Edito
16H49 - lundi 1 novembre 2021

Guerre de la pêche en Manche : Amiral Nelson, nous voilà ! L’édito de Michel Taube

 

La bataille de la pêche fait rage en Manche, autour des iles anglo-normandes de Jersey et Guernesey. En soi, rien de vraiment nouveau, même si les canons sont restés froids et sous leur bâche « EU » (ou UE pour European Union), désormais déchirée.

La Guerre de 100 ans est loin, et l’Angleterre est notre alliée. Il n’y a pas si longtemps, on avait même le sentiment qu’elle était notre amie ou notre cousine. On prenait le train de Paris à Londres comme un bus ou un métro, et les deux villes les plus emblématiques d’Europe donnaient presque le sentiment d’être jumelles.

Et vint le Brexit. Il faut désormais un passeport pour visiter Big Ben (bon… l’horloge de la Gare de Lyon, à Paris, lui ressemble, et est à peine plus petite).

On sait que les Anglais n’ont jamais été très européens. Non seulement ils ont conservé leur vieille livre sterling, mais ils n’ont jamais été membres de l’Espace Schengen. Contrairement à ce que clament nos ténors français d’extrême droite, les Anglais ne vont pas mieux, maintenant qu’ils roulent pour eux. Respecter les accords de sortie de l’UE leur coute, et ils se croient autorisés à ne les appliquer qu’à leur guise. Au plus fort des négociations sur le Brexit, on se demandait même si les choses n’allaient pas déraper : le Royaume-Uni deviendrait un paradis fiscal et nous, en attendant un éventuel blocus (génial, la bataille navale !) laisserions filer vers leurs rivages nos migrants entassés autour de Calais.

Le Brexit se réalisa et la tension baissa, le temps d’une partie de pêche en Manche. Elle dure depuis plus d’un an : aux termes du Brexit, Londres devait attribuer 554 licences aux Français pour pêcher dans les eaux britanniques. Selon Paris, il en manquerait 244. Les Anglais nous mèneraient-ils en bateau ? En tout cas, pour protéger les leurs, ils n’hésitèrent pas à rouler les mécaniques, jusqu’à envoyer en Manche des bateaux de guerre. Doit-on répliquer en y dépêchant le porte-avions Charles de Gaulle ou un sous-marin nucléaire afin de dégommer l’Amiral Nelson et ses clones mangeurs de bœuf bouilli à la sauce à la menthe ?

Mauvaise plaisanterie. D’autant plus que les Anglais contestent les chiffres français. Peut-être faudrait-il demander avis au négociateur en chef du Brexit pour l’UE, le postulant à la candidature LR pour les présidentielles, Michel Barnier. Mais on a quelques raisons de penser que les Anglais ne sont pas de bonne foi, où qu’ils nous prennent vraiment pour des mangeurs de grenouilles (ou pour des grenouilles), comme ils le firent grossièrement au début des négociations sur le Brexit, lorsqu’ils voulurent nous imposer leur vision : à eux le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière (en gros, le marché unique européen sans contrainte juridique ni fiscale). À nous le reste, ce qu’ils ne veulent pas, comme les migrants qui rêvent de traverser le Channel.

Emmanuel Macron est resté aussi placide qu’un gentleman de sa gracieuse Majesté. Le flegme britannique n’y suffira pas. Napoléon is back ! La France pourrait réduire ses livraisons d’électricité à Jersey si les Anglais ne s’exécutaient pas rapidement. Et le 28 octobre, Annick Girardin, ministre de la Mer a soufflé dans les bronches (plutôt que dans les voiles) anglaises en annonçant la verbalisation de deux bateaux de pêche britanniques en baie de Seine, non loin du Havre (le capitaine Édouard Haddock Philippe a dû jubiler !). Et ce ne serait qu’un début ! Peut-être celui d’une tempête (électorale) dans un verre d’eau. Certains évoquent les pires tensions russo-britanniques depuis Waterloo (ou Austerlitz ?). Pour 200 licences de pêche ? L’Histoire démontre qu’il s’en faut parfois de peu pour déclencher une guerre. Pas cette fois en tout cas ! L’entente, même si elle n’est plus cordiale, devra s’imposer. Toutefois, cette guéguerre de la pêche en Manche n’est-elle pas le symptôme d’un malaise plus profond, ou plutôt d’une addition de malaises : le Royaume-Uni va mal, l’Europe est désunie, la France est fragile…

Au pire, le conflit de la pêche pourrait être réglé d’ici 2050 : selon certains prévisionnistes, la surpêche et la pollution, notamment au plastique, pourraient vider les océans de leurs poissons. Et sans poisson, toutes les carottes seraient cuites !

 

Michel Taube

Directeur de la publication