Edito
23H00 - vendredi 19 juin 2020

Affaire Fillon, réouverture de la procédure contre Darmanin, décisions suspectes des hautes juridictions françaises : propositions pour en finir avec la politisation des juges. L’édito de Michel Taube

 

Plusieurs faits judiciaires en quelques jours, certains d’ordre procédural, d’autres sur le fond de sujets de société majeurs, mettent le doigt sur une politisation de la justice qui contrevient à son devoir d’impartialité que l’irresponsabilité des juges n’aide pas à maintenir. Ils devraient alerter le citoyen sur les possibles graves dérives de la justice, dont l’attachement à son indépendance est manifestement à géométrie variable.

Affaire Fillon relancée ?

Les déclarations de l’ancienne procureure nationale financière Éliane Houlette qui a révélé il y a deux jours à une commission d’enquête parlementaire les pressions dont elle a été l’objet de la part du parquet général, pour ouvrir une information judiciaire contre François Fillon en pleine campagne présidentielle en 2017, commencent à susciter de sérieux remous.

Le Président de la République a ainsi décidé hier soir de saisir, pour avis, en application de l’article 65 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature en sa formation plénière, sur le fonctionnement de la justice dans l’affaire Fillon suite à ces propos de Madame Houlette.

Dans un communiqué, l’Elysée souligne qu’il est « donc essentiel de lever tout doute sur l’indépendance et l’impartialité de la justice dans cette affaire. Le Président de la République a demandé au CSM d’analyser si le parquet national financier a pu exercer son activité en toute sérénité, sans pression, dans le cadre d’un dialogue normal et habituel avec le parquet général. »

 

Une « affaire » Darmanin au calendrier suspect ?

Parallèlement, la subite relance de poursuites contre Gérald Darmanin pour des faits remontant maintenant à onze ans laisse perplexe. Rappelons les faits… Eté 2017 : une plainte pour viol est déposée par Sophie Patterson-Spatz contre le nouveau et jeune ministre des comptes publics pour des faits remontant à 2009, alors qu’il était âgé de 26 ans. La plainte étant classée sans suite, la plaignante en dépose une nouvelle, cette fois avec constitution de partie civile, en février 2018. C’est alors un juge d’instruction, et non le procureur, qui décide des suites de l’affaire. En 2018, il rend une ordonnance de non- lieu, dont la plaignante fait appel. En octobre, la cour d’appel juge l’appel tardif, provoquant un pourvoi en cassation de la plaignante. En novembre 2019, la Cour de cassation ordonne à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris de réexaminer la validité du non-lieu de 2018. En droit la Cour d’appel peut décider de la réouverture des débats comme elle vient de le faire en juin 2020 mais le calendrier est à chaque fois étonnamment « bien choisi » d’un point de vue politique.

Le viol est très grave et doit être puni. Personne n’en disconvient. Mais ici, outre le fait que la plaignante ne se soit manifestée que lorsque Gérald Darmanin est devenu ministre, huit ans après les faits dont elle l’accuse, c’est le calendrier judiciaire qui interroge, alors que Gérald Darmanin est considéré comme l’homme qui monte au sein du gouvernement. Certains juges voudraient-ils, une fois encore, interférer dans le jeu politique ? En tout cas, la question mérite d’être posée. ZEt on a le droit de la poser.

 

D’étranges décisions récentes des hautes juridictions

Même les juridictions suprêmes rendent des décisions qui interpellent sur le fond de sujets majeurs pour notre société. Ces décisions sont elles aussi politiques en ce sens que ce sont des juges qui reviennent sur des choix faits par l’exécutif et le législatif : récemment, le Conseil d’État a rétabli le droit de manifester malgré l’état d’urgence sanitaire, alors que seul le juge judiciaire, et non le juge administratif, est garant des libertés. Par ailleurs, ce même Conseil d’État assortissait sa décision d’une condition déconnectée de la réalité : les manifestants doivent respecter la distanciation physique. Les juges n’ont pas dû souvent manifester. 

Et voilà que même le Conseil constitutionnel s’y met : après avoir retoqué la loi Avia, en particulier l’obligation pesant sur les réseaux sociaux de retirer dans les vingt-quatre heures les contenus illégaux au nom de la liberté d’expression, les « Sages » viennent de déclarer inconstitutionnel le délit de « recel d’apologie du terrorisme », constitué par le fait de télécharger et détenir des vidéos de propagande islamiste. Ce délit avait pourtant reçu l’onction de la Cour de cassation. La décision du Conseil, autant que les dissensions entre juridictions suprêmes, donnent l’image d’une justice qui s’immisce dans l’arène politique.

Opinion Internationale s’est, à plusieurs reprises, étonné de certaines pratiques judiciaires : incroyable acceptation par le conseil de prud’hommes de Paris que l’on puisse traiter un salarié de « pédé » dans un salon de coiffure, injustifiable exonération de responsabilité de l’assassin de Sarah Halimi au motif qu’il avait fumé du cannabis, politisation de certains juges qui usent et abusent de l’excuse sociale au pénal, s’asseyent sur la loi et la Cour de cassation pour refuser d’appliquer le plafonnement des indemnités de licenciement, ou se prennent pour des Gilets jaunes en invoquant l’impossibilité du dialogue avec le président de la République pour ne pas condamner l’intrusion de militants dans une mairie. La justice ne contribue-t-elle pas d’elle-même à faire perdre au droit pénal sa vocation première de prévention et de dissuasion.

Une dérive arbitraire de la justice ? Celui qui a la malchance d’être au mauvais moment au mauvais endroit va payer pour les autres, celui à qui elle choisit de réserver un traitement de « faveur » pour mieux le clouer au piloris, comme Nicolas Sarkozy ? La participation de juges du syndicat de la magistrature à des manifestations islamogauchistes, la quasi mise à l’arrêt de la justice durant tout le confinement sans recourir au télétravail… Dès que l’on évoque ces dérives, la corporation, comme un seul homme, crie à l’atteinte à son indépendance et à la calomnie. Les juges sont parfaits !

 

Un calendrier judiciaire très politique

Dans toutes les affaires judiciaires impliquant des politiques, le parquet, quoi qu’il en dise, est aux ordres de la chancellerie, et donc du chef de l’État vers qui tout remonte. A vrai dire, certains magistrats du parquet ou du siège n’ont pas besoin de pression politique pour se choisir leurs têtes de Turc. Souvenons-nous du « mur des cons » du syndicat de la magistrature, sur lequel figuraient des justiciables que certains de ces magistrats étaient en train de juger. Comment la République peut-elle tolérer l’existence même d’un syndicat de magistrats plus motivés par le combat politique de gauche voire d’extrême gauche que par la défense de ses adhérents et le bon fonctionnement de la justice ? En Allemagne, les syndicats, quel que soit le secteur d’activité, n’ont pas le droit de faire de politique.

L’affaire Fillon, mais aussi l’acharnement contre Nicolas Sarkozy, dont on n’a pas fini d’entendre parler, et peut-être aujourd’hui l’affaire Darmanin, sont inquiétantes, parce qu’en maniant savamment le calendrier judiciaire, les magistrats, agissant ou non sur ordre, ou subissant ou non des pressions, peuvent faire une élection présidentielle et démolir un politique, quand bien même ce dernier serait-il totalement innocenté à l’issue des débats, ou condamné pour des faits mineurs, commis par nombre de ses pairs, sans que personne ne s’y intéresse.

L’indépendance de l’autorité judiciaire et le pouvoir de la presse (et des réseaux sociaux puisque le Conseil constitutionnel vient de retoquer la mesure phare de la loi Avia, la liberté d’expression primant donc sur la haine d’autrui) sont des fondements de l’Etat de droit. Le respect du politique en est un autre. Protéger l’exécutif contre les excès des contre-pouvoirs qui sont censés le contre-balancer et non le détruire est devenu un impératif démocratique à l’heure où des tsunamis médiatiques et judiciaires peuvent mener au pouvoir des forces populistes sur la ruine de forces démocrates anéanties.

 

Responsabiliser la justice et les médias

C’est pourquoi nous proposons quelques mesures concrètes pour que la justice et les médias cessent d’empiéter sur le politique.

1° Toute diffusion de l’information, même par la presse, d’affaires impliquant un membre du gouvernement, un chef de parti ou un candidat à l’élection présidentielle, serait, en vertu de la violation du secret de l’instruction, passible de sanctions pénales, même pour les médias. Cette pénalisation est la condition du respect du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence, allègrement et sciemment violés par tout le monde.

2° Dans le cadre d’une VIème République que nous appelons de nos vœux, et qui renforcerait le rôle et l’indépendance effective (et non pas seulement théorique) du Parlement, l’indépendance de la justice devrait être encadrée (Montesquieu n’en faisait pas un troisième pouvoir mais une autorité fonctionnellement indépendante). Concrètement, ceux qui disent le droit (les juges) doivent rendre des comptes à ceux qui font le droit (les parlementaires), et non à une instance disciplinaire « interne » comme le Conseil supérieur de la magistrature. Trop de magistrats oublient que, selon la Constitution, la justice est une institution et non un pouvoir. Ce faisant, ils abusent de leur indépendance. Les magistrats qui de manière répétée, malgré un rappel à l’ordre, rendent des décisions manifestement motivées par leurs convictions personnelles ou leurs opinions politiques, doivent se choisir un autre métier. Et seul un autre pouvoir peut les juger librement.

Le propos n’est pas de jeter l’opprobre sur une profession ou une fonction vitale à la démocratie. Mais force est de déplorer que les comportements dénoncés ici ne sont plus si exceptionnels ou isolés, et que c’est l’articulation même de l’institution judiciaire et des pouvoirs exécutifs et législatifs qui doit être revue. C’est précisément parce que la justice est si essentielle à nos libertés et à notre état de droit qu’elle doit être exemplaire, et que le citoyen et le justiciable ne peuvent accepter qu’elle agisse en électron libre sur un terrain qui n’est pas le sien, ou au contraire qu’elle subisse des pressions politiques dans d’autres circonstances.

Oui à l’indépendance de la justice. Non à l’irresponsabilité des juges.

 

Michel Taube

Directeur de la publication