Edito
06H19 - mercredi 2 février 2022

Poutine a-t-il oublié que la Russie n’est peut-être qu’un tigre de papier ? L’édito de Michel Taube

 

Poutine, un pied en Ukraine ?

Les bruits de bottes et le déploiement d’armes de pointe 3.0 en Europe se font plus assourdissants de jour en jour comme à la veille des pires heures de l’éclatement de la Yougoslavie : mouvements de troupes sur la façade est de l’Europe occidentale, à la frontière de l’Ukraine mais aussi désormais en Roumanie et aux abords des pays baltes. Enfin, crise énergétique majeure sur le Vieux continent !

Et si malgré les velléités belliqueuses de son chef, la Russie n’était qu’un tigre de papier, contraignant Vladimir Poutine à plus de gesticulations et d’intimidation qu’à tenter l’aventure d’une guerre généralisée ? Les faits obligent à se poser la question.

L’expression chinoise « tigre de papier » (zhǐ lǎohǔ ou 紙老虎)fut rendue célèbre par Mao, un autre candidat au statut de tyran de l’histoire, qui désigna ainsi les États-Unis en 1956.

Et si donc le ton menaçant de Poutine cachait en réalité une incapacité à agir. Du bluff, en somme.

A en juger par l’incapacité des mêmes États-Unis, voire de toute la communauté internationale (si tant est que cette expression corresponde à une réalité géopolitique) à mater la dictature nord-coréenne et les craintes qu’inspire aux mêmes protagonistes la perspective d’un Iran accédant à l’arme atomique, on peut en déduire que le tigre nucléaire qu’est la Russie ne peut être qu’en papier.

En matière d’arsenal capable de pulvériser plusieurs fois la planète, la Russie est une sérieuse référence. Pourtant, ce n’est pas cela, du moins pas seulement, qui permet à Vladimir Poutine d’intimider l’Ukraine et les pays baltes, de snober les États-Unis et d’ignorer l’Europe. Même si certains se plaisent à se faire peur en évoquant la crise des missiles de Cuba, en 1962, nous n’en sommes pas aux prémices de l’apocalypse nucléaire, même si des troupes russes devaient entrer en Ukraine. Pour nous Occidentaux, il est difficile d’admettre que beaucoup d’habitants de Crimée, peut-être une majorité, de cette région de l’Ukraine, sont très contents de l’annexion russe de 2014. Cela ne saurait certes justifier l’invasion de tout le pays. Vladimir Poutine prendrait-il ce risque ?

On a coutume de dire qu’en politique internationale et en diplomatie, il n’y a ni ami ni ennemi, mais seulement intérêts et rapports de forces. La realpolitik ne laisse donc aucune place à la morale, aux sentiments.

Pourtant, la politique, même internationale, n’est pas toujours d’un réalisme si glacial que l’irrationnel et l’émotionnel n’y ont aucune place. Sans forcément jouer les apprentis sorciers et encore moins suicidaires, certains dirigeants poussent parfois le bouchon si loin qu’il peut sauter ou leur sauter à la figure, comme Saddam Hussein dont les troupes irakiennes envahirent le Koweït en 1990. Aujourd’hui, la Corée du Nord ou l’Iran, pourtant dirigés par des fanatiques, évitent de faire le geste de trop, pour le moment du moins.

La Russie est-elle à mettre dans le même sac que l’Iran ? Vladimir Poutine est-il un fanatique nostalgique de l’Union soviétique ou de l’époque des Tsars, rêvant non seulement de reconquérir l’Ukraine, mais aussi de reconstituer le Pacte de Varsovie et d’y faire entrer les pays d’Europe de l’Est ? Va-t-on bientôt reconstruire le mur de Berlin ?! Chez les autocrates, âge ne rime que rarement avec sagesse. Ils tendent même à sombrer dans la paranoïa et le fanatisme. Force est de déplorer que la mainmise de Vladimir Poutine sur la Russie n’a jamais été aussi forte. La démocratie n’y est plus qu’une coquille vide, un habillage, une mascarade, quand bien même des élections y seraient régulièrement organisées. Alexeï Navalny en prison, l’ONG Memorial interdite, il ne fleure pas bon parler liberté en Russie.

 Jusqu’où donc le maître du Kremlin est-il prêt à aller pour réaliser son rêve impérialiste ?

Évidemment, la réponse immédiate à cette question se trouve en Ukraine. Il est vrai que les Russes ont quelques raisons de s’inquiéter d’une adhésion de leur ancienne province à l’OTAN, même si les relents de guerre froide (on se croirait dans un vieux James Bond) ont quelque chose de désuet.

Un autre élément doit être pris en considération : si la Russie peut détruire plusieurs fois la terre avec son arsenal nucléaire, si elle est géographiquement le plus grand pays du monde, son PIB est presque deux fois (1.84) inférieur à celui de la France. Et même sur le plan militaire, elle reste très loin des États-Unis, qui représentent à eux seuls près de la moitié des dépenses militaires de la planète. L’une des principales causes de la chute du régime soviétique fut son entêtement à suivre l’Amérique dans la surenchère militaire. Certes, un dictateur comme Vladimir Poutine n’a cure de son peuple, et n’hésiterait pas à mater toute révolte. Mais la paupérisation du peuple finirait par fragiliser son régime, a fortiori en cas de fortes sanctions économiques et financières imposées par le monde occidental. Reste alors à redouter la fuite en avant militaire, une petite (ou grande) guerre étant la recette de tout dictateur (et pas seulement) pour raviver la flamme nationaliste et consolider son régime. Le complexe militaro-industriel russe doit certainement exercer une forte emprise sur Vladimir Poutine.

Pour pallier à l’effondrement économique, la Russie pourrait également se jeter dans les bras de la Chine, qui ne demanderait pas mieux (c’est déjà partiellement le cas).

En Europe, d’aucuns, à l’image de la droite nationaliste en France, préconisent un net rapprochement avec la Russie, dans le cadre d’une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural, comme l’imaginait le général de Gaulle. Quant à l’Allemagne, sa dépendance énergétique à la Russie la contraint à un grand écart qui pourrait finir par briser l’unité du bloc occidental.

Tout illuminé qu’il soit, on peut espérer que Vladimir Poutine se demandera s’il a, pour lui-même plus que pour son pays dont il se croit propriétaire, plus à gagner qu’à perdre en envahissant l’Ukraine. Mais s’il le décidait, nous nous demanderions si nous avons plus à gagner qu’à perdre en réagissant autrement qu’avec de véhémentes protestations. Les Etats-Unis et l’Europe sont-ils vraiment prêts à envoyer des hommes mourir pour Kiev ? La liberté exige bien des sacrifices !

Et la Russie, riche en gaz et en pétrole, est-elle vraiment prête à allumer une flamme qui embrasera l’Europe et le monde ?

Au final, le propre du tyran est souvent de dépasser la ligne rouge par laquelle il finit de lui-même par s’effondrer…

 

Michel Taube

Directeur de la publication