Opinion Eco & Entrepreneurs
08H45 - jeudi 29 février 2024

La protéine du futur ? Demandez les insectes !

 

Farine de scarabées – photo Ÿnsect.

Se nourrir à base d’insectes, vraiment ?

Si la proposition ne séduit pas complètement sous nos latitudes pour des raisons culturelles, il s’agit déjà d’une réalité pour une large part de l’humanité : en Asie, en Afrique, en Amérique latine, deux milliards d’humains se nourrissent régulièrement de crickets, fourmis, scarabées, à l’état adulte ou larvaire.

L’idée de convertir les consommateurs européens au « grillon grillé délicatement salé » en apéritif, ou à la « farine de… ver de farine » dans des préparations culinaires, a longtemps fait fantasmer une série de start-ups dans la mouvance food contemporaine.

Après quelques années de déboires, l’idée a été en partie reportée à de meilleurs auspices, cependant que l’industrie naissante de l’élevage et de la transformation d’insectes opérait un remarquable pivot en s’intéressant à une nouvelle cible potentiellement illimitée : l’alimentation animale.

 

De bonnes protéines pour la pet food, l’élevage et… l’environnement

Les insectes sont en effet d’excellents pourvoyeurs de protéines, que l’on peut aisément nourrir à base de sous-produits végétaux. Non content de contribuer à l’élimination des biodéchets, l’élevage d’insectes présente en outre l’avantage d’être, et de loin, le moins coûteux pour l’environnement entre tous les élevages d’espèces animales : il requiert proportionnellement beaucoup moins de nourriture que l’élevage de bovins ou de volailles (« il faut 8 kg de végétaux pour obtenir 1 kg de bœuf contre seulement 2 kg et 60 fois moins d’eau pour obtenir 1 kg d’insectes », Emma Bernadet et Mathilde Vuillemin, AgroParisTech, 2020). Produire 1 kg de vers de farine entraîne l’émission de 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre que produire 1 kg de viande de porc. Enfin, l’élevage d’insectes utilise bien moins d’espace.

Les besoins de protéines pour la consommation sont croissants et pourraient atteindre en 2030 le double de leur niveau de 2010. Elles sont aujourd’hui fournies principalement par le soja produit notamment en Amérique du Sud avec un coût élevé pour l’environnement et une lourde responsabilité dans la déforestation de l’Amazonie ou du Cerrado brésilien, mais aussi par la pêche : à l’échelle mondiale, 25% de la pêche est destinée à la production de farines pour… l’aquaculture (Christophe Lavelle, The Conversation, 2021).

 

Les Français : pionniers et leaders

Il se trouve que les pionniers mondiaux de l’élevage d’insectes sont français. L’entreprise Micronutris, fondée en 2011 près de Toulouse par Cédric Auriol, propose une gamme de produits destinés à la consommation humaine. Avec le renfort de Mehdi Berrada, elle s’est déployée vers l’alimentation animale en 2018 sous la bannière d’Agronutris, et construit une première usine à Rethel, dans le Nord-Est de la France.

L’autre grand acteur tricolore est Ÿnsect, qui se présente comme le leader mondial des protéines et engrais naturels d’insectes. Créée elle-aussi en 2011, mais à Paris, par Antoine Hubert, Jean-Gabriel Levon, Fabrice Berro et Alexis Angot, Ÿnsect a livré ses premiers clients en pet food (nourriture pour animaux de compagnie, un autre marché en pleine expansion) depuis son usine de Dôle dans le Jura en 2016. Elle a aujourd’hui changé de dimension après avoir levé près de 600 millions d’Euros entre 2021 et 2023 auprès de nombreux investisseurs : en plus du site « historique » de Dôle, l’entreprise a inauguré une ferme verticale à Poulainville près d’Amiens, de 40 000 m² et d’une hauteur de 35 mètres pour la zone d’élevage, représentant un investissement de près de 100 millions d’euros : 100 000 tonnes de vers de farine et de scarabées en sortent chaque année, et 500 emplois auront été créés à terme. Elle est aussi présente aux États-Unis, dans le Nebraska, et prévoit de s’implanter au Mexique.

L’ambition d’Ÿnsect est rien moins que de « réinventer la chaîne alimentaire » en proposant des solutions pour les hommes, pour les animaux et pour les plantes, avec une gamme de fertilisants à partir des déjections des insectes, à un coût maîtrisé.

Le marché potentiel des protéines et des fertilisants produits à partir d’insectes est colossal, et leur impact positif sur l’environnement est potentiellement considérable. Gageons que les premiers concernés, les cultivateurs et les éleveurs, seront plus faciles à convaincre de leurs bienfaits que les gastronomes !

 

Laurent Tranier,

rédacteur en chef d’Opinion Internationale, chef de rubrique Opinion Ruralités et fondateur des Éditions Toute Latitude