Edito
06H55 - dimanche 2 février 2020

#JeNeSuisPasUnVirus : ne stigmatisons pas les Chinois ! L’édito de Michel Taube dans Le Point

 

« Vous portez un masque parce que vous êtes contaminé ? Non, Monsieur, parce que je me protège et je vous protège. Cela s’appelle de la prévention ! »

Il faut le dire haut et fort ! Stop aux faits de discrimination dont sont victimes les Chinois, surtout à cause des mesures courageuses de prévention qu’ils ont prises depuis une semaine !

Il n’y a pas d’épidémie sans bouc émissaire. Au moyen-âge, ce furent les Juifs, désignés responsables de la peste noire. Dans les années 1980, les homosexuels furent accusés d’avoir propagé le SIDA. Voici à présent les Chinois jugés coupables de disséminer le coronavirus dans le monde. Bref, au rythme où vont les choses, nous serons tous demain des Juifs homosexuels chinois !

Peste, grippe espagnole, variole, choléra, SRAS, SIDA, fièvre Ebola… L’histoire de l’humanité est émaillée d’épidémies, généralement virales. Rien ne permet d’exclure qu’un prochain virus mondial ne naîtra pas dans nos élevages de vaches ou de cochons, voire chez nos amis les chiens ou chats. On cajole son petit toutou adoré parce qu’il est malade, et crack, on claque !

Sans doute a-t-on des raisons d’être inquiet : d’abord, contrairement à l’OMS qui a tardé à appeler à la mobilisation générale, la Chine a pris des mesures particulièrement drastiques (certes avec trois semaines de retard) pour lutter contre la propagation du virus, mesures qui se retournent contre elle. Il n’y aurait donc pas de fumée sans feu ! Mais que n’aurait-on dit si elle s’était comportée comme la France à l’époque de Tchernobyl (nos vaillants douaniers avaient laissé passer le nuage radioactif pendant que nos ministres avaient ressuscité la ligne Maginot pour expliquer que le territoire français n’était pas le prolongement naturel des vents venus d’Allemagne) ?

Ensuite, l’épidémie progresse, ce qui est la conséquence logique de la nature très contagieuse de ce coronavirus. Mais là aussi, le danger doit être relativisé, car sa mortalité n’est pas celle de la peste ou du choléra. Comme celui de la grippe, il tue principalement des personnes fragiles.

Les médecins ont beau répéter qu’on ne peut attraper le virus en ouvrant un colis venu de Chine, en croisant un Chinois dans la rue ou en mangeant du canard laqué au riz cantonnais, l’irrationnel progresse, amplifié, comme toujours, par les réseaux sociaux. Moins de 0,0005% de la population chinoise serait infestée à ce jour, et quand bien même ce chiffre serait sous-évalué, quand bien-même exploserait-il dans les prochaines semaines, ce qui est probable du fait de la période d’incubation, ce ne serait toujours qu’une infime fraction de la population chinoise qui serait touchée, très majoritairement dans la province de Wuhan, au centre du pays, mise sous quarantaine. Le risque d’être contaminé par un Chinois en France, ou par une personne résidant en France et revenant de Chine est par conséquent minime.

Pourtant la phobie est en train de se transformer en stigmatisation discriminatoire à l’égard des Asiatiques, de moquerie, voire de harcèlement des enfants. Et voilà que les préjugés éclatent au grand jour : « tu manges des chauves-souris ? » ; « vous vendez des animaux sauvages à la consommation » (ce que la loi chinoise interdit rigoureusement). Les restaurants chinois, voire français situés dans des quartiers à forte population chinoise, se vident. Les épiceries sont désertées.

Même des activités sans relation avec le secteur alimentaire sont touchées. Ici, une société de conseil informatique voit ses clients reporter des interventions programmées. Ici, les clients d’une entreprise de marketing demandent à ne pas être mis en présence de Chinois ! Au train où vont les choses, certains brûleront leur iPhone américain fabriqué en Chine, jetteront leur lave-linge, leur ordinateur (sur lequel ils liront cet article), leur téléviseur… « Attendez : faut que je regarde si mon caleçon n’est pas made in China… Si, il est made in China. Je le brûle » !

Désemparés, les Chinois sont de plus en plus nombreux à retwitter le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus.

Ces comportements risquent fort de nous revenir en boomerang : l’industrie touristique, déjà affectée par les gilets jaunes et les grèves, est déjà frappée de plein fouet. Les économies sont aujourd’hui si interdépendantes qu’on ne sortira pas indemne d’une mise en quarantaine… de toute la Chine et des Chinois.

Alors bien sûr, personne ne peut aujourd’hui exclure une contamination plus massive à l’échelle mondiale, parce que nous vivons dans ce village planétaire, avec des modes de transport qui n’existaient pas à l’époque de la peste noire. Mais ce n’est certainement pas en boycottant les Chinois de France, leurs commerces, leurs entreprises, en les injuriant, en se moquant de leurs enfants, que l’on vaincra le coronavirus ou que l’on contiendra sa propagation.

Une fois de plus, la France et les Français sont mis devant leur responsabilité morale. Si nous sommes le grand peuple que nous prétendons être, si nous sommes le pays des droits de l’homme, nous ne pouvons accepter les dérives auxquelles nous commençons à assister. Au contraire, nous avons un devoir de solidarité envers nos communautés asiatiques. Doit-on rappeler que de nombreux ressortissants français sont originaires d’Asie, et que Paris ne serait pas Paris, sans ses quartiers chinois ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication