Edito
08H31 - mercredi 12 mai 2021

Une cinquantaine de jeunes Afghanes assassinées à Kaboul : l’Afghanistan ne sera pas l’enclos des talibans ni leur base de conquête du monde. L’édito de Michel Taube et Fahimeh Robiolle

 

Ce samedi 8 mai 2021 ont eu lieu trois attentats à la sortie d’une école de filles dans le quartier ouest de Kaboul, un des quartiers le plus défavorisés de la ville où résident les hazâras, la minorité chiite. 63 personnes ont trouvé la mort, des passants, des enseignantes, mais la plupart étaient des jeunes filles de 12-17 ans. Ce n’est pas la première fois que la minorité hazâra, considérée par les talibans hanafites comme des êtres inférieurs et mécréants, est visée.

Dimanche a eu lieu l’enterrement collectif de ces filles sur les deux collines qui surplombent Kaboul. Certains corps tellement abîmés ont été enterrés sans avoir réussi à trouver les parents. On pouvait observer dans un coin de la rue près de l’école des livres, des cahiers dans lesquels on peut lire les rêves de devenir quelqu’un : femme médecin, policière ou enseignante pour aider et améliorer la vie de la famille et aussi des poèmes et des prières pour le Ramadan.

Ces jeunes filles tombées en Afghanistan sont les nôtres !

Aller à l’école pour ces filles était un défi de tous les jours en plus d’aider la mère dans les travaux ménagers ou de gagner un peu d’argent en tissant des tapis après l’école pour subvenir aux besoins de la famille. La plupart des pères étaient de simples ouvriers dont, avec le Covid, le revenu avait drastiquement diminué. Samedi, il y a eu plus de 150 blessées dont certaines dans un état grave. La pauvreté ne leur permettra pas d’être soignées dans les meilleures conditions. Le père d’une des filles qui a subi de multiples fractures disait qu’il n’avait pas d’argent pour acheter les broches pour reconstituer le bras de sa fille.

Il y a celles qui sont parties et dont les rêves et les rêves de leurs parents d’une vie meilleure se sont envolés et il y a celles qui doivent faire face aux blessures et enfin le traumatisme de celles qui ont été témoins de cette barbarie.

Mais cet attentat visait plus particulièrement les filles et l’éducation. Les talibans savent que les femmes et l’éducation constituent leur talon d’Achille. Entre 1996 et 2001, les femmes qui représentent 50% de la population n’existaient pas socialement, elles n’avaient aucun droit, elles vivaient obéissantes et soumises dans l’obscurité des maisons en subissant toutes sortes de violences. Aujourd’hui, les filles vont à l’école, deviennent avocates, journalistes, députées/sénatrices, enseignantes, médecins, entrepreneures, artistes, sportives… Cet engouement est visible à l’Université de Kaboul et dans les autres centres d’enseignement supérieur bien qu’ici et là des fermetures d’écoles de filles et leur remplacement par des écoles coraniques pour des garçons ont été constatées.

Beaucoup ne connaissent des talibans que les récits qui sont faits de l’époque où ils tenaient l’Afghanistan. En effet, près de 60 pour cent des Afghans ont moins de 24 ans.

 

Les filles ne veulent absolument pas retourner en arrière. Les filles ne veulent pas des Talibans !

Cet attentat contre une école de filles n’est qu’une continuation d’une série d’assassinats terroristes inhumains qui, malheureusement, ne se sont jamais ralentis. Les attaques les plus meurtrières ont eu lieu dans cette partie de Kaboul ces dernières années et elles ont été menées contre des civils dans des écoles et des mosquées.

Les terroristes avaient déjà visé l’éducation, on se souvient de l’attentat à l’Université de Kaboul, et celui du dortoir des étudiants de Logar (pas plus tard que la semaine dernière) et, comme dans le cas de cette école, ils ont atteint des étudiants innocents.

Verser le sang d’êtres les plus innocents, à savoir des petites filles est un crime abject en soit mais que sont dont ces talibans pour le commettre pendant le mois sacré du Ramadan et à la veille de la célébration de la fin de jeûne ? Hélas, lorsque les Afghans et la communauté internationale les exhortaient à une diminution de la violence pendant le mois sacré du Ramadan, le porte-parole des talibans avait prévenu : « Le jihad pendant le Ramadan a plus de valeur aux yeux de dieu le tout puissant ! ».

Les talibans ont déclaré que l’attaque de l’école des filles à l’ouest de Kaboul n’est pas leur œuvre. Mais les attaques contre le peuple afghan depuis vingt ans sont bel et bien l’œuvre de ce groupe sanguinaire. Il ne faut pas être dupe : la plupart des groupes terroristes basés en Afghanistan sont liés les uns aux autres et s’entraident dans les guerres et les conflits.

 

Enjeux géopolitiques

En effet, si la guerre et la violence ne sont plus l’œuvre des talibans, cela signifierait que ce groupe aurait changé du jour au lendemain, fausse idée hélas. Car ils continuent à perpétrer la guerre dans les provinces de Baghlan, Kandahar, Helmand, Fariab et Ghazni… Pourquoi les talibans posent sans cesse des prérequis pour négocier ? Pourquoi ont-ils mobilisé toutes leurs forces pour préparer les plus grandes offensives pour gagner les villes et les districts par des moyens militaires pendant que les forces étrangères quittent le pays, conformément à leurs exigences ?

Les talibans ont trouvé une ruse à ne pas revendiquer les attentats, pour détourner l’opinion internationale et être crédibles et imposer de plus en plus leurs conditions.

Comme à chaque fois, les condamnations et les condoléances sont adressées au peuple afghan par la communauté internationale. Ces belles déclarations qui revendiquent que nous, Occidentaux, sommes du côté du peuple afghan sont en complète contradiction avec la réalité du terrain, à savoir la diminution des effectifs des ambassades et leurs plans urgents de fermeture qui coïncident avec le départ imminent des Américains, tel que Joe Biden vient de le confirmer. Ce peuple qui subit la guerre depuis 42 ans se sent abandonné.

En septembre 2020, leur prérequis de libération de 5000 prisonniers pour accepter le début de la négociation à Doha n’a pas fait avancer la paix ni diminuer la violence d’un iota : plusieurs de ces prisonniers ont repris des armes immédiatement.

Pendant que les Américains accélèrent leur départ d’ici le 11 septembre 2021, les pourparlers continuent pour faire venir les talibans à la table des négociations à Istanbul, et cette fois ci, leur prérequis serait la libération de 7000 prisonniers et de ne plus figurer sur la liste de l’ONU pour notamment « circuler librement » !

Au niveau international, les termes à propos des talibans deviennent nuancés, les « actes terroristes » sont remplacés par « les violences », et « les terroristes » par « les insurgés » ou « les groupes semant la terreur ». Appelons un chat un chat !

Les talibans font une erreur stratégique majeure de refuser le partage du pouvoir parce qu’ils ont la certitude de la prise de l’Afghanistan et de l’instauration d’un émirat islamique dès le départ des Américains. Aujourd’hui ils sont en guerre avec l’armée afghane, mais demain ils seront en guerre non seulement avec l’armée mais aussi avec tous les mouvements qui ne veulent absolument pas d’un émirat islamique.

Une nouvelle guerre civile est aux portes de l’Afghanistan. Nous sommes prévenus. Quant à tous ceux qui les rendent de plus en plus légitimes pour les inciter à négocier, il faudrait leur dire qu’on négocie à deux. Mais les talibans ne semblent pas vouloir négocier mais gagner le temps. En tout état de cause, l’Afghanistan ne restera pas l’enclos des talibans et le danger risque fort de s’inviter chez nous.

Il y a six ans, et toutes choses égales par ailleurs, 200 jeunes filles nigérianes avaient été enlevées par Boko Haram et la France de François Hollande avait accueilli un Sommet international pour condamner l’horreur absolue, un crime contre l’humanité en soi, de s’en prendre à tant d’innocentes.

Qu’attend la communauté internationale pour s’indigner du sort de ces Afghanes et empêcher le retour des talibans au pouvoir ? Leur victoire serait l’assurance que l’islamisme terroriste va redoubler d’intensité en Europe, en Afrique et dans le monde entier.

 

Fahimeh Robiolle

Franco-iranienne, ancienne ingénieur au Commissariat de l’Energie Atomique (CEA), consultante, Fahimeh ROBIOLLE est chargée de cours à l’ESSEC Business School, à l’ENA jusqu’en 2016, aux Universités Sorbonne, Cergy, Nantes, Téhéran et Kaboul, à l’Institut Catholique de Paris et à l’Ecole de Guerre. Elle a contribué au projet de construction de leadership building en RDC et au Burkina Faso.

Elle organise et conduit des séminaires en négociation, gestion de conflits, leadership et team building en français, anglais et persan.                                                                                                             

Elle contribue au renforcement de capacité des femmes leaders afghanes (députées, sénatrices, activistes,..) visant à une participation plus significative dans la gouvernance et au processus de paix en cours. Ces contributions ont eu lieu via l’organisant des programmes avec les partenariats de l’Assemblée Nationale, le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères français, l’ESSEC, UNDP d’Afghanistan et le département d’état Américain.

 

& Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une pétition pour soutenir une Afghanistan où les femmes tiennent leur rang


Alors que l’on observe une escalade inquiétante de la violence en Afghanistan et une vague d’assassinats ciblés, des milliers de femmes tentent de faire entendre leur voix. Par ces assassinats, les talibans continuent de viser en particulier les femmes journalistes, les membres de la société civile et les soignants. Malgré les risques, les femmes afghanes résistent et ne veulent pas d’un pouvoir politique qui supprimerait les droits qu’elles ont acquis au cours des deux dernières décennies.

La paix en Afghanistan échouera si les droits des femmes sont menacés ou niés. La paix en Afghanistan ne sera jamais atteinte si les femmes afghanes ne sont pas incluses dans le processus de paix. Leur sécurité et la nôtre sont en jeu.

L’évolution des pourparlers de paix avec les talibans est inquiétante pour l’avenir des femmes et des minorités en Afghanistan.

Lors de la dernière rencontre officielle entre les représentants des talibans et du gouvernement afghan à Moscou le 18 mars dernier, une seule femme, Habiba Sarabi a été invitée à prendre part aux discussions. Par conséquent, les intérêts des femmes ne semblent pas être pris en compte dans ces pourparlers.

Pourtant, une participation significative des femmes aux négociations de paix en général se traduit par des accords de paix plus adaptés et des taux de mise en œuvre plus élevés. La prochaine conférence de négociation à Istanbul est retardée. Il est encore temps d’exiger un nombre beaucoup plus élevé de femmes au sein de la délégation du gouvernement afghan.

100 000 femmes et filles de 15 provinces d’Afghanistan ont récemment signé une déclaration pour exiger une paix durable et digne (voir la photo).

Pour amplifier la voix des femmes afghanes une pétition est lancée à Paris dont voici le lien : http://chng.it/2x7wpWYhJV  

La pétition demandant une participation significative des femmes afghanes aux pourparlers de paix a reçu en seulement 3 semaines plus de 1 100 signatures à ce jour provenant de 65 pays. Parmi les signataires figurent des sénateurs, des parlementaires, des activistes, des professeurs, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des militaires et d’autres personnes avec différentes sensibilités. Plusieurs personnalités de haut niveau ont rejoint cet élan de mobilisation et ont manifesté leur soutien en signant la pétition. En voici quelques noms (par ordre alphabétique) :

Madame Dr. Alema, Vice-Ministre d’État pour les affaires de la paix, Afghanistan,

Madame Najia Anwari, Porte-parole du Ministère d’État pour les affaires de la paix, Afghanistan,

Madame Mary Akrami, Directrice Exécutive du Réseau des Femmes Afghanes, Afghanistan,

Madame Elisabeth Badinter, femme de lettre et philosophe,

Madame Annick Billon, Sénatrice, Présidente de La Délégation Aux Droits Des Femmes du Sénat, France,

Monsieur, Christophe de St. Chamas, Général de corps d’armée et gouverneur des Invalides, France,

Madame Catherine Deudon, Photographe et féministe, France,

Madame Frédérique Dumas, DéputéeVice-Présidente du groupe d’amitié France Afghanistan, France

Monsieur Staffan de Mistura, Ancien envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Irak, Afghanistan, Liban et Syrie,

Madame Camille de Peretti de la Rocca, EcrivaineFrance,

Madame Naheed Farid, Membre du parlement, Afghanistan,

Monsieur Loïc Finaz, Amiral, France,

Monsieur Nedim Gursel, Ecrivain, Turquie,

Madame Dr. Anarkely Honaryar, Sénatrice minorité Sikh, Afghanistan,

Madame Masouda Karoukhi, Membre du parlement, Afghanistan,

Monsieur Haj Ahmad Vakil Karoukhi, Membre du parlement, Afghanistan,

Monsieur Jacques Le Ney, Sénateur, Président du groupe France Afghanistan, France

Madame Dr. Farideh Momand, Membre Du Haut Conseil pour la Réconciliation Nationale (HCNR), Afghanistan,

Madame Farkhondeh Zahra Naderi, Membre Du Haut Conseil pour la Réconciliation Nationale (HCNR), Afghanistan,

Madame Laurence Rossignol, Sénatrice, Vice-Présidente du Sénat, France,

Madame Sema Samar, Membre du Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation du Secrétaire Général des Nations unies, ancien ministre des droits de l’homme et des relations internationales,

Madame Wajma Sapi, Membre du parlement, Afghanistan,

Madame Dr.Habiba SarabiLauréate du prix Simone Veil 2021 de la république française, Membre Du Haut Conseil pour la Réconciliation Nationale (HCNR), Afghanistan,

Madame Melanne Verveer, Directrice Exécutive de l’Institut pour les Femmes, la Paix et la Sécurité de l’Université de Georgetown, Etats-Unis,

Madame Fouzia Zouari, Écrivaine, Présidente du Parlement des Écrivaines Francophones et 15 de ses membres, Tunisie.

 

 

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