Edito
11H36 - mercredi 24 juin 2020

« Front populaire » : Michel Onfray réinvente le nationalisme social. Mais son réel n’aura pas lieu ! L’édito de Michel Taube

 

A la une de son édito de lancement du numéro 1 de sa revue « Front populaire », Michel Onfray ferme les yeux [photo de la revue]. Posture d’un aveugle ou d’un rêveur ? Les deux peut-être. Car malgré son talent et sa force fédératrice, (déjà plus de 30.000 abonnés !), le réel d’Onfray n’aura pas lieu.

Son réel ? Le souverainisme. Mais justement, le souverainisme est la négation du réel. Pire pour son auteur, le souverainisme est l’ennemi de la souveraineté. Lorsqu’un philosophe prend son utopie pour un programme politique, cela donne au mieux un échec économique cuisant, au pire une dictature.

Onfray a toujours une propension certaine à mépriser la vie politique (ce en en quoi il est plus nietzschéen que spinozien, deux grands princes de la philosophie). C’est le point faible, l’angle mort, la béance de sa démarche : le politique n’est pas central dans sa pensée alors qu’il l’est dans le destin des hommes. Paradoxe onfrayien : champion de l’appel au vote blanc aux élections (un tapis rouge pour Le Pen, un indice toujours saillant d’un rapport dangereux au monde réel), voilà qu’Onfray se rêve un destin politique. Présidentiel ?

C’est le 18 juin 2020 qu’a choisi Onfray, comme par hasard (tiens, encore un qui se prend pour un nouveau de Gaulle ?), pour ouvrir le site internet de « Front populaire », sa revue qui est en kiosques depuis hier. Front populaire ? Injure à Léon Blum et à l’histoire de la gauche, entend-on et surtout lit-on sous la plume vitriolée de quelques-uns de ses adversaires. Front populiste, nationaliste, voire fasciste, concluent déjà ceux qui devraient d’abord s’interroger sur leur légitimité à jouer les pères Fouettards de la morale. Il faut dire que l’interview croisée de Philippe de Villiers et de Jean-Pierre Chevènement est un geste politique en soi qui mérite que l’on s’interroge sur la stratégie de Michel Onfray !

Comme toutes les stars, Michel Onfray fait du Michel Onfray, incarnant avec délectation le personnage qu’il s’est forgé. Les souverainistes ont donc trouvé leur gourou !

Car le philosophe est un des influenceurs de ce siècle français tourmenté, peut-être le dernier (siècle) d’un certain rayonnement de la France.

Michel Onfray joue gros : à l’image d’autres philosophes en leur temps, il préfère désormais apporter des réponses que poser et se poser des questions, alors que par essence, la philosophie est l’antithèse du dogme et amène à une interrogation constante sur le cours des choses.

Michel Onfray est ambitieux, mégalomane même : Il peine à admettre ses limites, et assène ses certitudes sur tout, s’égarant parfois sur des terrains qui ne relèvent visiblement pas de ses domaines de compétence. L’économie en est un, et on préférerait que Michel Onfray fasse montre d’un peu plus de modestie et de nuances dans sa critique du « système », de la maastrichienne Union européenne, d’Emanuel Macron auquel il semble vouer une haine si monolithique qu’elle en devient dogmatique, un comble pour un philosophe.

L’homme se dit toujours héritier d’une gauche libertarienne, mais c’est son souverainisme qui tend à devenir son premier marqueur. Souverainisme de gauche certes, avec Jean-Pierre Chevènement notamment, mais avec un radicalisme qui pourrait le rapprocher de sa déclinaison extrême-droitière. Il suffit d’assister à un débat entre Michel Onfray et Eric Zemmour : ils sont à peu près d’accord sur tout, au grand désespoir de ceux qui réduisent Zemmour à un polémiste d’extrême droite et Onfray à un libertin de gauche dérivant à tribord.

 

Michel Onfray n’est pas un facho

Aujourd’hui, Michel Onfray est attaqué avec une virulence démesurée par une gauche bienpensante et moralisatrice, forte de ses nombreux relais médiatiques comme Le Monde et Libé, dans lequel se déchaine son directeur Laurent Joffrin. Et là nous ne les suivrons pas.

Ah, cette gauche… En 1940, une bonne partie de ses rangs se range derrière Pétain, se vautre dans une collaboration zélée avec le régime nazi. Aujourd’hui, elle est prête à capituler devant le fondamentalisme islamique et considère, tout comme le Conseil constitutionnel au sein duquel ses idées se sont instillées, que chanter les louanges du djihad relève de la liberté d’expression. Dans un article paru le 4 janvier 2017 intitulé «  Gauche et totalitarismes cette gauche qui s’est toujours couchée devant les despotes », Charlie Hebdo, écœuré par la soumission d’une certaine gauche à l’islam radical, rappelait très factuellement quels furent les choix et les prises de position de nos grands moralisateurs face aux totalitarismes qui ont souillé l’histoire et asservi les peuples depuis les années 40 et 50, et qui leur paraissaient très acceptables dès lors qu’ils s’estampillaient de gauche : Jean-Paul Sartre, André Malraux, Françoise Sagan, Marguerite Duras, Philippe Sollers, Claude Julien et Edwy Plenel (deux anciens du Monde), Alain Badiou (que Plenel adore), Emmanuel Todd… pour n’en citer que quelques-uns. On pourrait évidemment ajouter Jean-Luc Mélenchon, admirateur de Robespierre et des dictateurs passés et présents d’Amérique du Sud comme le chaviste Maduro. Staline, Mao, Pol Pot et les Khmers rouges, les islamistes du Hamas… Que n’ont-ils soutenu qui représente le contraire des idées humanistes qu’ils prétendent incarner ?

Et voilà que Michel Onfray est leur nouveau bouc-émissaire. Il a l’arrogance d’assener des vérités dont seules la cécité totale ou la mauvaise fois la plus caricaturale permettraient de mettre en doute. Dans son livre « Le Réel n’a pas lieu », publié aux Éditions Autrement en 2014, il décortique le principe de la dénégation – la primauté des idées sur le réel, à travers une exégèse du célèbre roman de Cervantès « Don Quichotte ».

Il est bien vrai que les intellectuels se prennent souvent pour des Don Quichotte et que, comme Onfray à son tour, ils ne s’en rendent pas compte, d’autant qu’ils sont pris très au sérieux par leurs groupies. Malheureusement nous craignons que le même sort arrive à Michel Onfray.

Après la publication en 2017 de l’essai « Décadences » (Flammarion), Michel Onfray subit un retour de flammes brutal, accusé de pratiquer une variante de la dénégation qu’il dénonce, sous forme d’approximations voire de contrevérités historiques.

En France, le succès est toujours suspect et la réussite, plutôt que de susciter l’admiration et le mimétisme, déclenche rancœur et jalousie. Michel Onfray, sans évoquer « le grand remplacement » en tant que complot visant sciemment à remplacer les Européens blancs et chrétiens par des musulmans (pour faire court), fait sienne les thèses du choc des civilisations du philosophe américain Samuel Huntington et martèle que s’il est un réel que l’idéologie ne parviendra à contredire, c’est bien celui de la démographie. Civilisation, le titre de son édito de lancement de sa revue.

À gauche, Julien Dray, cofondateur de SOS Racisme, reconnaît aujourd’hui l’échec du multiculturalisme et l’erreur d’avoir cru qu’il pouvait y avoir intégration sans assimilation. Mais dans sa grande majorité, la gauche continue de se comporter comme l’idiot qui regarde le doigt quand on lui montre la lune. Elle soutient encore qu’il n’existe aucune expansion de l’islam politique, que seule une infime minorité y adhère (il suffit de voir les rapports de force au sein des organisations musulmanes en France et celles qui ont le plus de sympathisants), que le capitalisme et la colonisation sont les principaux responsables du terrorisme (ainsi excusé) et que ceux qui veulent préserver les valeurs républicaines et la laïcité sont d’affreux racistes rétrogrades.

On peut ne pas être d’accord avec Michel Onfray et ne pas adhérer à son fan-club qui se développe avec la création de « Front populaire ». On peut souligner ses contradictions intellectuelles et politiques, ses approximations historiques, des conclusions parfois péremptoires. Mais entendre cette gauche coupable de tant de compromissions en dresser le tableau d’un sombre facho écorche les oreilles. Le procédé n’est pas nouveau. Notre dénonciation de l’islamisme radical – et jamais de l’islam ni des musulmans, dans les colonnes d’Opinion internationale nous a valu les mêmes attaques, malgré des années de combat contre l’extrême droite, des dizaines d’articles vantant l’islam des Lumières et des ouvrages contre la peine de mort (maillon faible de l’Islam) et contre le Front national. Cette gauche (et bien sûr l’extrême gauche qui ressemble tant à l’extrême droite), n’a qu’une conception binaire du monde. On est avec elle ou contre elle. Et bien, nous serons contre cette gauche compromise, comme nous sommes contre l’extrême droite et contre le fondamentalisme religieux !

Laurent Joffrin, dans sa « Lettre politique » du 20 mai, joue sa partition moralisatrice, cite encore Marx en réponse à Proudhon, et cherche à convaincre que souverainisme rime sinon avec fascisme, du moins avec extrême droite, ce en quoi nous sommes d’accord avec lui. La réponse du philosophe ne fut pas davantage d’une grande élégance, évoquant notamment le passé du père du directeur de Libé au service du Front national.

Et s’il n’y avait que Laurent Joffrin : la veille de son réquisitoire contre la démarche de Michel Onfray, Le Monde s’était fendu d’un article tout aussi agressif intitulé « Avec sa nouvelle revue « Front populaire », Michel Onfray séduit les milieux d’extrême droite ». Rien de neuf sous le soleil, en réalité : pour cet autre quotidien de la morale, dénoncer ou même débattre des excès de la mondialisation, du libre-échangisme qui est trop souvent devenu une fin et non un moyen, prôner les circuits courts et considérer qu’il est scandaleux que nos agriculteurs ne puissent vivre de leur production, contrôler l’immigration et exiger des nouveaux arrivants le respect des lois et valeurs de la République, c’est bien entendu adhérer aux thèses lepénistes. Quiconque est populaire est taxé de populiste. Quiconque fait entendre une voix dissonante dans le concert mielleux du politiquement correct est vilipendé et catalogué à l’extrême droite, comme le montre le costard taillé à Didier Raoult. D’ailleurs nous écrivions dès le début de la polémique sur la chloroquine que s’il existait une seule certitude dans ce débat, ce serait qu’un générique efficace contre un nouveau virus serait un désastre pour l’industrie pharmaceutique. La gauche croit détenir le monopole de la dénonciation des lobbies et des dérives du « monde de l’argent ». Quand elle le fait, c’est œuvre de salut public. Quand d’autres le font, c’est du complotisme.

Que le souverainisme séduise davantage à droite et à l’extrême droite qu’à gauche est une évidence, puisque la gauche se veut internationaliste et multiculturaliste. Mais pour Le Monde et Libération, la mondialisation n’est critiquable que si la critique vient de leurs rangs.

 

Contre le souverainisme, pour la question sociale

Nous ne sommes pas souverainistes parce que, notamment, nous pensons que face aux mastodontes étatiques et privés qui nous font face, et là est l’enjeu principal du proche avenir, la préservation de la souveraineté et de la capacité à agir nécessitera un ensemble plus vaste que l’État-nation, un ensemble nécessairement européen. S’il faut réformer l’Union européenne, « l’Europe des nations » risquerait fort d’être celle des nationalismes, des égoïsmes et de du déclin.

Nous n’adhérons pas à « Front populaire ». Mais dépeindre Michel Onfray en nouveau gourou de l’extrême droite est un raccourci pernicieux.

En fait, Michel Onfray a basculé un peu plus dans la politique lorsque le mouvement des gilets jaunes s’est déclenché. Et là nous le rejoignons. Le vrai problème n’est pas le souverainisme. C’est la question sociale. C’est l’art de transformer le capitalisme, le meilleur système pour créer de la valeur et du capital, en machine à partager les richesses et à dompter les excès environnementaux et sociétaux de l’homme. Là est la seule vraie question. Moins noble qu’un défi théologico-politique. Mais celui que les gilets jaunes et les vrais damnés de la terre, c’est-à-dire les personnes qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois, mériteraient qu’on s’y consacre pleinement.

Pire, Onfray mâtine son nationalisme d’une idéologie en apparence plus douce, le souverainisme. Il y ajoute une forte dose de social. Et cela donne un nationalisme social, monstre qui broiera son inventeur et qui broierait l’Europe si par malheur il advenait au pouvoir.

Michel Onfray se sent pousser des ailes. Vendre des livres (ou une revue), cela ne fait pas un succès politique. Nicolas Sarkozy et François Hollande en savent quelque chose. En fondant sa revue, le penseur s’éloigne du terrain philosophique pour s’engager en politique. Il est le maçon au pied du mur, mais l’heure d’apprécier son ouvrage n’a pas sonné.

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de la publication