Edito
06H55 - samedi 29 février 2020

Risque de guerre généralisée au Moyen-Orient : jusqu’où ira Recep Tayyip Erdogan ? L’édito de Michel Taube

 

Quelques heures après que 33 soldats turcs ont succombé, dans la région d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, à des frappes aériennes syriennes, Recep Tayyip Erdogan a décidé de se venger… sur l’Europe ! Si on en croit le quotidien turc Sabah, relais du pouvoir, le khalife d’Ankara aurait décidé, à l’issue d’un conseil de sécurité extraordinaire, de laisser les réfugiés, principalement syriens, gagner l’Europe, au moins pendant trois jours. Le gouvernement turc a confirmé que les migrants, sans distinguer les réfugiés des djihadistes, étaient « invités à pénétrer dans l’Union européenne ».

Officiellement, la cause en est l’impossibilité pour la seule Turquie de supporter le poids de tous ces migrants. Fahrettin Altun, directeur de la communication de la présidence, a ajouté : « Nous accueillons déjà près de quatre millions de réfugiés et n’avons pas les moyens ni les ressources d’autoriser l’entrée sur notre territoire à un million de personnes supplémentaires ». Cet argument pourrait être entendu s’il ne résultait pas d’un accord entre l’Union européenne et la Turquie, signé le 18 mars 2016, moyennant deux chèques de trois milliards d’euros chacun.

Recep Tayyip Erdogan est un mégalomane capable de tous les renversements d’alliances, à l’image de son allié du moment, Donald Trump, un moment qui dure, d’autant plus que la Turquie est toujours membre de l’OTAN et que son intrusion en Syrie est censée permettre le désengagement de troupes américaines.

La Turquie, naguère phare de la laïcité dans le monde musulman, est devenue belliqueuse, islamiste et nationaliste. Elle ne menace pas l’Europe d’une invasion migratoire et djihadiste parce qu’elle peine à gérer les migrants syriens, ce qui se comprendrait, mais parce que l’Europe ne la soutient pas ouvertement dans sa nouvelle guerre syrienne, surtout depuis que Vladimir Poutine lui a fait comprendre que c’est l’armée russe, et non la fantomatique armée syrienne, que devront affronter ses troupes. Hier, Erdogan faisait la courbette devant Poutine et lui achetait des missiles S400, narguant les États-Unis et l’OTAN. Aujourd’hui, il voudrait que la Russie se comporte à son égard comme elle le fait à l’égard d’Israël, qui malgré quelques remontrances de pure forme, a le champ libre pour défendre ses intérêts sur le sol syrien, du moins aussi longtemps que la démarche est purement défensive. La grandiloquence d’Erdogan lu fait perdre le sens des réalités.

L’Europe aussi gagnerait à le lui faire comprendre, car si elle est trop heureuse de déléguer à la Turquie la gestion de millions de migrants, l’Union Européenne est aussi vitale à l’économie turque. Sans échanges avec l’UE, sans ses touristes et ses clients, la Turquie s’effondrerait et Erdogan avec elle. D’ailleurs, quelques messages diplomatiques ont dû circuler entre Ankara et les capitales européennes, car quelques heures après ces fanfaronnades, Omer Celik, porte-parole du Khalife, édulcora le propos : d’un « partez vers l’Europe », on en arrive à « il est difficile d’empêcher les migrants de partir ».

Bien entendu, le régime syrien d’Assad est une abomination totale. Tout comme le fut celui de Saddam Hussein en Irak, avant que l’Amérique de Georges Bush Jr ne l’abatte. Vladimir Poutine, quand bien même ne serait-il pas lui-même un modèle de démocratie, avait prévenu : déloger les dictateurs qui tenaient le Moyen-Orient revenait à ouvrir une boîte de pandore instable et explosive. De dictateurs laïcisants, nous sommes passés à des régimes teintés d’islamisme et de bourbier anarchisant.

En Turquie, Recep Tayyip Erdogan a certes accédé au pouvoir pour la voie des urnes, mais il appartient à cette mouvance islamique agressive et déstabilisatrice. Ni la Russie, ni le Moyen-Orient, ni l’Europe si proche ne veulent la relance de la guerre syrienne, déjà si meurtrière et génératrice de catastrophes humanitaires, par un nouveau conflit russo-turc. Erdogan doit comprendre qu’en dépit de ses accords avec Trump, qui ne bougera pas le petit doigt pour venir à son secours, il n’est pas le bienvenu en Syrie.

Le risque d’engrenage régional n’a jamais été aussi pressant. Et la première guerre mondiale s’est déclenchée pour moins que cela…

Michel Taube

Directeur de la publication

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