Edito
10H49 - mercredi 24 février 2021

Réforme des AGS : Macron veut-il vraiment être le Président des riches ? L’édito de Michel Taube avec Daniel Aaron

 

Macron est-il le Président des riches ?

Cette question ne cesse de polluer le mandat du Président et interroge sur ses engagements de campagne qui l’ont fait porter à la Présidence. Nous avons été de ceux qui ont cru en la sincérité et la capacité du Président de la République d’améliorer la justice sociale et d’œuvrer pour les salariés, les retraités, les étudiants précaires et aussi les classes moyennes. Bref nous ne pensions pas que Macron était le président des riches. En plus les riches, cela ne va rien dire et stigmatiser celles et ceux qui ont réussi dans la vie ou qui ont la chance de naître avec une cuillère en argent (voire en or) dans la bouche, n’est pas de notre philosophie.

Mais, nous avons de sérieuses raisons de nous demander si Macron et consorts ne privilégient pas les nantis (autre terme barbare) au vu du dernier projet de réforme que prépare le gouvernement et qui nous a fait tomber de la chaise.

Alors que la crise sanitaire se transforme en crise économique et sociale, que les plans de licenciements s’accumulent, que les faillites se préparent (elles auront surtout lieu techniquement en 2022, ce qui permet à l’Elysée d’être aussi serein) dans le silence assourdissant des drames humains cachés, que les salariés des milliers d’entreprises commencent à recevoir leurs lettres de licenciements, le gouvernement s’apprête à réformer le régime de garantie des salaires actuellement préparée au Ministère de la Justice, réforme qui réduira les droits des salariés en cas de dépôt de bilan ou de faillite de leur entreprise et qui mettra en péril un régime de solidarité efficace et vertueux. 

Pour faire simple, une entreprise qui dépose le bilan ou qui fait faillite a toujours des dettes salariales de 1,2 3 ou parfois 8 mois de salaire. Ces mois de retard sont alors pris en charge par les AGS (Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés) et permets très vite aux salariés de toucher tout ou partie de leur dû, indépendamment des vicissitudes de la procédure elle-même. 

Les AGS avancent alors les salaires et se remboursent sur les produits de la vente des biens de l’entreprise liquidée.

L’équilibre de système est basé sur une règle d’or : les créances salariales sont privilégiées, hyper-privilégiées, elles sont prioritaires sur toutes les autres. 

Ainsi, par exemple, dès que le fonds de commerce de l’entreprise liquidée est vendu, le produit de cette vente va servir à rembourser les AGS afin de leur permettre de poursuivre sa mission d’amortisseur social.

Or, comme le relève une note d’analyse de l’Institut Thomas More, Franck Morel, avocat associé chez Flichy Grangé Avocats et ancien conseiller relations sociales d’Edouard Philippe, et Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, alertent aujourd’hui sur un projet de réforme du Ministère de la Justice qui promet un avenir sombre du système. 

 

Que propose la réforme ? Attention, vous êtes assis ?

Elle propose deux mesures dont on peut dire sans caricaturer qu’elles sont faites pour les riches contre les pauvres.

Mesure 1 : privilégier les créances des administrateurs et des liquidateurs sur les créances salariales. Elles proposent de rétrograder ces dernières du 3° rang au 6° rang de la procédure collective. 

Les conséquences seront immédiates : les ressources financières des AGS vont diminuer de manière drastique et elles vont ralentir le versement des salaires aux malheureux qui prient tous les jours pour recouvrir les 1, 2, 3 voire 8 mois de salaire en retard.

Imaginez la scène dans les bureaux des administrateurs : Madame la salariée, Monsieur le salarié, non, attendez, je vais me payer d’abord, moi votre cher administrateur judiciaire. Vous comprenez, je travaille dur pour liquider votre outil de travail et une partie de votre vie…

Mesure 2 : la réforme propose que le produit de la vente d’immeuble ne puisse plus être affecté aux AGS, non, mais aux créances bancaires. Aux banques, quoi ! Non, attendez, Mesdames, Messieurs, je vais payer d’abord votre chère banque. Vous comprenez, la pauvre, elle est plus importante que vous.

 

Pourquoi cette réforme me direz-vous ?

Elle ne peut se comprendre que par un jeu de lobbying néfaste à la démocratie. Ne tournons pas autour du pot. Lorsque l’incompréhension est totale, il faut juste se demander à qui profite le crime ? Et regarder les différentes temporalités qui bercent l’exercice du pouvoir. 

A la faveur du changement de Premier Ministre, un balai caché de conseillers a rebattu les cartes des jeux d’influence autour du pouvoir. 

Franck Morel, conseiller relations sociales d’Edouard Philippe, s’en est allé avec Edouard Philippe…

Il œuvrait tous les jours pour le renforcement du système des AGS, garantissait sa morale grâce à sa connaissance fine de la réalité du terrain de ces procédures collectives complexes et souvent obscures dans leur application.  

Il s’en est allé et les requins cachés se sont engouffrés dans la brèche pour concocter une réforme inique en quelques mois à peine. 

On va passer sur l’emballage anti-européen honteux et malhonnête qui veut faire porter le chapeau à l’Europe pour mieux cacher les intérêts réels des bénéficiaires de la réforme.

Ainsi, les administrateurs, les liquidateurs, les banques ont œuvré en coulisses par un lobbying caché intense, immoral, faisant fi des engagements politiques de Macron. 

Pourquoi cette réforme encore ? Pour des raisons économiques ? C’est-à-dire pragmatiques ? Cela expliquerait tout ! Cela pardonnerait tout !

Les deux sentinelles de l’Institut Thomas More, ces deux lanceurs d’alerte que sont Franck Morel et Sébastien Laye qui viennent de dénoncer le projet du gouvernement, en sont certains : la réforme va bouleverser l’équilibre financier du système !

 

Maintenez le système des AGS, Monsieur le Président !

Nous, nous disons, à Opinion Internationale, que la crise à venir est telle que le système des AGS ne passera pas cette crise avec cette réforme.

La France se dirige vers un mur de faillites d’entreprises et de chômage en 2021 et surtout en 2022. Les conséquences économiques de la crise sanitaire vont être extrêmement dures dans les prochains mois. Euler Hermes, numéro un mondial de l’assurance-crédit, anticipe une explosion des défaillances d’entreprises (plus de 60 000 défaillances, +32% par rapport à 2020). Quant au chômage, la Banque de France table sur un taux frôlant les 11%, avec 750 000 emplois détruits cette année. 

Or, l’intervention des AGS est financée de deux manières : par une cotisation patronale (de 0,15%) et par la créance que l’AGS prend sur l’entreprise, en lieu et place des salariés. Le système est efficace (1,5 milliard d’euros avancés, 182 000 bénéficiaires en 2019) et rapide (98% des avances sont versées à J+5). Il est aussi indolore pour la collectivité puisqu’il ne coûte rien à l’État, ni aux salariés. Il n’a pas d’équivalent en Europe.

Grâce au super privilège dont jouit l’AGS, les remboursements qu’elle obtient représentent 40 % de ses ressources. En rétrogradant ce super-privilège du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers, mécaniquement, l’AGS verrait réduire les remboursements qu’elle parvient à récupérer puisqu’elle passerait après les autres créanciers (administrateurs de justice et banques). 

Pour faire face à une telle baisse de ses ressources, l’AGS n’aurait que trois options possibles, qui impacteraient toutes les salariés : réduire le périmètre de prise en charge de l’AGS (ce qui réduirait le montant des sommes perçues par les salariés), exclure certaines créances du champ de la garantie de l’AGS (ce qui aurait le même effet) ou augmenter les taux de cotisation des entreprises à l’AGS (ce qui constituerait un alourdissement du coût du travail, défavorable à l’emploi).

Ainsi, on comprend mal ce qui motive une telle réforme dans le contexte économique que nous connaissons. 

Monsieur Macron, avez-vous déjà perdu votre emploi ? Avez-vous déjà été en faillite ?

Il n’est pas souhaitable de privilégier les administrateurs judiciaires et les banques sur les salariés ! 

Monsieur le président, faites retirer ce projet dont l’absurdité et le manque de morale sont un non-sens économique et confortez les AGS en instaurant, par exemple, des contre-pouvoirs dans les procédures collectives qui sont des zones de non droit et dont les administrateurs et les liquidateurs judiciaires sont les gardiens ! Mais cela, il est vrai, c’est une autre pierre d’achoppement pour celles et ceux qui voudraient sincèrement réformer en profondeur – et de façon juste ! – notre société…

 

Michel Taube et Daniel Aaron

 

Franck Morel et Sébastien Laye, PDG d’Aslan Investissement, et Franck Morel, avocat, détaillent, dans une note d’analyse de l’Institut Thomas More, cinq propositions cohérentes avec la crise, avec les réalités économiques du terrain et avec les engagements de Monsieur Macron.

 

Cinq propositions pour garantir le système et le renforcer.

Proposition 1. Réaffirmer dans la loi le premier rang du super privilège des salaires, la subrogation de l’AGS en la matière et sa position super privilégiée ensuite à ce titre, ainsi que le versement des avances par l’AGS en l’absence de fonds disponibles dans la procédure collective.

Proposition 2. Améliorer le reclassement en permettant à l’AGS d’intervenir plus efficacement en ciblant les mesures d’accompagnement garanties par l’AGS plus précisément dans le cadre d’une coordination avec les autres financeurs. La loi pourrait le permettre au niveau local dans le cadre d’une démarche coordonnée par préfet et région.

Proposition 3. Favoriser l’intervention de l’AGS en procédures de prévention afin d’encourager celles-ci, de baisser ainsi le nombre de procédures collective.

Proposition 4. Faire intervenir le régime AGS en garantie des sommes dues aux travailleurs indépendants, sous plafond, dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

Proposition 5. Instaurer un plafonnement des sommes indemnitaires garanties par les AGS, par exemple à la moitié du plafond général et, lorsque ces montants sont fixés par la loi, seulement dans la limite des montants légaux.

Directeur de la publication