Edito
02H20 - vendredi 28 février 2020

Coronavirus : Marine Le Pen réinvente le souverainisme sanitaire. L’édito de Michel Taube

 

Journée très politique sur le front du coronavirus en France.

Alors que le président de la Lombardie, Attilio Fontana, se mettait lui-même en quarantaine, un de ses collaborateurs ayant été infecté par le coronavirus, Emmanuel Macron déambulait hier dans les rues de Naples, en Italie, en compagnie du Président du Conseil italien Giuseppe Conte, entouré d’une nuée d’officiels, de journalistes, de gardes du corps et, un peu en retrait, de badauds. Le matin, les trois premiers cas dinfection au COVID-19 avait été déclarés dans la ville où se tenait ce sommet franco-italien prévu de longue date.

Avant de rejoindre l’Italie, le chef de l’Etat s’était rendu à l’hôpital la Pitié-Salpêtrière à Paris, où il ne put échapper à quelques désagréables interpellations sur la situation calamiteuse de l’hôpital. « Vous pouvez compter sur moi. L’inverse reste à prouver » s’entendit-il dire par un médecin.

Dans la matinée, le Premier ministre Edouard Philippe recevait à Matignon les deux présidents des deux chambres et des groupes politiques du Parlement, ainsi que les chefs de partis, dans le souci de s’assurer de leur solidarité face à un péril dont il voudrait qu’il ne devienne pas un sujet de polémique politicienne.

La petite querelle sur le maintien de la venue des supporters italiens la veille pour le match Lyon – Juventus de Turin augurait d’une journée mouvementée.

L’objectif a-il été atteint ? A la sortie de la réunion, et avant que le Premier ministre ne présente sa synthèse de la réunion à 15h, les responsables des partis d’opposition défilaient devant les caméras des chaînes d’info.

Globalement, le ton aura été à la conciliation, en particulier à gauche : « Dans un moment de crise, une surenchère est absolument contre-productive, ça peut conduire à la psychose, à la panique », déclarait le patron du PS, Olivier Faure, à l’initiative de cette réunion. Sa pique ne fut pas dirigée contre le gouvernement mais contre ceux qui « voudront rétablir des frontières. » Nous y arrivons…

Presque surprenante a été la déclaration de Jean-Luc Mélenchon : le leader de LFI regretta certes qu’il n’existe pas de pôle public du médicament, mais pour le reste, il apporta son entier soutien et proposa même son aide au gouvernement, refusant toute polémique face à ce péril commun. Ce manque de punch de la part de celui qui appelait à l’insurrection durant le mouvement des gilets jaunes ferait presque penser à une forme de détachement face à la crise du coronavirus. Mais en définitive, Jean-Luc Mélenchon est coutumier des volte-face et des attitudes contradictoires, tiraillé qu’il est entre son attachement à la République et un clientélisme qui le conduit parfois, souvent, à séduire un électorat ne partageant pas les mêmes valeurs.

A droite, le ton fut également conciliant : pour Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat et président du parti, « il y a un besoin d’unité nationale », tout en ajoutant que « le parlement ne doit pas perdre le contrôle du gouvernement ».

 

La différence Marine Le Pen

En revanche, l’extrême droite n’a pas hésité à défendre une autre ligne. Certes, Marine Le Pen indiqua, pour la forme, que le gouvernement peut « compter sur le soutien de l’ensemble de la représentation nationale ». Mais le reste fut nettement moins conciliant et la présidente du Rassemblement National se délecta pendant de longues minutes devant les micros et les caméras à cultiver sa différence.

Déjà, les 3000 supporters de la Juve lui étaient restés en travers de la gorge. Ensuite, la présidente du RN ne s’écarta pas de son idée fixe… Contre le coronavirus, c’est comme contre les migrants et les terroristes, il faut rétablir les frontières nationales. Evidemment, la faute en revient selon elle aux voyages transfrontaliers. Elle fustigea donc « l’antifrontiérisme » de l’Union européenne.

Sur le fond comme sur la forme, la chef du RN lance donc ses flèches, même en pleine union sacrée contre le virus. Si elle prend acte des engagements pris en prévision dune aggravation de l’épidémie, elle ajoute « jaurais préféré que le centre interministériel de crise soit déjà mis en œuvre », avant de souligner les « incohérences » du gouvernement.

Comme quoi une crise sanitaire peut révéler les fractures idéologiques. Le défilé des leaders politiques à la sortie de la réunion de Matignon aura donc été révélateur des rapports de force : Marine Le Pen a été la star, assaillie de questions, parlant bien plus que les autres chefs de parti.

Le dernier mot est toutefois revenu à Edouard Philippe. Loin des polémiques, iI se réjouit du climat « parfaitement républicain » dans lequel s’est déroulé la réunion, expliqua que nous sommes en phase 1 sur 3 de l’épidémie et que face à cette situation, « le calme, la mesure et le bon sens sont de rigueur. »

Face à une épidémie annoncée par le président de la République lui-même (« l’épidémie est là »), mais à la mortalité faible, une forme d’union nationale, et même internationale, devrait s’imposer. Mais l’extrême droite donne le sentiment qu’elle exploitera sans vergogne les drames qui en résulteraient. Si on l’avait écouté, si elle était au pouvoir, jamais la France n’aurait été touchée ou elle l’aurait été dans une bien moindre mesure.

Pour l’heure, la solidarité internationale, notamment avec la Chine, la vigilance européenne, – Olivier Véran, le nouveau ministre des solidarités et de la santé a rencontré mardi ses homologues de l’Union européenne et est en lien constant avec eux -, prime sur tout repli national.

Et pour cause, les experts et médecins de la planète ont beau expliquer que la seule frontière qui vaille est le confinement des zones infestées, Marine Le Pen n’en démord pas : des frontières, des frontières, et des frontières. Mensonge, manipulation, récupération. Espérons que les Français le comprendront en temps voulu…

Michel Taube

Directeur de la publication