Valeur compliance
06H55 - lundi 24 janvier 2022

François Baroin à la tête de la Barclays, François Fillon chez les Russes : le pantouflage international a des limites ! L’édito de Michel Taube

 

L’auteur de ces lignes est libéral sur les plans économique, sociétal et institutionnel, et il l’assume. Mais il tient tout autant au respect de certains principes comme le patriotisme français et européen, la laïcité la solidarité et l’ascenseur social.

Lorsque l’on passe sa vie en politique à défendre les intérêts de son pays, on ne va pas travailler chez la concurrence qui peut parfois se révéler être un potentiel « ennemi » ! Surtout illico après avoir tourné la page. Ce n’est pas une question légale, c’est une question d’éthique !

Manifestement, ce n’est pas ce qu’entendent certains politiques. Et l’effet est désastreux dans l’opinion publique !

François Fillon, dont nous avons soutenu le programme économique et la fermeté face à l’islamisme en 2016, a, depuis son retrait tumultueux de la vie politique, poursuivi une carrière dans le privé, d’abord dans des entreprises françaises. Mais en juillet 2021, il entra au conseil d’administration du groupe pétrolier public russe Zaroubejneft avant d’être nommé « administrateur indépendant » au conseil d’administration de la société pétrochimique russe Sibur, dont il ne fait pas mystère qu’elle est contrôlée par des oligarques proches du président russe Vladimir Poutine.

Questions : face au bras-de-fer que la Russie de Poutine impose à l’Europe, avec les risques imminents d’invasion de l’Ukraine, et sur les prix des énergies, qui concernent donc directement l’entreprise dont l’ancien premier ministre sert désormais les intérêts, que peut, que doit faire François Fillon ? Même question pour l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, qui en 2005, à l’issue d’une carrière politique bien remplie, reprit du service pour le compte de la société russe Gazprom aux fins de présider le conseil de surveillance du consortium germano-russe North-European Gas Pipeline.

Toutes choses égales par ailleurs, mais l’analogie est malheureusement imparable : la banque Barclays a annoncé la semaine dernière que François Baroin, ancien pilier gaulliste de la droite républicaine, allait présider sa filiale française. A peine descendu de son piédestal à la tête de l’Association des Maires de France, le voici qui prend d’éminentes fonctions dans une banque internationale.

Certes, le candidat pressenti mais jamais lancé à la magistrature suprême, n’est pas novice dans l’art de cumuler business et politique. Il conseille déjà la banque britannique depuis 2018 en tant que « senior adviser ». L’ancien jeune premier de la classe politique, plusieurs fois ministre sous Chirac et Sarkozy, est aussi avocat du cabinet Aarpi Stas (associé de Francis Szpiner, maire du XVIème arrondissement de Paris) et davantage encore de sa société de conseil FB Conseil.

 

Légal, certes…

Tout ceci est-il parfaitement légal ? Lorsqu’ils cessent de faire partie du gouvernement, les ministres et secrétaires d’État sont soumis à certaines règles en matière de transparence et de déontologie, des règles renforcées en 2013 et 2017 à la suite de l’affaire Cahuzac. La loi stipule notamment : « Les membres du gouvernement sortants peuvent se voir interdire ou autoriser sous réserve par la HATVP, pendant un délai de trois ans après la fin de leurs fonctions, une activité libérale ou une activité rémunérée au sein d’une entreprise ou d’un établissement public industriel et commercial ». François Baroin n’était plus ministre depuis belle lurette.

Selon Yani Hadar, consultant et chef de notre rubrique « Valeur compliance », « François Baroin ne pourra pas être condamné pour délit de pantouflage, terme qui désigne l’infraction de prise illégale d’intérêts commise par une personne ayant exercé une fonction publique avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions. »

Mais présider l’Association des Maires de France, n’est-ce pas un magistère digne d’un grand ministère et d’une éminente fonction publique ? Certes, François Baroin devait présider l’AMF à titre bénévole (enfin, nous l’imaginons) mais à sa tête il bénéficiait évidemment de pouvoirs considérables.

Aujourd’hui, François Baroin s’engage pour une banque d’un pays qui a quitté l’Union européenne avec perte et fracas. Sur le terrain de la diplomatie, le Royaume-Uni s’est rangé sans la moindre hésitation du côté des États-Unis, notamment dans l’affaire des sous-marins que l’Australie devait acheter à la France, pour finalement faire volte-face. Après le Brexit, Londres va se défendre bec et ongle pour rester la grande place européenne de la finance, place que Paris ou Berlin (techniquement Francfort) rêvent de lui ravir.

Si François Baroin se retrouve face à des conflits d’intérêts entre la France et le Royaume-Uni, quels choix fera-t-il ? Celui de la Barclays ? Juridiquement, cela ne posera aucun problème. La Barclays n’est pas le gouvernement de sa gracieuse Majesté. Business as usual, donc.

Mais, comme l’ajoute Yani Hadar, l’ancien jeune premier de la classe politique française « possède de nombreuses informations privilégiées et les six plus grandes banques françaises, à savoir BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC, la Banque Postale et la Société Générale, peuvent craindre que Barclays les détrône sur leur marché national. Il ne fait aucun doute que l’ancien Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, est l’un de ceux qui connaissent le mieux l’écosystème économique français. D’un point de vue légal, le haut fonctionnaire a totalement le droit de devenir Président de Barclays France mais d’un point de vue moral, cela est vraiment différent. N’oublions pas qu’un haut fonctionnaire doit défendre l’Etat français et non défendre les intérêts étrangers. Ce n’est pas en rien être souverainiste de dire ses paroles. Les politiciens américains sont libéraux mais cherchent par tous les moyens à défendre les intérêts des sociétés américaines, comme ils nous l’ont montré avec la loi FCPA. »

Monnayer sa notoriété après un parcours politique prestigieux est presque devenu la règle, mais certains le font dans un cadre plus décent que d’autres. Barack Obama et, dans une moindre mesure (une mesure française), Nicolas Sarkozy vendent des livres comme des petits pains (ou des hamburgers) et se font payer comme des rock stars pour quelques minutes de paroles, parfois fort banales, lors de prestigieuses conférences autour du monde.

Nicolas Sarkozy justement ! L’ancien président de la République a eu le patriotisme économique de devenir administrateur d’une multinationale…. française, le groupe Accor, qui exerce sur un secteur, l’hôtellerie principalement. Les intérêts stratégiques de ce groupe, – même les amoureux de notre Saga du Lit en conviendront -, sont moindres qu’une compagnie pétrolière ou une grande banque.

Faire du business, ok, avec des entreprises étrangères qui gèrent des intérêts stratégiques, non ! La loi devrait s’en préoccuper et élargir ses exigences à des fonctions électives non gouvernementales.

Enfin, signalons pour l’anecdote le parcours inverse de notre actuel président Emmanuel Macron, puisqu’avant de se lancer en politique, il fit un passage par le secteur privé, en l’espère la banque d’affaires Rothschild.

Une démarche symptomatique d’un autre problème, très hexagonal : les promus de l’ENA sont aussi prisés dans les grandes entreprises privées que dans la haute administration, qui est leur point de chute naturel. Certains d’entre eux tentent leur chance en politique. Ils établissent des passerelles qui nourrissent le copinage et encouragent des relations incestueuses qui s’apparentent à du lobbying. Mais c’est une autre chanson…

Pour l’heure, le toujours maire de Troyes (le temps de faire ses valises ?) ne rend pas le meilleur service à Valérie Pécresse. N’aurait-il pu attendre l’échéance des élections présidentielles et législatives ? Car prendre la tête de la filière française de la grande banque britannique en pleine campagne électorale ne va pas contribuer à assainir la réputation des politiques. Comme le chante Marginal Ray dans la chanson « les politiques » (lire et écouter ci-dessous), « ils sont garants du bien commun et obsédés par leur destin… ».

 

Michel Taube


Paroles :

À l’école j’ai appris,

Que la bourse servait l’économie

Elle-même au service de l’humain

Et pas d’une bande de requins

 

Je n’ai rien contre les marchands

Les banquiers, les boursiers et les puissants

Ils occupent l’espace qu’on leur laisse

Exploitent la moindre de nos faiblesses

 

On peut sans doute être libéral

Et maîtriser le capital

Sans dictature du prolétariat

Miroir de celle des bourgeois

 

Mais que font-ils, les politiques

Si ce n’est gérer la course au fric

Vaincus par les forces du marché

Ils nous ont tous abandonnés

 

Ils sont garants du bien commun

Et obsédés par leur destin

Ils aiment promettre, ils savent mentir

Se faire élire et puis trahir

 

À l’école j’ai appris

Que le progrès était un défi

Que la politique était un service

Un acte de noblesse et non un vice

 

https://marginalray.bandcamp.com

 

Directeur de la publication