Valeur compliance
06H16 - mardi 16 novembre 2021

La volonté du Pape François de lutter contre les mafias italiennes

 

 

Opinion Internationale lance la rubrique « Valeur compliance » destinée à tous les risques non financiers des entreprises et des acteurs privés et publics : environnement, égalité femmes — hommes, diversité, RSE, la compliance est, avec la productivité et les bénéfices, le second secret de la réussite!

La rubrique est animée par Yani Hadar, expert doté d’une expérience de huit années acquises dans le secteur de la compliance et du contrôle interne (missions dans le financement de projets, l’énergie et le secteur bancaire) et à l’international (France, Luxembourg, Maghreb).

 

Depuis le Pape Jean Paul II, les pontifes se sont attachés à dénoncer l’incohérence dans laquelle vivent les mafieux. En 1993, le pape polonais avait dénoncé «la culture de la mafia, qui est une culture de mort, profondément inhumaine, anti-évangélique ». En 2010, Benoît XVI avait repris cette condamnation déclarant que la mafia était « une voie de mort, incompatible avec l’Évangile ». Avec l’arrivée du Pape François, c’est la première fois dans l’histoire criminelle qu’une césure aussi profonde se produit entre l’Église et le crime organisé car l’Etat passe à la vitesse supérieure.

En septembre 2018, lors d’un voyage en Sicile où il allait rendre hommage à un prêtre assassiné 25 ans plus tôt par la mafia, le pape François avait déclaré que tout mafieux « blasphème avec sa vie le nom de Dieu-amour ». Conflit théologique car certainement de nombreux mafieux de confession catholique doivent se dire qu’il leur suffit d’absoudre leurs péchés (leurs crimes) au confessionnal pour mieux continuer à blasphémer au sens entendu par le pape François.

Quels sont les apports du Pape François en vue de lutter contre la mafia et les limites de son action ?

 

La création d’un groupe de travail sur l’excommunication des mafieux a certainement été la décision majeure du pape.

Vittorio Alberti, conseiller auprès du cardinal ghanéen Peter Turkson, qui fut avant tout dès 2017 l’un des penseurs du pape dans la lutte contre la corruption, a pris la tête de ce groupe en mai 2021. Il implique d’autres conférences épiscopales et réunit des spécialistes (les pères Luigi Ciotti et Marcello Cozzi, mais aussi l’archevêque sicilien Michele Pennisi, et Giuseppe Pignatone, juge anti-mafia devenu en octobre 2019 le président du tribunal du Vatican) en vue d’explorer la culture de la mafia ainsi que son rôle dans la société.

Quelles sont ses missions ? Vittorio Alberti nous indique, dans un entretien téléphonique qu’il nous a accordé, qu’« ils approfondissent et essaient de trouver des initiatives avec les prisons, les églises locales d’un point de vue éducatif et sociétal ». Leur second rôle est « d‘approfondir la notion d’excommunication des points de vue du catholicisme, de la doctrine sociale et du droit canonique ».

En outre, le Groupe de travail souhaite également « imaginer une culture anti mafia, basée sur le raisonnement, pour stimuler l’action sociale et en vue d’améliorer la société ». Le philosophe italien présente « l’éducation comme un droit, un devoir et le seul rempart contre la dégénérescence des mœurs et des esprits ». Il est important de se rappeler que depuis l’origine, la religiosité est très présente dans les mafias italiennes.

Et Vittorio Alberti de nous rapporter les propos d’un cadre de la Camorra, la mafia calabraise, qui, lors d’une visite d’une prison napolitaine, lui confessa ces paroles très puissantes : « Nous devons parler avec Dieu car nous faisons face à la mort ».

 

L’excommunication des premiers mafieux

L’excommunication est un très vieil outil utilisé par le Pape et les évêques pour sanctionner ceux qui ont commis des faits très graves contre la foi et la vie. Elle est censée être une arme de dissuasion massive auprès des plus croyants des corrompus ou criminels mafieux.

Le refus par l’Eglise des funérailles catholiques publiques à Toto Riina a été un véritable exemple.

Pour aller plus loin, et comme nous le rappelle le philosophe italien, « il faut bien distinguer le crime organisé et la mafia ». En effet, les mafieux prêtent serment, précisément lors d’un rituel (une signature par le sang pour les mafieux italiens). Les principales sources de revenus des mafias italiennes sont le trafic de voitures, trafic de drogue, trafic de migrants, fraude sociale et la production de faux billets.

Vittorio Alberti nous précise également que « les mafias ne connaissent pas de frontières. De nombreux pays pensent ne pas être concernés. Cependant si l’on prend le cas de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise qui dirige l’importation de la poudre blanche en Europe, celle-ci est présente en Allemagne depuis une trentaine d’années, aux Pays-Bas, dans le Sud de la France, etc. Néanmoins, un pays comme l’Allemagne ne se sent pas concerné par la lutte contre la mafia ».

 

Une mafia «prête à tout» pour exister, quitte à tuer

Les mafias italiennes ont l’habitude de poser des bombes pour faire pression sur l’Église. Nous pouvons nous rappeler qu’en 1993, une bombe contre une église a été posée. D’autres exemples pourraient être cités.

Par ailleurs, elles n’hésitent pas à assassiner leurs opposants, y compris les hommes d’église. En 2018, le Pape François a rendu hommage au prêtre des pauvres Giuseppe Puglisi, surnommé le « premier martyr de Cosa Nostra », qui avait été tué sur ordre de la Casa Nostra d’une balle dans la nuque le 15 septembre 1993.

Dernièrement, le Pape François a rendu également hommage au corps des juges. En effet, le 21 décembre 2020, le pape François a reconnu le « martyre » de Rosario Livatino, juge de la section pénale du tribunal d’Agrigente, ce qui a ouvert la voie à sa béatification.

 

Les mafias italiennes ont profité de la crise du Covid-19 pour blanchir leur argent

Disposant d’énormes sommes d’argent à recycler dans l’économie légale, les mafias peuvent profiter des situations de souffrance, par exemple en aidant les entreprises en difficulté, comme cela a été le cas lors de la crise du Covid-19. Avec ses rachats, elles ont également essayé de profiter des mesures de soutien aux entreprises, des aides sociales ou encore du chômage partiel.

Comme nous le signale Vittorio Alberti, « c’est un désastre pour l’économie italienne ».

 

Pour une approche internationale et multiconfessionnelle

Il faut savoir que l‘Italie s’est dotée, durant la crise du Covid-19, d’une capacité à repérer cette infiltration et à la contrer, en interdisant par exemple à une entreprise soupçonnée de liens avec la Mafia de candidater à des marchés publics.

Le seul hic c’est que la Cosa Nostra, la Camorra à Naples et, surtout la Ndrangheta, ont trouvé des « solutions de recyclage », à l’étranger (Allemagne et France notamment). Raison parmi d’autres d’appeler à une harmonisation des dispositifs anti-mafias.

 

Et c’est aussi pourquoi Vittorio Alberti, convaincu de la nécessité d’une approche globale de la lutte contre les maifas, nous fait aussi la confidence que son rêve est « d’impliquer les autres religieux (les orthodoxes, les juifs, les musulmans) » dans le Groupe de Travail dont il a pris la présidence.

 

Yani Hadar

Expert doté d’une expérience de huit années acquises dans le secteur de la compliance et du contrôle interne (missions dans le financement de projets, l’énergie et le secteur bancaire) et à l’international (France, Luxembourg, Maghreb).

 

Les entités du Vatican engagées contre la corruption

 

On le sait, la cité du Vatican constitue juridiquement un État, le plus petit au monde (44 hectares), constitué à la suite des accords du Latran (11 février 1929) « pour assurer au Saint-Siège l’indépendance absolue et visible, avec une souveraineté indiscutable, garantie même dans le domaine international ».

La cité du Vatican compte environ 1000 citoyens, qui ont obtenu la citoyenneté vaticane non pas du fait de l’appartenance à ce territoire mais du fait qu’ils y exercent leurs fonctions.

La loi fondamentale de l’État du Vatican a été promulguée par le Pape Jean Paul II, le 26 novembre 2000, et elle a remplacé la loi du 7 juin 1929 promulguée à la suite des Accords du Latran.

 

Le Saint-Siège

Le Saint-Siège, appelé aussi Siège Apostolique, est la personne morale du pape et de la curie romaine, autrement dit du Gouvernement de l’Église avec ses différents dicastères ou ministères. Il est lié à la personne du Pape, en tant que successeur de l’apôtre Pierre et chef de l’Église Universelle, alors que le Vatican l’est à son territoire.

Il faut savoir que le Saint-Siège, entité réunissant tous les services de l’Église catholique romaine, gère l’administration centrale du Vatican avec la Curie Romaine et son service diplomatique. Les ambassadeurs sont accrédités auprès du Saint-Siège et non du Vatican. Sa représentation internationale est reconnue par l’Italie et le Saint-Siège possède en tant que tel, un statut d’observateur à l’ONU.

 

L’institut pour les œuvres de religion – IOR (appelé également la « banque du Vatican »)

L’institut pour les œuvres de religion, appelée également la «banque du Vatican» a été créée en 1942 par le Pape Pie XII. Le pape a voulu doter l’Église d’un outil financier moderne avec un réseau international.

Cet organisme est une sorte de caisse d’épargne qui reçoit les dépôts d’ordres religieux, de prêtres et de laïcs pour les utiliser pour le financement de prêts immobiliers à faibles taux au profit des diocèses et missions, ainsi que des créances plus rémunératrices acquises sur les marchés financiers dont les revenus sont avant tout affectés aux œuvres de charités du Saint-Siège.

 

La congrégation pour l’évangélisation des peuples

La congrégation pour l’évangélisation des peuples est un dicastère totalement autonome, fondé par le Pape Grégoire XV en 1622 sous la dénomination «Sacra Congregatio de Propaganda Fide»(«Sacrée congrégation pour la propagation de la foi» ). Ce terme a été abandonnée en 1892 en raison de la connotation négative du mot  «propagande». D’après l’article 85 de la nouvelle constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988, elle a comme mission, la direction et la coordination dans le monde entier de l’évangélisation des populations et la coopération missionnaire.