Valeur compliance
11H08 - mardi 7 juin 2022

Le crime en col blanc n’était pas parfait ! L’édito de Michel Taube

 

Les lenteurs de la justice française font parfois sa (triste) renommée. Mais parfois, en y regardant de plus près, c’est à se demander si ces lenteurs ne seraient pas provoquées par de sombres raisons plus que par le manque de moyens…

Le 9 mars 2020 votre serviteur publiait un éditorial sur une affaire lyonnaise vieille à l’époque de 17 ans dont les enjeux de valeurs et d’exemplarité avaient attiré notre attention.

Figurez-vous, cher lecteur, que dix-huit mois après (c’est à croire que le premier confinement du Covid a duré un an et demi pour certains), nous étions mis en examen par l’excellent juge Draguicha Rakic le 3 février 2022 pour diffamation à la suite de la plainte de deux entreprises citées dans l’article : la SCI Vaise et le promoteur immobilier Diagonale.

Attention, – c’est une des anomalies de notre droit -, la mise en examen est automatique en matière de poursuites pour diffamation, quand bien même la poursuite serait abusive et infondée. Mais bon, nous voilà mis en examen !

En fait, cela tombe presque bien car, en l’espèce, nous n’avions pas écrit notre « papier » à la légère mais forts d’une documentation et d’une enquête fournies.

 

Vous avez dit « crime en col blanc » ?

Que nous vaut donc cette épée de Damoclès en carton-pâte ?

Rappel des faits : le 19 février 2020, la Cour d’Appel de Lyon avait tenu une audience de révision civile relative au dossier « Autofinance contre la SCI Vaise » (émanation du promoteur lyonnais Diagonale et de son associé Crédit Mutuel). C’est la victime, un chef d’entreprise comme il y en a des centaines de milliers en France, Monsieur Hervé Bronner, concessionnaire automobile, qui avait intenté ce procès.

La justice française n’aime pas trop les procès en révision, que ce soit au pénal ou au civil. Mais lorsque les injustices commises à l’encontre d’un prévenu sont si manifestes, elles ne peuvent rester éternellement noyées dans un océan de procédures et d’éléments de diversion.

« Le crime en col blanc était presque parfait », avions-nous titré en mars 2020 ? Cette formule à la Hitchcock n’avait pas plu à nos plaignants. Mais les éléments survenus depuis ne font que corroborer notre intuition initiale.

 

Le témoignage capital d’un lanceur d’alerte

Car oui, il semble bien que nous ayons eu bien raison de nous inquiéter en mars 2020 de la relation complice entre « un notaire éminent de la ville, un promoteur connu et certains dirigeants d’une grande banque [qui] seraient impliqués dans des agissements qui pourraient faire penser à une forme d’escroquerie, et même d’escroquerie au jugement, le cas échéant en bande organisée comme il est dit dans la plainte, et une possible fraude à la TVA, au plus grand préjudice d’un chef d’entreprise respecté, entre autres concessionnaire automobile de son état, à Lyon. »

Nous exposions en mars 2020 « qu’un lanceur d’alerte de la banque impliqué dans l’affaire avait saisi l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), cette institution de la Banque de France chargée de la surveillance de l’activité des banques et des assurances en France. »

Ce Monsieur, Fabrice Lenoir, agent immobilier commercialisateur qui avait mis en contact tous les participants de l’opération immobilière initiale, et qui était par ailleurs Président de la Caisse du Crédit Mutuel de Lyon 9è-Vaise, s’était indigné de la spoliation dont avait été victime Autofinance, et avait donc lancé une alerte, d’abord auprès des dirigeants du Crédit Mutuel en février 2019, notamment à destination du Président Nicolas Théry, devenu entre-temps en septembre 2021 Président de la Fédération Bancaire Française, et encore le 22 avril 2020 au Président de la Confédération de la banque « mutualiste », Monsieur Pierre-Edouard Batard. L’ACPR a procédé à l’audition de Fabrice Lenoir le 12 mai 2020. Puis, comme souvent dans cette affaire, plus rien !

Ce brave Monsieur Lenoir a vu sa vie professionnelle entravée par son courage. Espérons que la nouvelle loi sur les lanceurs d’alerte, née notamment de la persévérance du député et vice-président de l’Assemblée nationale, Sylvain Waserman, aidera à faire toute la vérité sur les agissements dénoncés par le lanceur d’alerte tout en rétablissant ce dernier dans la plénitude de ses droits et de sa carrière.

 

Étrange lenteur de la justice lyonnaise…

Pourtant, la victime principale, Hervé Bronner, ne lâche rien et a multiplié les actions judiciaires et, surtout, réuni les preuves intangibles de sa bonne foi.

Car pour Hervé Bronner et ses conseils, notamment Jean-Marc Fedida, ténor du barreau, deux questions clé ont désormais trouvé réponse…

Première interrogation capitale : pourquoi la justice est-elle si lente ?

Déjà en mars 2020, nous nous étonnions que le doyen des juges d’instruction, et à présent la Chambre de l’Instruction, tardent tant à daigner désigner un de leurs vaillants collègues dans le volet pénal de cette affaire. Une plainte contre X avec constitution de partie civile avait été déposée le 2 décembre 2019 pour escroquerie au jugement, un délit très grave qui consiste à tromper les juges – ces derniers en ont-ils seulement pris conscience dans ce cas d’espèce ?, par exemple en produisant de faux documents ou de faux témoignages pour obtenir une décision favorable.

Pourquoi donc, presque deux ans après, aucun juge d’instruction de Lyon n’a-t-il toujours pas diligenté une telle enquête ?

Pourquoi également le procureur n’a-t-il toujours pas donné suite à une saisie de la justice sur la base du fameux article 40 du code pénal ? Qui a donc saisi le procureur au printemps 2019 ? Je vous le donne en mille… Monsieur Bronner ? Pas du tout ! Les impôts ! Bref le procureur ne se préoccupe pas de défendre les intérêts du service public… Etrange, mon cher Watson.

La réponse à cette première question capitale serait-elle à chercher du côté de possibles connivences entre de hauts magistrats lyonnais avec des puissances financières fortement implantées à Lyon et dont nous reparlerons tantôt. On a l’impression de revivre le livre de Renaud Van Ruymbeke qui, dans « Mémoires d’un juge trop indépendant » retrace quarante années de combat pour faire avancer des enquêtes devant la résistance de procureurs aux ordres de lobbys et autres baronnies locales et professionnelles.

 

Combien d’Hervé Bronner seraient-ils victimes d’un mécanisme astucieux d’escroquerie à la dation ?

Seconde question clé : au point de départ, quel crime en col blanc a donc été commis contre Monsieur Bronner ?

En connivence avec le Crédit Mutuel, un notaire, Jean-Pascal Roux, et le promoteur Diagonale, auraient organisé une double escroquerie à la dation en paiement et à la TVA sur le dos de Monsieur Bronner. « Nous piquerons la dation à Autofinance » s’étaient-ils vantés, selon une de nos sources.

Ce mécanisme est aussi simple pour les initiés que complexe pour des journalistes, des juges et de simples citoyens. Hervé Bronner a mis quelques années à le déceler mais, aidé par un des grands spécialistes de la TVA, Maître Jean-Claude Bouchard, quelle n’a pas été leur surprise d’apprendre que la Cour de Cassation (Cass. Crim. Du 13 octobre 2021, n°20-81 24 F-D) a jugé d’une affaire, en tous points similaire, par le mécanisme utilisé par d’autres escrocs en col blanc, et qui s’est déroulée à Aix-en-Provence en 2013, laquelle a prononcé des condamnations à des peines de prison… Tiens, en cette espèce, la justice a été (un peu) plus rapide.

Mieux, Hervé Bronner a acquis l’intime conviction que son affaire, il y en a des centaines d’autres en France. Des centaines d’Hervé Bronner en somme, victimes de collusions entre des banques, pas n’importe lesquelles, des notaires, des promoteurs immobiliers.

Ainsi, à Strasbourg, grâce à l’enquête de l’excellent magazine Hebdi, relayé par les DNA, cinq personnes ont été mises en examen, en janvier 2022, des chefs d’abus de confiance et de blanchiment habituel en bande organisée qui concernent la Caisse du Crédit Mutuel Strasbourg – Gutenberg et leur notaire. En lisant ces articles, et toutes choses égales par ailleurs, Hervé Bronner a eu le sentiment de vivre l’escroquerie en col blanc qui a failli le broyer.

Depuis la parution de notre article en mars 2020 et l’intérêt que notre mise en examen a ravivé, pour Hervé Bronner, il est hors de question d’être victime plus longtemps des lenteurs de la justice. Voilà des années que le chef d’entreprise réclame justice ou rétablissement de ses droits auprès des parties incriminées.

C’est que Hervé Bronner a des raisons de s’inquiéter. Comme le rapporte une excellente enquête du Monde, de plus en plus de procédures judiciaires pour des faits graves de corruption ont récemment été annulées pour lenteur excessive de la justice. Bref, des acteurs économiques, parfois ruinés, mis en examen, parfois incarcérés, ne seront jamais innocentés ou indemnisés parce que la justice a mis trop de temps pour instruire, enquêter, juger et rétablir les faits.

Côté corruption, d’éminents acteurs de la Justice et des simples citoyens ont récemment créé Ethics Génération pour dénoncer ces situations. Un comble : pour que d’anciens éminents magistrats se sentent l’âme de lanceurs d’alerte, c’est que la société française étouffe vraiment de ces milliers de blocages financiaro-institutionnels !

Bref, par quelque bout que l’on prenne cette affaire, la justice ne pourra longtemps se complaire dans la posture peut être coupable de prendre son temps pour enquêter et juger les auteurs de ce crime en col blanc.

Il n’est que trop temps que la vérité éclate dans le dossier Bronner ! Et plus on attend, et plus les ramifications scandaleuses qui ont rendu possible cette escroquerie, feront des dégâts collatéraux. Nous l’écrivions déjà en mars 2020 : « les relations parfois incestueuses entre certains notables lyonnais […] risquent d’éclabousser nombre de sommités rhodaniennes. » Et bien au-delà du Rhône !

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication