Edito
09H40 - mardi 23 février 2021

Australie, France, Etats-Unis : à quoi joue Facebook ? L’édito de Michel Taube

 

A priori, il ne faudrait pas se plaindre de ce que Jordan Bardella, cadre du RN, et Marion Maréchal (plutôt à la droite de ce parti sur bien des questions) aient été bannis par Facebook. Malgré de multiples ravalements de façade, le RN est la vitrine savamment décorée d’une extrême droite dont les racines descendent jusqu’aux tréfonds du régime de Vichy, et dont nous disions qu’elle en était l’ultime déjection, une formule moins vulgaire que la réalité qu’elle désigne. 

Et pourtant, nous ne nous réjouissons pas de ce bannissement. Au contraire, c’est Facebook qui devrait être sommé par le juge de rouvrir ses comptes sur-le-champ, sous peine de son propre bannissement (à la chinoise !). 

La question n’est pas tant le positionnement idéologique de Facebook ou de Twitter. Auraient-ils coupé le sifflet à Jean-Luc Mélenchon ou Assa Traoré que cela eût été aussi inadmissible, même si les propos de cette dernière semblent plus violents et hostiles (à la France et à sa police en particulier) que le soutien au mouvement identitaire qui valut à Bardella et Maréchal leur éviction de Facebook. A notre connaissance, les menaces islamistes proférées contre Mila ou l’antisémitisme assumé des extrémistes de gauche, en particulier au plus fort du mouvement des gilets jaunes, ont laissé de marbre les patrons des réseaux sociaux. Cela rappelle cette gauche progressiste, qui de Jean-Paul Sartre à Ségolène Royal, s’est trop souvent rangée du côté des dictatures, dès lors qu’elles furent de gauche ou assimilées. Pour ces gens-là, l’idéologie vaut mieux que la réalité des hommes !

Plus grave que leur politisation est le fait que ces géants du numérique, Facebook en l’occurrence, définissent la morale et le droit, ainsi que la sanction qui découle de leur prétendue violation. Maréchal et Bardella auraient violé la charte de Facebook qui proscrit l’incitation à la haine. Après tout, ce réseau social est une entreprise privée, et l’utilisation de ses services se fait dans le cadre d’un contrat. Le juge pourrait-il néanmoins considérer que la clôture du compte équivaut à une résiliation abusive dudit contrat, le motif invoqué n’ayant aucune réalité ? C’est peu probable, dès lors que le gouvernement a engagé une procédure de dissolution du mouvement des Identitaires sur le fondement de l’incitation à la haine raciale, ce dont on pourrait déduire que soutenir ce mouvement revient à défendre ses idées nauséabondes. En revanche, si le Conseil d’Etat devait annuler cette dissolution, l’attitude de Facebook à l’égard des deux personnalités visées serait juridiquement moins défendable.

Facebook ne peut être considéré comme une simple entreprise privée parmi d’autres. Aux Etats-Unis, les GAFAM et Twitter occupent, chacun sur leur créneau, une position dominante et même quasi monopolistique qui devrait les placer sous le coup de la loi antitrust, et conduire à leur démantèlement. Mais démanteler les GAFAM, cela reviendrait à renforcer leurs pendants chinois, les BATIX. En outre, ces géants du numérique ont su faire valoir leurs intérêts face aux différentes administrations américaines et s’efforcent aujourd’hui de brosser l’administration Biden dans le sens du poil (on n’est jamais assez prudent !). Mais cela n’a pas empêché les démocrates de convoquer une nouvelle fois les dirigeants de grandes plateformes, en particulier Facebook, Twitter et Google/Youtube auxquels ils reprochent de ne pas filtrer les propos haineux et les fake news. 

En Europe, et singulièrement en France, être écarté des réseaux sociaux peut avoir des conséquences médiatiques, économiques, voire sociales dramatiques. Lorsque, comme c’est le cas de Facebook, on détient un monopole de fait, il ne peut qu’en découler une responsabilité de service public. En conséquence, seul le juge devrait être habilité à clôturer un compte, hors suspension conservatoire laissée aux plateformes en cas de violation flagrante, non pas tant de leur propre charte, mais de dispositions légales prohibant certains propos extrêmes, relevant du droit pénal français.

Ce qui rend encore plus inadmissible ce comportement de police morale est que ces entreprises sont loin d’être des modèles de vertu. Malgré plusieurs condamnations par les CNIL et juridictions européennes, elles continuent à faire un usage abusif et illégal de nos données personnelles. 

Facebook, par le truchement de la société Cambridge Analytica, avait paradoxalement contribué à l’élection de Donald Trump, mais aussi au Brexit. Aujourd’hui, c’est l’Australie qui subit sa puissance monopolistique : l’entreprise fondée par Zuckerberg refuse de rémunérer les groupes de presse dont elle permet le partage du contenu, ce qu’une loi devrait prochainement interdire. Plutôt que payer, Facebook préfère ne plus diffuser d’articles de presse. Ses utilisateurs, dont certains forgent leur opinion sur la base des seules informations glanées sur ce réseau, sont donc plus que jamais à la merci de toutes les manipulations et fake news.

Dans ce domaine comme dans d’autres, il est urgent que le politique reprenne le contrôle. Ces entreprises vont aussi loin que les Etats et le droit le permettent. Facebook n’est en définitive qu’un réseau en ligne. Rien de vital ni d’extraordinaire en soit. Si l’Europe débranchait Facebook, nous serions tous à égalité, et le vide serait assurément comblé par d’autres réseaux, peut-être européens. Nous n’en sommes pas là. Mais leur toute puissance ne peut perdurer, car elle dégénère en contrôle des idées et ainsi, en atteinte à la démocratie.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

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Directeur de la publication

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