Edito
06H15 - dimanche 19 avril 2020

Coronavirus : le nécessaire examen de conscience des professeurs de médecine. L’édito de Michel Taube

 

Et le professeur Luc Montagnier*, réapparut tel un dieu grec redescendu de l’Olympe pour affirmer dans un podcast vidéo pour « Pourquoi Docteur » que le SARS-CoV-2, notre cher coronavirus, serait une création du laboratoire P4 de Wuhan, sans doute dans le cadre de recherches sur un vaccin contre le SIDA, puisqu’il contiendrait l’ADN de VIH. Allons-nous tous mourir du SIDA ? Notre Prix Nobel de médecine 2008, découvreur du VIH, nous donne ainsi une énième cause possible de la pandémie du Covid-19, qui mérite sans doute quelque attention, mais qui contredit frontalement les propos d’autres grands pontes de la médecine, convaincus que ce virus est nécessairement né sur le marché aux animaux de la ville chinoise, et non dans son laboratoire voisin (d’ailleurs franco-chinois).

En politique, l’erreur et le mensonge sont consubstantiels de la fonction, la première étant évidemment plus excusable que la seconde. On dit « menteur comme un arracheur de dents ». On pourrait le dire d’un avocat, d’un vendeur ou d’un politique, surtout en campagne !

Pourtant, la politique devrait se construire sur la vérité. Mais laquelle ? Au sens classique (et noble) du terme, la politique est la synthèse de toutes les sciences au service de la « gestion des affaires de la cité ». Inutile d’avoir lu « le Politique » de Platon, dialogue oublié de Socrate, pour se dire que gouverner les hommes fait appel à de nombreuses connaissances.

Pour l’essentiel, il s’agit de sciences humaines, dites sciences molles, sujettes à interprétations et donc également propices à la manipulation et au mensonge. Même lorsqu’elles reposent sur des équations, comme l’économie, sur des faits, comme l’histoire, sur des règles, comme le droit, les sciences humaines, qui en l’espèce sont aussi des sciences politiques, sont sujettes à débats voire à polémiques.

À l’inverse, les sciences dures, comme la médecine, sont plus cartésiennes, fondées sur la connaissance, la démonstration. La réalité est bien plus nuancée. Le médecin n’est pas soumis à une obligation de résultat en matière de soins (même si avec le temps les résultats s’améliorent et contribuent à une espérance de vie allongée par rapport à nos aïeux), et il peut se tromper sur le diagnostic, sur l’évolution de la maladie, sur le choix d’un traitement et la réaction du patient… Une science pas si dure que ça, en définitive !

Le système hospitalier français a triomphé de la première vague pandémique du Covid-19 : ces milliers de femmes et d’hommes qui ont constitué notre première ligne de front, des aide-soignants aux médecins chef sont des héros français. Ils mériteraient le Prix Nobel de médecine, comme le suggère Stéphane Attal, une des victimes de cette cochonnerie sauvée par le corps médical.

Mais, depuis le déclenchement de cette pandémie, l’on entend sans cesse tout et son contraire dans la bouche de médecins, a fortiori de grands professeurs de médecine : trop rares sont ceux qui admettent s’être trompés et qui font preuve d’humilité. Un Eric Caumes, infectiologue à La Pité-Salpêtrière, n’a pas hésité sur les plateaux de télévision à marteler souvent « je ne sais pas », « je ne suis pas à même de répondre à vos questions ». En haut de la hiérarchie, médicale, le ton a, lui, souvent été péremptoire, le pompon revenant à l’OMS, dont Donald Trump n’a peut-être pas tort de dénoncer les erreurs, voire les fautes, et surtout le retard à alerter l’opinion internationale, quand bien même le chef de l’Etat américain aurait-il trouvé un bouc émissaire supplémentaire pour justifier les siennes.

 

Guerres entre médecins

La polémique autour de la chloroquine a donné, de la part de quelques blouses blanches, une triste image, surtout du fait de l’agressivité parfois réciproque dont ont fait preuve certains médecins par médias interposés. Que penser du Docteur Karine Lacombe que le gouvernement a eu l’idée de faire intervenir aux côtés d’Édouard Philippe le 28 mars dernier pour « expliquer » le Covid-19 (nous attendions plutôt le président du Conseil scientifique) lorsqu’on apprend qu’elle-même pilote un protocole de recherche sur des médicaments concurrents du Plaquénil recommandé par notre Astérix méridional, et que de surcroît elle a touché des émoluments réguliers de laboratoires, ce qui en soit n’est pas illégal mais ce qui la rend juge et partie. On se dit que parfois la médecine est plus une affaire d’egos humains et de rivalités commerciales qu’une science un tant soit peu exacte.

Autre cas qui interpelle : au lendemain de la surprenante annonce présidentielle de la réouverture partielle des crèches et des écoles le 11 mai, est survenu subitement sur la scène médiatique Robert Cohen, pédiatre infectiologue, pour défendre, contre l’avis de la plupart de ses confrères, la décision élyséenne sur le mode : « les enfants ne sont pas si contagieux qu’on a bien voulu le dire ». Que penser face à de telles contradictions entre experts ?

Combien de médecins ont affirmé avec l’aplomb que leur donne le prestige de la fonction, que le Covid-19 n’était qu’une grippette, qu’il ne toucherait pas la France, que nous sommes prêts à tout (surtout si ça ne se produit pas !), que les masques ne servent à rien… L’erreur est donc humaine, même lorsque l’on est médecin (ou ministre et médecin, comme Agnès Buzyn). 

Certes, la connaissance évolue chaque jour, a fortiori lorsque l’on est confronté à une maladie émergente, totalement inconnue il y a quelques mois (d’autant que les rares professionnels qui l’étudiaient se sont vus privés de tout moyen, comme le professeur Hubert Laude, virologue issu du milieu vétérinaire).

 

Les décisions de santé publique ne doivent pas rester dans les mains des seuls médecins

Et voilà que devant une commission du Sénat, le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a affirmé sans ambages le 15 avril que 18 millions de Français resteront confinés après le 11 mai, comme si la décision était déjà prise, comme si lui et ses pairs avaient transmis leurs instructions au chef de l’État.

À aucun moment, le professeur Delfraissy, pourtant président du Comité consultatif national d’éthique, ne s’est interrogé sur les enjeux éthiques et juridiques de SA décision, ni même sur les dommages sanitaires collatéraux de ce confinement prolongé. Combien de dépressions, de maladies, qui ne seraient prises en charge ? Combien de morts par un confinement trop long socialement ?

Ne sont-ce pas des médecins de très haut niveau qui ont conseillé ces dix dernières années à l’Etat français de relâcher la garde et de réduire à néant les stocks de masques et de matières premières pour construire des tests ? Les retards de la France pour se préparer à cette crise sont une faute de santé publique décidée par la haute hiérarchie médicale et sanitaire française.

À écouter certains spécialistes, contrairement aux généralistes ou aux médecins de terrain, il faudrait confiner toute la France jusqu’à la disparition du virus ou la découverte d’un vaccin. Ont-ils seulement réfléchi aux conséquences sanitaires d’un effondrement économique, avec des faillites en masse, des millions de chômeurs en fin de droit, un appauvrissement dramatique d’une France à l’arrêt. Même dans l’hypothèse d’une mortalité la plus terrible, le Covid-19 serait alors vraiment une grippette en comparaison des effets de cette mise à mort économique et sociale de la France. D’ailleurs, cela a déjà commencé dans les petits commerces, notamment le secteur de la restauration et du tourisme, et on espère que le Président de la République reviendra sur son choix (pardon, sur l’injonction du Conseil scientifique) de ne pas ouvrir les restaurants et petits commerces dès le 11 mai, alors que des gestes barrière y sont bien plus faciles à appliquer que dans les transports en commun, les grandes surfaces ou les cantines scolaires.

Cette crise ne consacre-t-elle pas aussi la victoire des mandarins de la médecine ? Leur prise de pouvoir dans la société ? Leur emprise sur l’exécutif ?

Heureusement, sous la pression collective, le président de la République vient de faire savoir qu’il n’imposera pas le confinement à 18 millions de Français âgés, prenant enfin quelques distances avec son Conseil scientifique, qui s’est déjà beaucoup trompé depuis le début de la crise.

Bien entendu, Emmanuel Macron n’a d’autre choix que de s’entourer d’experts, mais il ne pouvait leur abandonner la décision politique, ce qu’il a fait notamment en maintenant le premier tour des élections municipales. Il en résulta un regrettable paradoxe : les médecins préconisèrent une décision politique (certes approuvée par toutes les oppositions) qui se révéla être une erreur sanitaire.

Comme toujours, tout est affaire de contre-pouvoirs. Quand le politique laisse le champ libre au marché, cela débouche sur une mondialisation effrénée et des inégalités insupportables. Lorsqu’il laisse le dernier mot au juge (comme lorsque le juge laisse le dernier mot à l’expert), cela empêche de lutter efficacement contre les abus du marché et de la mondialisation, mais aussi contre les fléaux qui mettent en péril la démocratie et la laïcité, comme le fondamentalisme islamique.

Aujourd’hui, le politique ne peut abandonner le pouvoir aux médecins. La crise du Covid-19 les a placés sur un piédestal. Il est temps que des contre-pouvoirs contre-balancent l’orgueil parfois excessif de certains mandarins, à commencer par ceux dont le jugement péremptoire s’est avéré faux ou désastreux, et d’avoir l’humilité de regarder ce qui se dit, se pense et se fait hors de France. Les experts coréens, allemands ou israéliens n’ont pas été moins performants, tant s’en faut, que notre Conseil scientifique.

 

La force des praticiens

Bien entendu, on ne saurait généraliser. Certains médecins ont toujours préféré parler au conditionnel ou se sont référés à ce qu’ils constatent au chevet de leurs patients atteints du Covid-19, plus qu’à des rapports de l’OMS ou des renvois vers des études cliniques dont l’intérêt et la portée doivent être relativisés par l’urgence.

Didier Raoult n’avait-il pas dit que lui-même fait de la médecine là où d’autres font de la recherche, faisant montre en l’espèce de politesse et de modération ? La recherche, l’outil statistique, les protocoles ont leur vertu. Mais le patient, a fortiori en danger de mort, n’est pas qu’une donnée, une data, un objet d’étude.

Une des décisions qui nous ont le plus choqué depuis le début de cette crise est que les pouvoirs publics ont interdit aux médecins généralistes et spécialistes de prescrire du Plaquenil, donnant un quasi monopole aux médecins hospitaliers en soins intensifs. Dans cette crise, les médecins qui connaissent le mieux les patients ont souvent eu le sentiment d’être délaissés.

Les médecins de campagne et les médecins de ville, dont beaucoup ont été contaminés par le cooronavirus, auraient dû être pensés comme la première ligne de front (avant l »hôpital) et donc équipés en conséquence.

Parmi les scientifiques comme parmi les politiques, un examen de conscience s’impose. Pour réussir le confinement. Dans l’urgence, car leurs paroles façonnent largement l’état de l’opinion publique !

 

Michel Taube

*En 2006, nous avions agi avec Luc Montagnier pour mobiliser l’opinion internationale et obtenir, grâce à la promesse puis l’engagement de Nicolas Sarkozy, élu président de la République en 2007, la libération des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye. Elles avaient été accusées par le pouvoir Kadhafi, à tort évidemment, d’avoir inoculé le SIDA à 400 enfants de l’hôpital de Benghazi.

 

 

Directeur de la publication

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