Edito
07H00 - lundi 9 septembre 2019

Jean-Paul Delevoye, le doyen du gouvernement, n’est pas prêt de prendre sa retraite. L’édito de Michel Taube

 

Photo by FRANCOIS GUILLOT / AFP

 

S’il y en a un pour lequel la retraite n’a pas sonné, c’est bien Jean-Paul Delevoye. Âgé de 72 ans, il est désormais le fringant doyen du gouvernement.

Pourquoi passer ainsi de Rapporteur sur la réforme des retraites à membre du gouvernement ? Quoi de plus confortable, d’habitude, que d’être chargé de rédiger un rapport pour le gouvernement ou le Président de la République. On dirige et on coordonne une petite équipe, et on remet en grande pompe son œuvre au commanditaire, sans avoir la certitude qu’il s’y intéressera vraiment. En général, on a droit à ses chaudes (et publiques) félicitations et si tout se passe bien, si le rapport permet effectivement d’infléchir la politique du gouvernement, on pourra même se réjouir de voir les médias y associer son nom, comme on le fait pour une loi. Parfois, les choses ne se passent pas si bien. On se souviendra du rapport de Jean-Louis Borloo sur les banlieues, enterré illico presto par le Chef de l’État devant son auteur lui-même et les caméras de toute la France. Borloo qualifié de « mâle blanc » par Emmanuel Macron ne s’est peut-être pas encore remis de cette humiliation !

La position du rapporteur est donc, généralement, plutôt confortable : au mieux, il peut se targuer d’influencer le cours des choses (« s’il y a eu réforme, c’est grâce à moi ! ») ; au pire, d’avoir essayé. Quoi qu’il en soit, c’est toujours flatteur pour l’ego que les puissants vous demandent votre avis. Mais surtout, le grand atout du rapporteur-conseilleur est qu’il n’est jamais le payeur. Une fois que l’expert sachant a transmis sa science, le politique n’a qu’à se débrouiller avec, affronter l’adversité : opposition, syndicats, gilets jaunes… Sur certains sujets chauds, comme, par hasard…, les retraites, le bienheureux auteur du rapport peut contempler l’arène de son salon, sur son téléviseur. Il ne prend aucun coup, n’essuie aucun plâtre. Il n’a pas à défendre ce qu’il préconise. Qui se souvient des noms des précédents auteurs des rapports sur les réformes des retraites ?

Eh bien, Jean-Paul Delevoye ne se contentera pas d’être Rapporteur.

Retraite, disions-nous ? Le 3 septembre 2019, Jean-Paul Delevoye est entré au gouvernement, avec rang de ministre délégué auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, et en conservant son titre de haut-commissaire à la réforme des retraites qui lui avait échu le 14 septembre 2017. C’est donc lui-même qui portera « sa » réforme, lui qui la défendra dans l’hémicycle, face à des députés jamais avares d’invectives, de petites phrases, parfois de coups bas. C’est lui qui continuera invariablement à expliquer aux Français, via les médias et les questions au Gouvernement au Parlement, ce qu’il estime indispensable pour sauver notre système de retraite.

L’ancien ministre de Jacques Chirac s’est mis immédiatement au travail. Il consulte, discute, échange, compare, analyse… Deux journées de rendez-vous avec les partenaires sociaux et Edouard Philippe. Voici notre rapporteur pleinement lancé dans le grand bain gouvernemental.

Jean-Paul Delevoye, c’est un humaniste pragmatique. Le dogme et le positionnement idéologique ne sont pas sa tasse de thé. Comme lui, de nombreux chiraquiens historiques entourent désormais le président de la République, on le souligne rarement.

Sa véritable mission et la raison de son entrée au gouvernement : faire en sorte que le dossier explosif des retraites ne soit pas le prétexte à une nouvelle crise des gilets jaunes. Car la braise couve sous le feu assagi.

Or le problème est énorme : ne pas financer les retraites mettrait en péril notre société et le fameux modèle français, qui de toute évidence, peine à répondre aux exigences démographiques d’aujourd’hui et ne répondra pas à celles de demain.

Le long travail du rapporteur avait débouché en juillet 2019 sur des préconisations sachant distinguer le possible du souhaitable, ce qui finalement, résume l’art de la politique. Second Acte de la réforme à présent : discuter. Déjà, les syndicats fulminent… mais pas trop au fond. L’opposition, celle de gauche notamment, qui s’est souvent contentée de réformettes pour transmettre la patate chaude à la droite, lorsqu’elle sentait que le tapis électoral se défilait sous ses pieds, aiguise ses couteaux mais ceux-ci ne sont plus trop coupants. Prendre aux riches et aux entreprises, et finalement raser gratis. Le dogme est invariable. Mais les Français sont conscients que le système actuel est à bout de souffle. Mais il faudra encore les convaincre du bien fondé de certaines mesures impopulaires car quel que soit l’angle d’analyse, il faudra sans doute travailler plus si l’on veut préserver un niveau de vie décent. Le beurre et l’argent du beurre, cela n’existe pas.

Et puis il y a cette idée fort juste d’un système unique qui remplacerait les 42 régimes de retraite fort inégalitaires entre eux.

Sans doute y aura-t-il des inflexions aux propositions du Rapporteur qu’a été Jean-Paul Delevoye. Sans doute devra-t-il mettre un peu d’eau dans son vin. Mais pas au point de le transformer en breuvage insipide, de vider le projet de son contenu, de renvoyer, une fois encore, la difficile mission au gouvernement suivant, quel qu’il puisse être. Lorsque quelques élus LREM souhaitaient remettre en cause l’âge légal de 62 ans pour le départ à la retraite, Jean-Paul Delevoye avait menacé de démissionner.

On peut être pragmatique et avoir de la conviction.

 

Michel Taube

Directeur de la publication