Edito
10H22 - mardi 21 mai 2024

Benoît de Ruffray : « Si nous ne rendons pas responsable le capitalisme, nous le mettons en grand danger. »

 

 

Benoît de Ruffray, PDG d’Eiffage et Président de FONDACT, a prononcé le discours de clôture des 9es « Rencontres pour l’épargne salariale » organisées par FONDACT, le 3 avril 2024, Maison de la Chimie, Paris VIIe.

« Le but de cette matinée consistait à échanger sur les leviers qui nous permettent de poursuivre dans la bonne direction. Je tiens tout d’abord à remercier les témoins, qui par leur vécu sont les meilleurs ambassadeurs de leviers puissants de partage de la valeur.

Nous avons constaté qu’à côté du dialogue parlementaire, qui connaît parfois des difficultés, il existe le dialogue social, or chez Fondact, nous aimons les deux, et nous préférerons toujours celui qui nous fera avancer.

Le modèle français est formidable : c’est un peu une exception culturelle, et s’il semble impossible d’harmoniser la fiscalité en Europe, je suis certain que nous pouvons exporter notre vision du partage de la valeur, car elle est source d’engagement au travail et témoigne de l’aventure collective qu’est l’entreprise. Par exemple, pour Eiffage que je dirige, plus de 60 % de nos collaborateurs étrangers adhèrent à nos dispositifs d’actionnariat salarié (80 % en France).

Autres évidences rappelées ce matin : le S et le G de l’ESG sont bien évidemment au cœur de l’épargne salariale. De plus, cette épargne s’inscrit dans le temps long, preuve que c’est un vecteur d’excellence pour le développement de la finance durable.

Pour ces raisons, nous allons continuer à promouvoir ces dispositifs et à faciliter leur déploiement à l’international, car ils sont vertueux. Ceci étant, nous devons rester vigilants afin d’éviter qu’ils soient rognés, voire reniés.

La prime de partage de la valeur, créée dans l’urgence, ne doit être adaptée qu’aux toutes petites entreprises, nous en sommes convaincus, ce qui suppose qu’elle disparaisse pour les entreprises d’au moins 10 ou 50 salariés, afin que celles-ci adoptent l’intéressement. C’est à la faveur d’une évolution prochaine de la fiscalité, rappelée ce matin par le ministre, que cette prime pourrait devenir pour les entreprises de plus de 10 salariés le “Cheval de Troie” vers le dispositif de l’intéressement.

L’intéressement naît toujours dans le dialogue social entre un employeur et ses salariés, réunis autour d’objectifs à atteindre et de moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. D’expérience, je puis affirmer que les meilleurs conseillers de l’employeur sont ses propres salariés. La mise en place d’un intéressement rend ce dialogue obligatoire, c’est là sa plus grande vertu.

J’appelle également de mes vœux l’inscription, dans la notation extrafinancière des entreprises, de la mention de l’existence d’un dispositif de partage de la valeur, d’intéressement et/ou d’actionnariat salarié, car ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur dans la notation ESG des entreprises, alors que ce sont des éléments fondamentaux des paramètres sociaux et de gouvernance. Les mécanismes d’aide et de notation ‑ par exemple celui de la Banque de France ‑ devraient être bonifiés pour les entreprises dotées de ces dispositifs car les études montrent qu’elles sont plus pérennes. Capital Collectif, premier institut de recherche et de formation sur l’actionnariat salarié en France lancé par Equalis Capital (un de nos membres) fin 2023, travaille en ce sens, avec ses enseignants-chercheurs, des entreprises et des associations dont Fondact. Cet institut a pour objet d’exploiter et de centraliser les données existantes sur le sujet et de fournir des preuves que les dispositifs de partage de la valeur contribuent au développement et à la pérennité des entreprises, ainsi qu’à l’engagement de tous les collaborateurs

Autre enjeu évoqué pendant la matinée : développer ces dispositifs dans les TPE et les PME, qui sont seulement 10 % à les adopter. Elles sont certes peu nombreuses mais ce sont souvent les plus beaux exemples de réussite, tant pour les entreprises, leurs dirigeants que pour leurs salariés. À l’inverse, en France, 90 % des entreprises de plus de 1 000 salariés utilisent un mécanisme de partage de la valeur, essentiellement l’intéressement et, dans certains cas, l’actionnariat salarié. Il est malheureusement souvent abordé à travers le prisme de l’avantage salarial, ne mettant pas assez en avant son atout principal qui est l’engagement des salariés dans la vie de l’entreprise, voire dans sa gouvernance dans le cas de l’actionnariat salarié.

Je sais que certains s’interrogent sur l’attachement à l’entreprise des nouvelles générations et leur adhésion à l’actionnariat salarié, mais pour moi ce n’est pas un sujet transgénérationnel : il suffit de remettre du sens au travail. J’ai pleinement confiance dans les nouvelles générations, elles ne sont pas moins attachées que nous à l’entreprise, mais elles ont besoin de changer de mission plus fréquemment. C’est donc aux entreprises de s’adapter, afin de préserver leur attractivité et de garantir leur développement pérenne.

Comme vous l’aurez compris, les enjeux du partage de la valeur sont immenses car la plus grande partie du tissu des entreprises françaises est constitué de PME et d’ETI, sans oublier l’État et les collectivités locales qui sont de très grands employeurs. Je ne connais pas de dirigeant qui aurait mis en place un des dispositifs de partage de la valeur non obligatoire et qui l’aurait arrêté, preuve de leur grande vertu. Ces mécanismes sont applicables partout car ils sont fondamentaux pour donner du sens au travail, qui est le premier moteur de l’engagement, et source de performance et d’épanouissement.

Réussir le partage, comme le disait François Perret, c’est la base du vivre ensemble, et c’est pratiquer un capitalisme responsable, seul vecteur d’avenir. J’en suis convaincu : si nous ne rendons pas responsable le capitalisme, nous le mettons en grand danger. »

 

Benoît de Ruffray

Ancien élève de l’École polytechnique, diplômé de l’École nationale des ponts et chaussées et titulaire d’un master de l’Imperial College à Londres. Il a été nommé président-directeur général d’Eiffage le 18 janvier 2016. Il est par ailleurs Président depuis le 13 octobre 2020 de Fondact, « l’association des entreprises convaincues des vertus du partage de la création de valeur avec leurs salariés ».

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