Edito
06H33 - samedi 9 octobre 2021

Pédophilie dans l’Eglise catholique : tristes « paroles d’Evangile ». L’édito de Michel Taube et Raymond Taube

 

« Le secret de la confession s’impose à nous et est au-dessus des lois de la République ». Ces mots ne furent pas prononcés par un ecclésiastique de la fin du 18ème siècle pestant contre la 1ère République, mais par Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), invité de France Info le 6 octobre 2021.

Cette fois, ce n’est donc pas un imam salafiste qui a oublié qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution, la France et une république laïque. Pourtant, dans un pays dont 51 % de la population se déclare incroyante d’après un sondage de l’IFOP pour l’Agir, l’Association des journalistes d’information sur les religions, cette déclaration suscite la polémique, principalement parce qu’elle est faite à l’occasion de la remise du rapport de la Commission indépendante sur les abus dans l’Église (Ciase), et des milliers de cas pédophilie qu’il relate. Une façon de refuser de voir les causes de cette systématicité des crimes commis dans l’Église ?

L’Eglise ferait pourtant mieux de laver son linge sale et même répugnant et, comme le pensent de nombreux chrétiens, s’interroger sur la pertinence du vœu de chasteté et du célibat des prêtres, qui ne correspondaient ni à la parole ni au mode de vie de Jésus, et dont rien ne permet de démontrer qu’il ait pu avoir de pareilles exigences à l’égard des représentants du culte.

Mais en vérité, cette question théologique ne devrait pas nous intéresser. La France n’est pas une théocratie et en aucun cas, une loi religieuse ne peut primer une loi laïque, quand bien même la France serait-elle la fille aînée de l’Église. Pourtant, tout croyant de toutes obédiences considère que les textes saints priment ceux des Hommes et que le seul jugement qui vaille est le jugement dernier. Mais dans les pays sécularisés, a fortiori dans un pays laïc, il est une autre règle que Napoléon avait imposée aux Juifs en 1806 et qui semblait comprise de l’Église, au moins depuis la loi de 1905 séparant l’Eglise de l’État : la loi applicable est celle du pays, et en cas d’opposition entre le texte religieux et la loi laïque, c’est cette dernière qui s’impose.

 

Pédophilie : la loi impose la levée du secret

Notre droit assimile le secret de la confession à un secret professionnel (article 226-13 du Code pénal consacrant le secret par état), mais plusieurs dispositions de loi autorisent voire imposent la levée du secret dans des situations aussi graves que la pédophilie. Certes, les articles 434-1 et 434-3 du Code pénal disposent que celui qui est astreint au secret professionnel a le choix de révéler ou non, ce que rappelle une circulaire du 11 août 2004 relative au « secret religieux ». Mais dans le cas d’une personne en risque de subir un crime ou un délit contre son intégrité corporelle, ou d’une personne en péril, à fortiori mineure, l’obligation d’intervenir, de signaler ou de provoquer un secours est impérative (article 223-6 du Code pénal). Elle est facultative dans les autres cas (article 226-14). Comme l’a fort justement souligné le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti sur LCI, « si un prêtre reçoit dans le cadre de la confession, soit d’une victime, soit d’un auteur, la connaissance de l’existence de faits qui se déroulent …/… alors il a l’impérieuse obligation de mettre un terme à ces faits ».

Il est regrettable que ces différents textes puissent encore être sujets à interprétation lorsque les faits se situent dans le passé (il n’y a alors pas de non-assistance à personne en danger ou en péril), permettant à des ecclésiastiques de s’en prévaloir pour couvrir les crimes les plus abjects. Violer le secret de la confession, serait-ce s’exposer à être mis au banc de la hiérarchie ecclésiastique, à compromettre une carrière dans les ordres voire à l’excommunication ? En matière de pédophilie, c’est le silence qui devrait entraîner cette sanction. On ne peut se prévaloir de la lettre pour violer si grossièrement l’esprit des textes saints. Ces ministres du culte n’ont-ils de chrétien que le nom et l’apparence. Le même Mgr de Moulins-Beaufor s’était pourtant fendu d’un « J’exprime ma honte, mon effroi » en recevant le rapport de la Ciase dont il a souligné la qualité et les mérites. Mais lorsqu’il s’agit d’en tirer les conséquences effectives, donc juridiques et même pénales, le ton change radicalement.

Dans un pays laïque, c’est la loi qui devrait clairement lever toute ambiguïté afin de rompre une bonne fois pour toutes cette scandaleuse omerta. Une recommandation du rapport de la Ciase va dans ce sens, en cas d’« atteintes graves sur mineurs ou personnes vulnérables ». 330 000 enfants victimes de violences sexuelles en 70 ans, et ce n’est probablement que la partie immergée de l’iceberg. 330 000 enfants abusés, martyrisés. 330 000 vies brisées. En faut-il davantage pour que le législateur s’en préoccupe ?

Jean-Marc Sauvé, qui a présidé à ce courageux rapport vérité, est l’ancien vice-président du Conseil d’Etat, un de nos plus éminents juristes. Peut-être faudrait-il, en attendant la fin du célibat des prêtres (et l’ordination des femmes ?) clarifier la loi voire renforcer les obligations de signalement dans une institution malheureusement gangrenée.

 

Michel Taube

Raymond Taube, directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique

Directeur de la publication
Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique