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15H51 - samedi 27 janvier 2024

Tapie, le dernier aventurier ?

 

Bernard Tapie est né un 26 janvier… C’était une autre époque mais c’était la France.

Parmi les séries télévisées récentes de Netflix, Tapie nous a replongé dans la mauvaise conscience d’une époque, celle de la seconde moitié du XXe siècle. Tout semblait avoir été dit sur Bernard Tapie, ses talents multiformes, son culot, son appétit de faire, de réussir et de vivre, ses mille vies, ses incroyables réussites, ses échecs, son immoralité, sa générosité.

La série Tapie est à voir ou revoir !

La superbe interprétation de Laurent Lafitte a d’abord le mérite de compléter le portrait que l’on se faisait de Bernard Tapie, en nous présentant celui qu’on connaît moins, celui de ses jeunes années.

Tout Tapie est déjà dans le jeune Tapie : l’audace, l’intelligence, la mauvaise foi. Il n’y a jamais de malveillance chez Tapie, qui transgresse la règle morale, parfois celle de la Loi, mais toujours avec une bonne intention, en tout cas sans jamais perdre le sentiment de sa propre légitimé à le faire. Une légitimité que lui donne son appétit de vivre et son envie de réussite.

Bernard Tapie a d’abord été un enfant modeste, issu d’un milieu ouvrier dans le populaire XXe arrondissement de Paris, ayant pour tout bagage un diplôme d’électricien. Il est ambitieux, il présente bien. Nous sommes au milieu des années 1960, au cœur des Trente Glorieuses, tout semble possible, mais tout est-il possible pour tout le monde ?

Il est pour lui inconcevable qu’il se maintienne dans cette condition, mais il ne possède ni les diplômes, ni les relations, ni l’argent pour en sortir. Il ne possède pas les codes ni les clés pour connaître une carrière comme ont pu en connaître, même issus de milieux modestes, nombre de succès de la méritocratie républicaine.

Alors quelles sont ses options ? Le monde de la chanson et le vedettariat lui ferment leurs portes après les lui avoir entrouvertes : participant à la télévision à l’émission Le Grand Jury qui doit désigner un vainqueur entre plusieurs jeunes espoirs, Bernard « Tapy » devance un certain… Michel Polnareff ! Gloire éphémère : restent les affaires et une nuée de tentatives, d’expédients, de coups plus ou moins réussis aux côtés de comparses plus ou moins escrocs. Il flirte avec la ligne rouge, la franchit parfois un peu, rien d’irrémédiable.

Puis viennent les premières victoires, qui lui permettent d’affiner une méthode et de pérenniser des soutiens. D’un même geste, il « sauve » des entreprises et rend service à des politiques. Il multiplie les reprises à la barre des tribunaux de commerce, cultive son image. Les banques suivent. Enfin, surtout une, le Crédit Lyonnais. Tout cela est fragile, sur le plan financier comme sur le plan juridique et finalement ne repose que sur l’image, la sienne, sa notoriété et les valeurs positives, celles du gagnant, auxquelles il est associé. Le sport lui donne une dimension nationale mais ne lui offre d’autre choix que de continuer à gagner, peu importent les moyens. Jusqu’à ce que tout ne s’effondre.

C’est François Mitterrand, qui autorisera sa chute, après avoir fait de Bernard Tapie un Ministre qui rêve tout haut – trop haut – de l’Élysée. L’aventurier, l’illusionniste, l’artiste, s’est pris au sérieux. Les gens sérieux ne lui ont pas pardonné. La ruine, la prison, sont définitifs, malgré de beaux barouds d’honneur et une mille et unième vie en tant qu’acteur.

Bernard Tapie a incarné un des grands non-dits de la promesse républicaine : la méritocratie peut-elle s’incarner ailleurs que dans les voies balisées que sont les grandes écoles, les métiers d’artiste, de sportif de haut niveau, la politique, bref dans ce que l’on appelle des carrières ? Ceux pour qui ces voies ne se sont jamais ouvertes, ou qui ont choisi de les ignorer, sont-ils condamnés au renoncement ou aux chemins de traverse qui ne conduiraient finalement qu’au bannissement ? Ne sont-ils pas pourtant, dans nos sociétés, l’incarnation à la fois de l’espoir et d’une forme de la réussite, la réussite grâce à la transgression ? Ne sont-ils pas ceux que l’on condamne tout en ne pouvant s’empêcher de les admirer et de les envier ?

Alors que la série s’achève derrière les barreaux de la prison de la Santé, une nouvelle question se pose : le Bernard Tapie du XXIe siècle est-il déjà parmi nous ?

 

 Laurent Tranier

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