Edito
15H32 - mardi 15 octobre 2019

Voile islamique des accompagnatrices scolaires : il est temps que LREM et Emmanuel Macron clarifient leur position sur la laïcité. L’édito de Michel Taube

 

Le Rassemblement national a réussi un nouveau coup de com’ : alors que la séance du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté bat son plein, le président du groupe RN, Julien Odoul, ouvre son micro et demande à la présidente socialiste Marie-Guite Dufay d’enjoindre une accompagnatrice venant d’entrer dans la salle d’ôter son voile islamique « au nom de nos principes laïcs ». Son propre parti a filmé la scène qui fut reprise sur toutes les chaines de télévision, relançant le débat sur le port du voile par les accompagnatrices scolaires, voire dans d’autres circonstances. Julien Odoul n’ignorait évidemment pas que cette femme voilée était dans la légalité et qu’il ne serait pas fait droit à sa requête.

Mais au-delà du coup politique du RN, la question agite la classe politique, dévoilant, c’est le cas de le dire, de fortes divergences au sein de l’équipe dirigeante. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, n’a jamais fait mystère de sa préférence de voir la neutralité imposée aux accompagnants. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, ne partage pas cette position. A l’Assemblée nationale, le Premier ministre Edouard Philippe s’est fendu d’un rappel à la loi et a écarté l’idée de légiférer à nouveau sur la question. Une fin de non-recevoir abrupte qui ne suffit visiblement pas à calmer le jeu.Mais si tous causent et proposent, seul le président de la République dispose. Or Emmanuel Macron ne s’est jamais prononcé sur la question. En revanche, son épouse Brigitte Macron, qui institutionnellement n’a pas voix au chapitre, considère qu’à l’école, « on ne parle pas politique, on ne parle pas religion », rappelant qu’elle (l’école) est laïque, et elle (Brigitte) en faveur de la laïcité. D’aucuns en ont déduit un soutien à Jean-Michel Blanquer. La solution viendra peut-être du grand discours du chef de l’Etat sur la laïcité, promis et attendu depuis 2017. Mais à l’Elysée, il se dit qu’aucune sortie d’Emmanuel Macron n’est prévue à court ou moyen terme. Une dossier trop explosif ?

 

Nombreux sont aussi ceux qui se réjouissent de la réouverture du débat sur le voile, tout en accusant Julien Odoul d’avoir fait pleurer un enfant en s’en prenant à l’accompagnatrice. Va pour le fond, donc, mais pas pour la forme ! Certes, l’élégance n’a jamais été la qualité première de l’extrême droite, mais force est de déplorer que les enfants sont confrontés à tellement pire. D’ailleurs, l’endoctrinement des jeunes enfants est un péril dont la Cour de cassation a voulu les protéger dans le cadre de la fameuse affaire Baby Loup, qui concernait, une fois encore, le voile islamique : sous certaines conditions, dont l’établissement d’un règlement intérieur, une crèche peut imposer la neutralité aux salariés en contact avec les enfants. Ici, c’et la jurisprudence, et non le législateur, qui considère que les enfants ne doivent pas être influencés, ce qui en pratique revient à étendre la neutralité du service public, en l’occurrence celui de l’Education nationale, à tous les professionnels de l’enfance.

Bien sûr, les juristes, tout comme le Premier ministre, vont rappeler que les accompagnants scolaires ne sont pas des professionnels, comme si l’enfant faisait la différence. Les tenants du statu quo vont nous dire que la loi de 1905 ne concerne que le service public, et que le voile est une question d’égalité entre femmes et hommes et non de laïcité, ce en quoi ils ont au moins partiellement raison.

En 2004, le Président Jacques Chirac fit adopter une loi interdisant aux élèves d’afficher des signes religieux ostensibles à l’école, ce qui démontre bien que la loi de 1905 ne règle pas tout. A cette époque, nombreux étaient ceux qui annonçaient une confrontation avec l’islam, prônant une fois encore la méthode du « pas de vague ». Où en serions-nous aujourd’hui, sans cette loi ?

Pourquoi s’arcbouter sur la loi de 1905 ? Elle n’est qu’une modalité d’application d’un principe constitutionnel et même philosophique. Pourquoi laisser entendre que limiter le port du voile serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ? Faut-il rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme avait autorisé la Turquie, lorsqu’elle était encore un pays laïc, à encadrer le voile islamique à l’université pour préserver les étudiants du prosélytisme, et qu’elle avait validé la loi française interdisant la dissimulation du visage, non pas pour les motifs sécuritaires invoqués par le texte, mais au nom du « vivre-ensemble » et du « choix de société », visant nommément le voile islamique intégral, ce que la loi française s’était bien gardée de faire ? Ceux qui se prévalent du droit pour justifier leur inertie doivent se souvenir que c’est la politique qui fait le droit, et non l’inverse, et que le droit doit être évolutif pour s’adapter à la société et parfois aux circonstances, dans le respect de nos valeurs fondamentales que l’islam radical veut détruire. Dans un pays qui adopte une centaine de nouvelles lois chaque année, on ne saurait s’abriter derrière le dogme d’une loi vieille de 115 ans, largement incomplète, pour refuser toute adaptation législative à la réalité et aux défis du XXième siècle. 

Il n’y a pas que l’extrême droite qui souhaite interdire aux accompagnants scolaires d’afficher ostensiblement leur religiosité. Ce serait même une faute que de lui abandonner cette initiative. Chrétiens et Juifs s’y adapteraient sans difficulté, tout comme la majorité des musulmans. Mais les dernières enquêtes, telle celle de l’Institut Montaigne, démontrent que cette majorité n’est plus si écrasante, qu’elle s’étiole, et que l’islam politique, archaïque, obscurantiste et dangereux pour la République, ses valeurs et, in fine, nos libertés, au premier chef celles des femmes musulmanes, tisse méthodiquement sa toile. L’un de ses outils est précisément le droit : la confrérie des Frères musulmans et autres salafistes crient au racisme, à l’islamophobie (concept qu’ils ont inventé) à la moindre critique de cet islam dévoyé.

La France d’aujourd’hui n’est plus chrétienne : la gauche, tout particulièrement la gauche marxiste et multiculturaliste, ne cesse de nous le rappeler. L’islam est la seconde religion du pays et la seule qui progresse, en particulier par le nombre de ses pratiquants.

Mais de même que la France s’est laïcisée par rapport au christianisme au XIXème et XXème siècles, elle doit se laïciser par rapport à l’islam aujourd’hui, surtout lorsque l’islam politique s’impose de plus en plus dans certains territoires perdus de la République.

La France doit rester laïque, c’est-à-dire à la fois veiller à l’égal exercice des cultes mais aussi, dans l’esprit, à cantonner ces derniers à l’espace privé et aux lieux qui y sont spécialement affectés. Oui, la France doit rester laïque au sens philosophique et sociétal du terme, et non – il est utile de le dire et de le répéter – par référence à la seule loi de 1905. Car ce qui est vrai pour les enfants d’une crèche l’est aussi pour ceux qui sont en visite parascolaire, peu important le statut des uns et des autres. Le nier au nom du droit, c’est oublier la fonction même du droit, une science humaine et politique au sens étymologique du terme.

L’accompagnatrice qui ricanait lorsque l’élu du RN voulait lui faire ôter son voile savait très bien que son geste était une provocation. Dès le lendemain, elle déclare au site du Collectif contre l’islamophobie en France que cet épisode a « détruit sa vie », qu’elle « tremblait de la tête aux pieds ». En étant récupérée (ou pilotée ?) par le CCIF, proche des Frères musulmans, elle assume son positionnement communautariste. Fatima E. n’arborait certes pas un voile intégral, mais pas non plus un foulard traditionnel comme le portaient les mamans âgées qui accompagnaient les enfants il y a dix ou vingt ans, ni comme on le voit dans de nombreux pays musulmans, même à Téhéran ou la jeunesse goûte de moins en moins à la théocratie des ayatollahs.

Un voile noir qui enrobe le visage n’est pas un vêtement traditionnel. Il est devenu un étendard communautaire, identitaire, et la marque de la soumission de la femme à l’homme (la servitude volontaire est malheureusement une réalité universelle dont jouent les dominants). Ce n’est pas un exemple à donner aux enfants. La culture anglo-saxonne, dominante dans les instances européennes, place la liberté, y compris religieuse, au-dessus de toutes les valeurs. Mais lorsqu’elle est instrumentalisée comme le fait l’islam politique, elle devient abusive. L’attribut religieux transformé en étendard politique est à la liberté religieuse ce que la diffamation est à la liberté d’expression.

Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Comme en matière d’écologie, l’urgence, c’était il y a vingt ou trente ans. Aujourd’hui, une telle mesure provoquerait l’ire de l’islam politique et nourrirait l’argument fallacieux de la stigmatisation. Nous avons tellement reculé, tellement cédé, tellement culpabilisé qu’on ne voit pas comment remédier à la scission évoquée par Emmanuel Macron, si on se cantonne à lutter contre le terrorisme sans affronter réellement l’islam politique, les fréristes, les wahabites, les salafistes qui prennent en otages les musulmans de France.

À l’école comme ailleurs, la laïcité constitutionnelle et philosophique doit être défendue et promue. Nos enfants de toutes confessions doivent se l’approprier et la chérir. Le challenge n’est pas une guerre sainte, qui opposerait la chrétienté à l’islam, comme les fondamentalistes cherchent à en convaincre les musulmans. C’est un combat des lumières contre l’obscurantisme, des Français musulmans notamment qui doivent bâtir l’Islam de France, et de toute la société, contre l’islam politique.

Le pire dans cette histoire, c’est que ce soit un élu d’extrême-droite (transfuge de l’UDi en son temps) qui ait sonné le tocsin. Il est grand temps que les partis de gouvernement, à commencer par LREM, prennent le leadership du combat pour la laïcité, n’en déplaise à Edouard Philippe. Cela passe par une clarification interne à La République En Marche, et plus encore, par des initiatives concrètes et non pas seulement rhétoriques du Président de la République.

S’il est encore temps, c’est maintenant ou jamais. Sinon, nous basculerons dans autre chose que la République laïque : une République aux communautarismes triomphants en guerre civile permanente.

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication