Entretien avec deux représentants de François Hollande et Nicolas Sarkozy : Marie-Hélène Aubert, chef du Pôle Energie – Environnement – Développement durable de la campagne de François Hollande 2012 et Chantal Jouanno, sénatrice UMP, ancienne secrétaire d’Etat à l’écologie.
OI : Comment expliquez-vous l’absence de l’écologie dans les débats de l’élection présidentielle ? Les mots écologie et développement durable ne sont même pas prononcés dans les professions de foi du 2ème tour de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Les deux candidats s’en désintéressent-ils ?
M.-H.A. : la campagne s’est déroulée dans un contexte de crise multiforme pour de nombreux Français. On en a déduit à tort que les questions d’écologie du quotidien n’intéressent pas les citoyens alors que j’ai tenu de nombreuses réunions, notamment en territoire rural, où les salles étaient pleines.
C.J. : L’écologie est la grande oubliée du débat mais c’est le reflet d’une société qui s’en saisit moins : les campagnes publicitaires par exemple ne parlent plus d’écologie. Les sujets de crise ont pris le pas et il est dommage que le lien n’ait pas été fait entre les raisons structurelles de la crise et l’écologie.
M.-H.A. : Il n’est pas vrai de dire que François Hollande n’a pas parlé d’écologie : il a annoncé qu’il ferait de la transition énergétique un axe prioritaire et en a parlé à de très nombreuses reprises en évoquant la transition écologique de l’économie qui prévoit un effort accru pour la recherche et l’innovation, le soutien aux PME de l’économie verte, les énergies renouvelables… François Hollande a notamment annoncé le rééquilibrage du mix énergétique, un grand débat sur la transition énergétique, la sobriété et l’efficacité énergétique en préalable.
OI : on sort de l’élection présidentielle sans savoir véritablement où en est – et où va – la France quant à sa politique de développement durable.
M.-H.A. : c’est que notamment les objectifs de Grenelle n’ont pas été atteints, notamment avec le plan éco-phyto, la réduction des pesticides, les difficultés du secteur des énergies renouvelables, notamment dans le photovoltaïque. A partir de 2010, Nicolas Sarkozy a fait un virage brusque : le Grenelle II a déçu le Grenelle I. Et l’on a besoin désormais d’une politique beaucoup plus volontariste.
C.J. : la France est toujours très engagée pour l’écologie et l’environnement, notamment sur la partie énergie climat et énergies renouvelables. L’Etat y met globalement 10 Milliards d’€ par an. Vous savez bien que sur le photovoltaïque, on assistait à des comportement spéculatifs très nets.
Mais, plus fondamentalement, nous avons posé les bases avec Grenelle I d’une politique volontariste et ambitieuse pour de nombreuses années. je rappelle que la loi a été votée à l’unanimité. On est sur la trajectoire fixée avec les économies d’énergies, les objectifs de réduction des CO2, le renouvelable.
Nicolas Sarkozy a eu raison de ne pas faire semblant de réinventer des objectifs stratégiques et de rappeler le consensus qui s’est forgé sur le Grenelle I. L’heure est à la poursuite de la mise en œuvre de ces objectifs.
Alors, c’est vrai sur que sur l’aspect agricole, Nicolas Sarkozy a effectivement suspendu certains engagements au vu de la situation des agriculteurs.
Sur le reste et la globalité du Grenelle, Nicolas Sarkozy souhaite surtout que la forte impulsion donnée par le Grenelle I soit poursuivie.
M.-H.A. : je ne retrouve pas Nicolas Sarkozy dans vos propos. Le candidat de la droite a développé une vision très peureuse, austéritaire et renfermée des enjeux environnementaux ou de l’économie verte, très en recul par rapport à ses deux premières années de présidence. Il s’est cramponné au statu quo de l’industrie nucléaire présentée comme l’alpha et l’oméga de toute politique énergétique.
C.J. : c’est inexact, notamment sur l’Europe dont Nicolas Sarkozy développe une vision protectrice et très engagée sur l’environnement. La priorité est désormais à la réduction de la part des énergies fossiles et nous avons réussi à faire sortir la société française de l’opposition entre renouvelable et nucléaire pour promouvoir les deux sources d’énergie, le fameux mixte énergétique.
OI : quelles mesures concrètes et fortes proposent chaque candidat ?
M.-H.A. : Un grand débat sur la transition énergétique construira une feuille de route stable et un compromis qui débouchera sur une loi votée par le Parlement et qui fixera le cap en matière de mixte énergétique, de politiques d’efficacité et de sobriété énergétique. Ce débat sera décliné en régions car les spécificités locales doivent être prises en compte. L’avenir de l’énergie nucléaire sera posé.
Sans attendre l’issue de ce débat, nous lancerons le plan de rénovation thermique du bâti ancien avec les financements à la clé (mobilisation de l’épargne, certificat d’économie d’énergie élargie, fonds verts, sociétés d’économies mixtes dans les collectivités…).
Des mesures fortes seront prises pour les filières des énergies renouvelables car je maintiens qu’on est loin du compte. Les filières des énergies renouvelables attendent une politique beaucoup volontariste et un cadre stable pour se développer.
La tarification progressive de l’électricité et du gaz sera mise en place qui liera les enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Réduire la facture énergétique des Français, c’est leur donner du pouvoir d’achat.
C.J. : pour Nicolas Sarkozy, l’heure sera à la poursuite de la mise en œuvre de la feuille de route du Grenelle de l’environnement puisque je rappelle que les objectifs ont été fixés jusqu’à 2020. Les investissements d’avenir, dont une grand part porte sur l’économie verte, joueront également un rôle clé.
OI : sur le plan international, quels sont les enjeux du Sommet Rio + 20 en juin ?
M.-H.A. : ce Sommet viendra très vite après l’élection présidentielle. Nous voulons y apporter plusieurs éléments comme l’Organisation mondiale de l’environnement (OME).
Nous voulons surtout défendre, sur le plan international, l’économie verte comme l’un des leviers de sortie de crise pour les prochaines années. Nous voulons aussi lier le développement durable aux enjeux de solidarité avec les pays du sud.
C.J. : Nicolas Sarkozy a pris des engagement clairs sur l’international avec l’OME pour rééquilibrer le libre-échange, l’économie verte à l’international, les indicateurs de développement complémentaires au P.I.B. (dans le prolongement des réflexions entamées, à la demande de Nicolas Sarkozy, par Stiglitz, Amartya Sen et Fitoussi) et qui sont les seuls à même d’emmener avec nous les pays émergents. Le dernier enjeu, plus compliqué, concerne les Objectifs du millénaire. Je constate que l’eau n’est qu’un sous-sujet des enjeux environnementaux alors que l’on sait que l’eau sale est la première cause de mortalité dans le monde, on a là un vrai débat.
La question de la taxe carbone aux frontières européennes reste posée aujourd’hui comme celle d’une taxe sur les transactions financières qu’il faut élargir à de nouveaux pays.
Propos recueillis par Michel Taube