Edito
08H34 - mercredi 15 juillet 2020

Interview d’Emmanuel Macron le 14 juillet : trop de désinvolture, comme un grand mensonge d’Etat et un cap sur dix ans. L’édito de Michel Taube

 

Son nouveau chemin ne sera donc pas un nouveau cap pour la France. Telle aura été la façon pour Emmanuel Macron de de ne pas se déjuger tout en reconnaissant en creux qu’il n’a pas su réaliser les promesses que portait son élection à la présidence de la République en 2017.

Depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron ne s’était adressé aux Français que par allocutions solennelles et autres monologues en public. Comme si l’homme qui avait su dialoguer à bâtons rompus lors des « grands débats » post mouvement des Gilets jaunes craignait la contradiction, le mot de trop, la petite phrase qui, sortie ou non de son contexte, allait devenir un nouveau chewing-gum collé à la chaussure.

 

Nonchalance face à la deuxième vague annoncée du Covid-19

La France psychologiquement marquée, économiquement dévastée par la première vague de Covid-19, devra vraisemblablement en affronter une seconde, que ce soit du fait d’une possible mutation du coronavirus ou d’un relâchement des Français, peu conscients (et peu aidés à l’être) du fait que c’est leur santé et celle de leurs proches, leur travail, leur prospérité, leur vie dans les tous les sens du terme, qui est en jeu. D’ailleurs, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il annoncé l’obligation du port du masque dans les lieux clos à partir du 1er août, alors qu’il eut fallu le rendre obligatoire sur-le-champ, y compris à l’extérieur lorsqu’une distance de sécurité de plusieurs mètres (et non d’un mètre) ne peut être respectée ? Ne seraient-ce que les joggeurs de l’été, beaucoup font courir des risques certains aux passants qu’ils croisent dans les rues.

15 jours de perdus alors qu’il y a des masques à profusion, notamment ceux en tissu dont les pouvoirs publics ont demandé la fabrication et qui ne trouvent pas acquéreurs ? Incompréhensible. À moins que le chef de l’État estime qu’on n’arrive déjà pas à l’imposer dans le métro, où les réfractaires sont de plus en plus nombreux, et qu’il vaut mieux ne pas se presser et privilégier la pédagogie. L’État est devenu faible, la police trop souvent discrète et la justice n’inspire plus la crainte (le profil du nouveau garde des Sceaux ne va pas améliorer les choses !). Le prix à payer risque d’être lourd.

Emmanuel Macron aurait-il commis, devant 12 millions de Français, un mensonge d’Etat assumé en affirmant que l’Etat est prêt à gérer une nouvelle vague épidémique. Echange :

Léa Salamé :

[…] S’il y a une deuxième vague qui arrive, est-ce que cette fois-ci, nous serons prêts ? Est-ce qu’il y aura suffisamment de masques, de gel, de tests, de respirateurs, de médicaments ? Ou est-ce qu’on risque une nouvelle pénurie ? 
 
Emmanuel MACRON
Oui, nous serons prêts. Nous serons prêts et cela a été préparé sous l’autorité du Premier ministre, avec le ministre de la Santé, mais tous les ministères compétents, les services compétents, pour qu’on ait les bons stocks en bonne quantité, parce que maintenant aussi on voit en période, si je puis dire, de crise extrême, quelle est la quantité qu’on consomme ?  Ça a été beaucoup plus que ce qui était dans toutes les projections, plus de 10 fois plus. Et donc, maintenant, on sait ce qu’on consomme : de masques, de respirateurs, en effet, de curares, de médicaments. Et nous avons à la fois les stocks et les approvisionnements qui sont sécurisés. Et nous avons l’organisation au plus près du terrain qui permettrait de faire face à une recrudescence si elle était là.

Léa SALAMÉ
Donc, plus d’erreurs. 

Emmanuel MACRON
En tout cas, tout ce que nous avons appris, tout ce que nous savons projeter, modéliser, nous a permis de nous organiser. 

La réalité est que sur le terrain, les retours d’expérience n’ont pas été effectués. C’est que confessait le 6 juillet Marc Noizet, chef des urgences à l’hôpital de Mulhouse, dans l’émission « Ils ont fait l’actu » de Sébastien Baer sur France Info radio. La réalité est que le système sanitaire qui a largement failli en termes de prévention n’a pas été ajusté depuis trois mois.

 

Nonchalance du président

Revenons à la politique. Emmanuel Macron n’est pas un président de la IVème République. Il est élu au suffrage universel direct, dans la seule élection qui passionne encore les Français. Sous la Vème République, et nonobstant la lettre de la Constitution, le chef de l’État est aussi factuellement celui de la majorité, et même du gouvernement, puisque, comme disait Jacques Chirac à propos d’un de ses anciens ministres, « je préside, il(s) exécute(nt) ».

Nous sommes au début du troisième mouvement de la (1ère) symphonie Macron, avec un nouveau chemin écologique, un nouveau gouvernement, un plan de relance à conduire, une vague épidémique à gérer, une planification à mettre en place (si on en croit les rumeurs) qui laisse supposer que Macron rempilera en 2022 (ah l’ivresse du pouvoir… Et « la soupe est trop bonne », nous confessait un observateur bien placé).

Il a même été demandé à Jean Castex, le nouveau Premier ministre, de différer son discours de politique générale le temps que le grand timonier ne s’adresse aux Français le 14 juillet. Mais qu’a dit Emmanuel Macron qui puisse aider Jean Castex à « exécuter » ce qu’il a « décidé ». Alors que l’heure est grave et les défis immenses, nous avons eu droit à des réponses parfois nonchalantes aux questions de Léa Salamé et Gilles Bouleau, à trop de généralités abstraites que nous pouvons certes tous partager, mais qui ne donnent que fort peu d’indications sur la future politique du gouvernement : vive le dialogue social, la concertation, par exemple pour réformer les retraites, mais en le faisant autrement (avec l’accord de la CGT ?).

Emmanuel Macron affirme qu’on ne peut augmenter les impôts parce que la France est déjà au taquet, que la rentrée scolaire sera quasi normale, sauf nouvelle vague de Covid-19, qu’il faut respecter la présomption d’innocence (en réponse à une question sur les poursuites judiciaires à l’encontre de Gérald Darmanin, nouveau ministre de l’Intérieur)… Du en même temps qui brouille le cap et obscurcit le chemin.

 

Et quelques annonces…

Emmanuel Macron a annoncé un plan de relance 100 milliards. En comparaison des 460 milliards déjà engagés pour tenter de sauver certains secteurs des effets du (1er) confinement, cela paraît bien léger, même si en ce moment, tout se paye à crédit.

Le chef de l’État entend inscrire « le plus vite possible » la lutte contre le réchauffement climatique et le respect de la biodiversité dans la Constitution, éventuellement par la voie référendaire, une avancée majeure à ses yeux alors qu’il ne s’agit que de l’affirmation d’un principe qu’il faudra encore traduire en droit et en actes et qui est déjà contenu dans la Charte de l’environnement et le principe de précaution, adossés à la Constitution de la Vème République en 2005.

En réponse à une question relative à la discrimination en matière de contrôle d’identité, le président répond par la généralisation des caméras-piétons. Que cela annonce-t-il ? Pour chaque personne « racialisée » contrôlée, il faudra également contrôler un Blanc ?!

Emmanuel Macron veut redévelopper massivement le fret ferroviaire, rétablir les trains de nuits et les petites lignes (avec une flambée des tarifs en perspective ?), rénover massivement le bâtiment, relocaliser grâce à l’impression 3D permettant de produire de plus petites quantités.

 

« Séduis-moi mon président ! »

Comme feuille de route pour Jean Castex, c’est un peu court. À 600 jours de la prochaine présidentielle, la logique eut voulu que le Président reprenne la barre, et que son Premier ministre, illustre inconnu dépourvu de socle politique, soit son collaborateur, au sens où l’entendait Nicolas Sarkozy.

Doit-on s’attendre à ce que ce soit le nouveau locataire de Matignon qui détermine et conduise la politique de la nation, comme le prévoit l’article 20 la Constitution ? Cette règle juridique n’est appliquée qu’en période de cohabitation, lorsque le chef du gouvernement est issu d’une majorité parlementaire différente de la majorité présidentielle, une hypothèse devenue quasi impossible depuis que le septennat est devenu quinquennat et que le mandat du président est aligné sur celui des députés.

Ce 14 juillet, à l’image de la météo, Emmanuel Macron semblait maussade, sans punch. Où est le candidat flamboyant de 2017, capable d’entrainer une majorité dans son sillage ? Annonçant, comme il l’avait déjà fait le 31 décembre dernier, qu’il faut travailler certes sur le court terme (six prochains mois pour éviter le naufrage) mais aussi le long terme, Emmanuel Macron a clairement précisé que son nouveau chemin serait de changer la méthode de gouvernement mais de ne pas changer de cap.

Et que son devoir est de voir à dix ans ! Sa campagne présidentielle de 2022 a effectivement commencé avec la formation d’un nouveau gouvernement.

 

Michel Taube

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