Edito
05H27 - mercredi 9 février 2022

Le loup Poutine face à l’agneau Macron : « si tu bouges, je t’atomise ! » L’édito de Michel Taube

 

Emmanuel Macron a donc achevé son tour d’Europe : de Moscou à Kiev puis Berlin (sans oublier Varsovie par la présence du président polonais hier soir à ses côtés dans la capitale allemande), le chef de l’Etat français a honoré l’idée que l’on se fait de la France !

Certes, quand on se parle, on ne se fait pas la guerre, dit-on souvent ! On dit aussi parfois que la politique internationale, ça n’existe pas, du moins qu’elle n’a que des finalités internes. Par la grâce de sa valse kremlinoise, Emmanuel Macron a réinstallé un temps la France dans le grand théâtre des nations, au cœur de la grande histoire. Accessoirement (vraiment ?), il s’est installé au-dessus de la mêlée électorale, comme un signe adressé au peuple électeur : les autres piaillent ; moi, je vous protège. Macron-Poutine, c’est autre chose que Zemmour – Mélenchon chez Hanouna !

Vladimir Poutine est un dictateur. Son peuple, le grand peuple russe qui n’a jamais connu la démocratie, il n’en a cure. Les centaines de milliers de morts russes de la Covid en sont une triste preuve !

Puisque, à un certain stade de mécontentement populaire, aucun autocrate n’est à l’abri d’une révolution, rien de mieux que des tensions aux frontières, le cas échéant même une petite ou une grande guerre, pour raviver la flamme nationaliste. Le célèbre roman de Georges Orwell, 1984, illustre merveilleusement ce postulat : la guerre y est aussi permanente que virtuelle. Même Margaret Thatcher avait appliqué cette vieille recette en 1982 : la guéguerre des Malouines contre l’Argentine contribua largement à sa réélection. Plus récemment, le conflit entre Israël est le Hamas, en mai dernier, avait aussi pour chacune des parties, d’importantes motivations de politique intérieure.

Sauf que les Malouines ou la bande de Gaza, ce n’est pas le Donbass, cette province ukrainienne partiellement en état de sécession, que la Russie pourrait envahir, peut-être en prélude à d’autres conquêtes. Cette fois, le front est en Europe et l’ennemi (de l’OTAN) est un ogre.

 

Ennemie, la Russie ?

Ce n’est pas nous qui le disons, partisans que nous sommes d’une grande politique russe. Mais c’est Poutine lui-même qui, dans la conférence de presse avec Emmanuel Macron a considéré la France et l’Europe comme son possible ennemi.

Saisissants en effet, et même effrayants, les propos du tsar du Kremlin lors de sa conférence de presse avec Emmanuel Macron : si l’OTAN veut reconquérir la Crimée annexée par la Russie en 2014, l’Europe sera entraînée automatiquement dans une guerre contre la Russie. Et le maître du Kremlin de rappeler immédiatement, comme une menace directe, la puissance nucléaire de la Russie. Poutine a-t-il menacé le monde d’une guerre mondiale nucléaire ?

Le fait déclencheur d’un conflit, même majeur, n’est pas nécessairement un événement spectaculaire, comme l’attaque de la base américaine de Pearl Harbour par l’aviation japonaise le 7 décembre 1941. Parfois, le baril de poudre est déjà en place et il suffit d’une étincelle pour qu’il explose. L’assassinat par un étudiant nationaliste serbe de Bosnie de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône de feu l’Autriche-Hongrie, à Sarajevo le 28 juin 1914, n’est-il pas considéré comme le fait déclencheur de la Première Guerre mondiale ?

Alpha Centauri
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Vladimir Poutine montre sa grandeur, sa puissance et son mépris pour ses interlocuteurs (hors Chine où il était le seul grand dirigeant de ce monde à assister à la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin). Image saisissante aussi que celle de cette énorme table, avec Macron et Poutine de part et d’autre. Six mètres de distanciation physique, officiellement pour cause de Covid. On n’est jamais assez prudent !

Pour Vladimir Poutine l’OTAN est l’ennemi. Pour le maître du Kremlin, l’OTAN n’a plus de raison d’être ! Or pour les Occidentaux, la priorité est autre : les principes la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, dont la Russie est membre) signée le 21 novembre 1990, issue de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS, événement majeur qui clôt la guerre froide, doivent être respectés par la Russie : sécurité des frontières, principes démocratiques. Emmanuel Macron a abondamment cité cette Charte dans cette même conférence de presse.

Bref, on ne se comprend pas !

Certes, on joue à se faire peur. Personne ne songe à une reconquête de la Crimée, et Poutine n’est (on l’espère !) pas fou au point de provoquer l’apocalypse avant d’avoir tenté les autres voies, même militaires. Mais le seul fait qu’il puisse évoquer sa puissance nucléaire inquiète. Les dictateurs vieillissent mal. Paranoïa, égocentrisme démesuré, tentation de la fuite en avant… Il se dit que Vladimir Poutine – lequel a pris beaucoup d’embonpoint pour un grand sportif téméraire – se voit effectivement en nouveau tsar, parfumé au n°17 (année de la Révolution bolchévique) de Lénine ou Staline. Grandeur, puissance, conquête…

Au-delà des anciens satellites européens du Pacte de Varsovie, on commence à s’inquiéter : que veut Poutine ? Jusqu’où est-il prêt à aller ? Envahir les pays baltes, jusqu’à la Finlande ? Sachons raison gardée ! Mais si les opinions publiques finlandaise et suédoise songent à adhérer à l’OTAN, c’est bien qu’elles sentent le danger !

 

Une politique russe pour l’Europe

Reste néanmoins une question : le mécontentement russe est-il vraiment si illégitime ? La droite nationaliste française, Marine Le Pen et surtout Éric Zemmour ont une position tranchée sur la question : la géographie fait l’histoire, et le cœur de la Russie est européen. Les États-Unis n’ont d’intérêts que les leurs, et affaiblir l’Europe ne leur déplaît pas. L’Ukraine a longtemps été partie intégrante de la Russie (au IXème siècle, Kiev fut même la capitale de ce qui deviendra la Russie). L’OTAN, c’est les États-Unis et ses alliés-vassaux. Que cherche l’OTAN (donc les États-Unis) en envisageant l’intégration de l’Ukraine à l’Alliance, et que cherche l’Ukraine en sollicitant cette intégration ? N’est-on pas passé près d’une guerre mondiale lorsque les Soviétiques ont installé des missiles à Cuba, proche des côtes américaines ? Ne va-t-on pas irrémédiablement jeter la Russie dans les bras des Chinois alors que nous avons une nouvelle histoire à écrire avec elle ?

Ces remarques et ces questions sont pertinentes, mais elles ne doivent nous faire oublier que la Russie n’a jamais été un pays européen parmi d’autres ni que l’Europe partage avec l’Amérique un socle de valeurs fondamentales. La Déclaration universelle des droits de l’homme et la Constitution des États-Unis d’Amérique sortent d’un même moule. Sans les Américains, nous aurions été sous la coupe des nazis ou des Soviétiques pour longtemps…

La Russie est membre du Conseil de l’Europe mais elle viole à longueur d’année la Convention européenne des droits de l’homme et de Sauvegarde des Libertés Fondamentales. Demandez à l’opposant Alexeï Navalny, à l’association Memorial dissoute, au média en ligne Newsru obligé de fermer ou à Novaïa Gazeta, un des derniers journaux indépendants, à Garry Kasparov, l’ancien champion du monde d’échecs et aux milliers d’opposants politiques ce qu’ils pensent du conflit avec l’Ukraine ? Ces démocrates russes, ce sont eux les vrais Européens ! Ce sont eux qui souhaitent respecter la Charte de Paris dont Poutine n’a cure.

Mais il n’y a pas de vérité unique et monolithique. Il est regrettable que l’Europe soit un enjeu ou un pion, et non un joueur sur l’échiquier diplomatique. Elle est économiquement puissante, mais divisée et militairement inexistante (à part la France qui vient d’envoyer des troupes en Roumanie et le Royaume Uni qui fait désormais cavalier seul).

Les nationalistes exècrent l’Europe, mais que serait une France isolée qui se rapprocherait de la Russie ? Un vassal de plus…

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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