (habitants des favelas, familles des victimes etc.). Son rapport a permis de soulever les observations suivantes :

  • Les homicides sont la première cause de décès pour les personnes entre 15 et 44 ans. 70 % des homicides sont effectués par armes à feu (qui sont illégales au Brésil). Les disparus n’apparaissent pas dans les statistiques d’homicides (plus de 4 500 personnes à Rio en 2006).
  • Malgré cela, les homicides commis par la police en service n’apparaissent pas dans les statistiques. Ainsi, si le taux d’homicides officiel à São Paulo a diminué ces dernières années, le nombre d’homicides commis par la police a en fait augmenté. En 2007 à São Paulo la police tuait plus d’une personne par jour, à Rio 18 % des homicides ont lieu pendant les opérations policières.
  • L’observation de la classification des homicides perpétrés par la police comme « résistance (à l’intervention policière) suivie de mort » (11 000 entre 2003 et 2009 seulement pour Rio et São Paulo). Cette classification de « résistance suivie de mort » est synonyme d’impunité pour le policier auteur du crime. Une triste statistique qui n’apparaît pas dans le recensement des homicides au Brésil !
  • Après consultation de spécialistes et médecins légistes, Philip Alston découvrit que dans la majorité des homicides extrajudiciaires, les impacts de balles montraient des tirs (parfois multiples) dans la tête des victimes, et que ceux-ci avaient été effectués à bout portant. En mai 2006, suivant les révoltes dans la majorité des prisons de l’Etat de São Paulo, les assassinats, attaques de bâtiments publics et incendies de bus, la police supprima 124 « suspects ». Ces homicides furent classifiés comme « résistance suivie de mort » . 70 % de ces meurtres furent en réalité des exécutions (tirs à bout portants, trajectoire de la balle montrant que la victime était agenouillée).

A partir de ce moment là, il fut évident qu’il n’existait pas de « résistance à l’intervention policière » comme le stipulaient les rapports de police après les évènements. La classification de la mort de la victime comme « résistance suivie de la mort » légitime l’acte de tuer par la police et crée une tolérance de cette activité plutôt que la condamner. Ce sont véritablement des crimes, qui constituent des exécutions sommaires, extrajudiciaires et une atteinte aux droits de l’Homme.

 

Une condamnation des crimes impossible

Dans la plupart des évènements mentionnés, il n’y eut pas d’investigations et les preuves disparurent mystérieusement. Dans l’état de São Paulo 10 % des homicides sont présentés devant la Cour et seulement la moitié se terminent par une condamnation. Dans le Pernambuco (Etat relativement pauvre du Nord-Est du Brésil) seulement 3 % vont être présentés à la Cour. Bien entendu ces taux sont inférieurs encore dans les cas qui impliquent la police.

Un autre problème réside dans la grande unification entre la police militaire et la police civile, alors que ces institutions devraient être indépendantes : La majorité des affaires reste cachée jusqu’au terme de la prescription (20 ans pour les crimes).

Face à cette situation, les familles de victimes ont souvent peu de recours face aux forces de l’ordre et il n’existe que peu ou pas de protection des témoins.

En outre, l’Institut médico-légal brésilien Forense subi les pressions et manipulations de la police militaire et ne possède donc ni l’impartialité ni les ressources nécessaires pour effectuer son travail.

Philip Alston est revenu au Brésil en 2010 pour observer l’application de ses recommandations dans le respect des droits humains. Même si une amélioration a été notée, dans la majorité des cas les recommandations n’ont pas été suivies par le gouvernement brésilien. Le rapport d’observation rendu en décembre 2011 reste malheureusement à ce jour encore confidentiel. L’évolution de la prise en compte de ces mesures des droits humains sera décisive dans les prochaines années ou le Brésil se trouvera au centre d’évènements internationaux.

Le problème majeur est que ces méthodes et les exécutions extrajudiciaires qui en résultent sont souvent acceptées, voire soutenues par une importante partie de la population brésilienne. De plus, les citoyens sont persuadés que le système de justice criminelle est trop lent pour une poursuite des criminels efficace. Un signe original, mais révélateur, de cette mentalité : le succès populaire de la série de films Tropa de Elite narrant le quotidien musclé de policiers luttant, sans merci et sans trop de finesse, contre le crime.

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