Edito
06H36 - mercredi 28 avril 2021

Laïcité, peines plancher, avortement… La Cour européenne des droits de l’Homme contre les « droitsdelhommistes ». L’édito de Michel Taube

 

Laïcité, peines plancher, avortement… Les droits de l’homme, souvent décriés et bafoués, sont malheureusement souvent bien mal défendus par celles et ceux qui voudraient s’arroger le monopole de leur défense. Or il est une Cour, la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, qui en a développé une définition et et un périmètre d’application juridique original et d’une pertinence unique au monde.

Or les droitsdelhommistes, tout comme les pourfendeurs de l’État de droit, évoquent à tort et à travers la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH), pour lui faire dire ce qu’elle n’a pas dit et qu’elle ne pourra jamais dire, sauf à prendre le risque de perdre son aura et sa crédibilité.

Entendons-nous bien : le terme ou l’expression « droitsdelhommistes » est ici employé avec une connotation volontairement péjorative, pour dénoncer ceux qui derrière une idéologie par essence progressiste, défendent des intérêts catégoriels, parfois ethniques ou religieux, comme par exemple ceux qui considèrent que contrôler l’immigration ou lutter contre l’islam politique est une violation des droits de l’Homme. S’y ajoutent des intégristes de toutes religions, qui considèrent par exemple que le droit de mourir dans la dignité et celui de l’avortement sont des atteintes aux droits de l’Homme.

Quant à ceux qui dénoncent l’État de droit, nous partageons leur indignation lorsque que le propos est de déplorer que certains juges fassent de la politique dans les prétoires, soit en n’appliquant pas la loi ou en la dénaturant, soit en influant sur la vie démocratique. Ainsi, nul ne peut nier l’exceptionnelle célérité de la justice dans l’affaire Fillon, le temps de la campagne électorale : rien avant et pas grand-chose après ! Mais dénoncer les dérives de la justice et les dérives de la « République des juges » ne signifie pas remettre en cause l’État de droit. Sans lui, ce serait la toute-puissance de l’exécutif, qui peut dégénérer en dictature.

Plus encore que la Constitution française, la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH) est devenue le socle juridique de notre société voire de notre civilisation. La Cour EDH en contrôle l’application. Si comme la Constitution de la Vème République, et celle des États-Unis d’Amérique, elle puise en partie sa source de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, et donc de la Révolution française, elle est principalement d’inspiration anglo-saxonne, en particulier s’agissant des libertés individuelles et de la place des religions dans la société. La laïcité est une spécificité française. Aucun autre pays signataire de la Convention EDH, et à ce titre membre du Conseil de l’Europe, n’est laïc, si ce n’est la Turquie, dans ses institutions. Mais depuis l’avènement de Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie n’a pas seulement abandonné la laïcité. Elle s’est également éloignée de plusieurs préceptes de la démocratie et de l’État de droit, sans pour autant dénoncer la Convention EDH, ni être exclue du Conseil de l’Europe. On peut en dire autant de la Russie.

La Convention et la Cour EDH sont précieuses et fragiles. Le droit n’a jamais su empêcher la dictature. Seuls les juristes naïfs lui prêtent de pareilles vertus. Mais ne pas défendre ses textes et leur application revient à laisser un vent mauvais, celui de l’autocratie et de l’arbitraire, balayer nos valeurs les plus essentielles. Rien n’est acquis, rien n’est irréversible. Qui aurait pu croire que l’Allemagne de Beethoven et de Goethe devienne celle de Hitler ?

S’agissant de la laïcité ou de la lutte contre l’intégrisme islamique, les droitsdelhommistes d’extrême gauche et de l’islam politique, deux idéologies pourtant factuellement hostiles aux droits de l’Homme, considèrent qu’exiger la neutralité du service public, refuser à une femme d’être intégralement voilée dans l’espace public, interdire le voile à l’université ou expulser un délinquant ou même un islamiste étranger sont des atteintes aux droits de l’Homme. Dans toutes ces hypothèses, la Cour EDH a dit le contraire, en désignant l’islam politique et prosélyte bien plus clairement que ne l’ont fait les États, du moins l’État français, jusqu’à considérer qu’interdire le voile intégral (et non la dissimulation du visage) dans l’espace public relève du vivre ensemble et du choix de société.

On entend aussi les europhobes, populistes d’extrême droite et autres détracteurs de l’État de droit accuser la cour de Strasbourg d’interdire le contrôle de l’immigration, et notamment le regroupement familial, au nom de l’article 8 de la Convention EDH, dont l’objet est le « Droit au respect de la vie privée et familiale ». Mais comme cela est expliqué dans le guide de l’article 8, publié par la cour, « l’étendue de l’obligation pour l’État d’admettre sur son territoire des proches de personnes qui y résident varie en fonction de la situation particulière des personnes concernées et de l’intérêt général. » 

Une autre contrevérité est l’impossibilité de fixer des peines planchers au nom de l’article 6 de la Convention EDH visant le droit au procès équitable. Après que Xavier Bertrand eut préconisé cette mesure en matière de violence contre les forces de l’ordre, l’aboyeur de la place Vendôme, Éric Dupond Moretti, recruté par Emmanuel Macron pour la rage avec laquelle il sait mordre les mollets de Marine Le Pen, fit semblant de ne pas avoir compris en twittant (à la Trump) que celui qui pourrait écarter son patron du second tour de la prochaine présentielle voulait envoyer les innocents en prison sans jugement. Son évocation de la « rafle » fut aussi abjecte que sa fierté déclarée d’avoir défendu la famille d’islamistes terroristes Merah quand il fut avocat. On a aussi entendu Évelyne Sire-Marin, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, évoquer l’obstacle de la Cour EDH à l’instauration de peines planchers. Certes, celle-ci jugea en 2004 qu’une telle peine ne pouvait être infligée rétroactivement, ce qui est une règle de base du droit pénal, mais pas qu’elle contrevenait dans son principe à la Convention EDH. Il est vrai que cette magistrate a d’autres préoccupations : elle manifesta notamment aux côtés des islamistes et islamogauchistes, le 10 novembre 2019 à Paris, manifestation dont le but ne fut pas de dénoncer le racisme, mais le droit de défendre la laïcité et de combattre l’islam radical.

Sur un autre terrain, celui de l’avortement, ce sont d’autres intégristes qui voudraient l’interdire. Ils furent une nouvelle fois renvoyés à leur obscurantisme par la Cour EDH le 12 mars 2020, quand elle jugea que l’objection de conscience ne saurait justifier le refus de procéder à cet acte médical, en l’espèce par des sages-femmes. Le droit à l’avortement prime leurs convictions. Si cela ne leur sied pas, qu’elles changent de métier, ce qui également vrai pour les médecins ! Évidemment, cette décision provoqua l’ire de l’extrême droite. Pour Valeurs Actuelles, « les chrétiens en sont déjà les principales victimes ». Comme quoi, il n’y a pas que les intégristes musulmans qui évoquent les droits de l’Homme (ici de la femme) pour mieux les restreindre ou les pourfendre.

Autre exemple source de polémiques et de « fake news », celui du droit de mourir dans la dignité, parfois appelé droit au suicide assisté, voire à l’euthanasie. Il est déjà en vigueur dans plusieurs pays membres du Conseil européen, comme la Suisse, le Luxembourg, la Belgique ou l’Espagne, et est en discussion en France. La Cour EDH avait jugé 29 avril 2002 qu’il ne constituait pas un droit de l’Homme, au sens de Convention EDH, ce qui signifie que chaque État est libre de l’instaurer, mais qu’on ne peut l’y obliger au nom de ladite convention. Si une majorité de pays du Conseil de l’Europe adoptent le suicide assisté dans un cadre le limitant aux situations où il serait absurde de l’interdire (une fois encore, au nom de la religion), il n’est pas exclu que cette jurisprudence européenne évolue.

Nous terminerons par un exemple récent, d’une brûlante actualité : la Cour EDH a validé récemment le droit des États à rendre la vaccination obligatoire, ce qui est déjà le cas pour de nombreux vaccins, mais que les antivax dogmatiques rejettent s’agissant du Covid, au nom… des droits de l’Homme !

Ce n’est donc pas la Cour EDH qui fait obstacle à ce que la France se défende contre les périls qui la menacent. Tout au plus, cela pourrait être la Constitution, qui se réforme, si nécessaire par référendum, ou le droit de l’Union européenne, par le truchement de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais ni cette dernière ni la Cour EDH ne sauraient défier la France et lui interdire de sauvegarder ses valeurs au nom d’un droitdelhommisme ou de règles juridiques qui sans remettre en cause les principes fondamentaux de la Convention EDH et dans une moindre mesure du Traité de l’Union européenne, devront s’appliquer avec la souplesse que les circonstances exigent. L’islam politique, ennemi juré des droits de l’Homme, n’était pas en phase de conquête de la France et l’Europe lorsque ces textes furent adoptés. Il n’y a pas d’Europe sans la France. Sans doute n’y a-t-il pas de France sans Europe. Reste à savoir laquelle.

 

Michel Taube

avec Raymond Taube, directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique et rédacteur en chef d’Opinion Internationale

 

 

 

 

 

 

 

 

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