Edito
18H55 - jeudi 18 juin 2020

Robert Ménard : « Il faut faire apparaître un nouveau visage ». Le sien ? L’édito de Michel Taube

 

Le dégagisme a frappé fort en 2017 avec la percée fulgurante d’Emmanuel Macron et de LREM. Le même dégagisme n’a pas fini de sévir et risque fort d’ici 2022 de faire émerger de nouvelles têtes, de nouveaux leaders charismatiques en phase avec l’air ambiant.

On le sent, les champions de l’ancien monde ou du monde d’avant, perçus comme des vieux de la vieille, auront du mal à percer dans les mois qui viennent. La colère française qui monte, qui monte, qui monte, pourrait encore faire des dégâts. L’Italie, l’Ukraine, la Tunisie, les Etats-Unis en ont déjà connu des versions populistes.

On ne s’étonnera pas que Robert Ménard, à équidistance de l’extrême-droite et de la droite nationale, se dise qu’il a sa chance. Un populiste, indépendant, maire d’une ville française aurait plus de chance qu’un Jean-Marie Bigeard ou un Cyril Hanouna ?

Le maire de Béziers, élu au premier tour des municipales avec 68,7 % des voix (le peuple peut donc l’aimer !), se sentirait-il pousser des ailes ? L’ancien journaliste, qui naguère sauva l’association Reporter sans frontières en la transformant en syndicat corporatiste de la profession des journalistes (œuvre utile s’il en est), a du talent. Personne n’en doute. Du caractère aussi, jusqu’à l’autoritarisme. Le chef n’aime pas la contradiction.  

L’homme, un temps (bref) de gauche est passé du combat pour les droits de l’homme à l’arène politique et a somme toute réussi sa conversion. Prouvant au passage, comme nous avec Ensemble contre la peine de mort dans les années 2000, qu’on peut être de droite et un ardent défenseur des droits humains.

Robert Ménard marche sur un fil : épousant les thèses anti-immigrationnistes de l’extrême droite, il cherche à éviter toute accusation de dérive raciste. On ne chante pas « on est chez nous ! » dans un meeting de Robert Ménard, « nous » étant dans l’esprit de ces chorales, non les Français comme le prétend Marine Le Pen, mais les Français de souche, tout blancs et tout chrétiens.

Et après tout, on peut être de gauche et contre toute nouvelle vague d’immigration. On voit émerger de tels courants ailleurs, comme en Allemagne. Le citoyen et l’électeur peut souhaiter une plus juste répartition des richesses, idée historiquement plutôt de gauche, sans vouloir ouvrir les frontières à tous les vents, voire s’adosser au racialisme et à l’islam politique dans lesquels se perd et se vautre notre extrême gauche mélenchonnienne. Ménard peut même nous raconter qu’il est toujours de gauche comme Le Pen peut se dire gaulliste. C’est toujours sympathique d’être de gauche. Ça veut dire qu’on aime les gens et qu’on est contre les inégalités. N’est-ce pas ?

Invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV et RMC, Robert dégaine : pan sur tout le monde ! Sur Le Pen d’abord (« elle ne sera pas le prochain chef de l’Etat »), et le FN/RN en général : poids d’un passé douteux, incompétence économique, incapacité à rassembler… Coulée, la Marine !

Il faut du neuf, du clinquant, du pas usé par le pouvoir et l’échec.

Exit donc les ténors de LR pour professeur Ménard : Bertrand, Baroin, Dati et consorts. « Il faut faire apparaître un nouveau visage », martèle Robert Ménard face à Jean-Jacques Bourdin et sur Twitter. Mais il refuse de citer le moindre nom (du futur candidat à la présidence de la République) tout en disant qu’il en a quelques-uns en tête.

Il fait référence au philosophe Michel Onfray qui, sous la bannière « Front populaire » (nom de sa nouvelle revue), veut fédérer les souverainistes qui sont pourtant très majoritairement de droite…

Pourtant, Robert Ménard se dit très Européen, et ne semble pas désireux de jeter le bébé (l’Union européenne) avec l’eau du bain. Il n’entame pas le couplet nostalgique de la grandeur de la France qui, n’en déplaise à Onfray, Le Pen ou Zemmour, ne retrouvera peut-être jamais sa splendeur, du moins son statut de puissance dominante.

Hors d’une Union européenne, l’actuelle ou une autre (mais pas aucune), la France risque de décliner et de perdre ce qu’il lui reste de souveraineté. La France est un grand d’Europe et l’Europe un grand du monde. Cette équation, qui est aussi celle d’Emmanuel Macron, Robert Ménard l’a faite sienne, ce qui rend sa dream team d’autant plus difficile à constituer, et contribue à rendre flou le portrait-robot de la future tête d’affiche du ménardisme en devenir.

Finalement, une seule tête émerge dans la tête de Ménard, un seul nom sera bientôt sur ses lèvres… Pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt : Robert Ménard ! Le bon Dieu valant toujours mieux que ses saints, l’homme de gauche-droite-souverainiste-pro Europe ne pense à personne d’autre. L’ambition n’a jamais été la moindre de ses qualités (ou défauts à un certain stade ?).

68,7 % aux municipales, au premier tour qui plus est, cela donne des ailes, peut-être le tournis, le melon, l’ivresse…

Il y a tant de contradictions dans la pensée, les idées, le parcours de Robert Ménard, qu’on peine à y distinguer une ligne directrice sinon populiste. La doctrine de Ménard : asséner ce que les gens veulent entendre. Cela donne le sentiment d’une incohérence ou d’une instabilité idéologique teintée d’opportunisme. Où irait la France avec lui ? En seconde division de la compétition internationale ?

Comment rassembler sous une bannière aussi illisible ? De surcroît, Ménard n’est pas à proprement parler une figure nouvelle, même s’il n’a jamais eu de responsabilités nationales. Qui d’autre alors ?

Nous trépignons d’impatience. Vite, Robert, dis-nous tout !

 

Michel Taube