Edito
15H38 - mercredi 26 juin 2019

Une nouvelle photo choc sur le drame de la migration doit-elle influencer les politiques migratoires ? L’édito de Michel Taube

 

La photo d’un père et de sa jeune fille retrouvés noyés sur la rive mexicaine du Rio Bravo (ou Rio Grande selon la terminologie américaine) a déjà fait le tour du monde. Emportés par le courant alors qu’ils essayaient d’atteindre la rive américaine, leur destin illustre et incarne pour un temps le drame de la migration.

La photo suscite une indignation quasi généralisée, y compris en France, où 63 % de la population considère pourtant que l’on accueille trop de migrants (enquête réalisée par BVA en marge des élections européennes). Personne ne peut en effet rester insensible devant pareille image, tout comme l’était celle de cet enfant mort sur une plage turque en 2015. Elle avait secoué la planète et encouragé Angela Merkel à ouvrir les portes de l’Allemagne… et donc de l’Europe à près d’un million de migrants.

Photo by STR / AFP

 

Les médias avaient alors largement relayé ce drame humain, et fait de cet enfant un symbole, voire LE symbole d’une souffrance née de notre indifférence ou de notre égoïsme. Pire, des donneurs de leçons montrèrent ostensiblement du doigt tous les méchants et riches Occidentaux qui rechignent à accueillir à bras ouverts les migrants, quand elle ne s’offusquait pas qu’on puisse leur imposer de respecter les us et coutumes du pays qui les accueillait, certes dans des conditions souvent déplorables.

Aujourd’hui, c’est Donald Trump que cette nouvelle photo tend à présenter en meurtrier et en tortionnaire.

Comme toujours, la réalité est ambivalente et contradictoire, sauf pour les dogmatiques. Accueillir des réfugiés politiques est une obligation morale et juridique. Idéalement, il faudrait abolir les frontières et considérer que nous sommes tous citoyens du monde, un sentiment qui envahit souvent les cosmonautes quand ils observent la terre de l’espace. Sauf que de l’espace, on ne voit pas les humains ! Eux ont construit leur histoire avec des territoires et donc des frontières. Il en résulte un droit légitime des États, forme la plus aboutie et la plus courante du territoire à l’intérieur de frontières, de contrôler l’immigration. Le propos n’est pas de disserter sur le bien-fondé de la politique de Merkel ou de Trump, mais de veiller à ne pas laisser des sentiments nobles, exacerbés par l’impact émotionnel d’une image, balayer tout raisonnement lucide au point d’influencer la géopolitique.

Qu’avait motivé Oscar Martinez Ramirez, ce cuisinier âgé de 25 ans, pour fuir son pays avec sa femme et leur fille ? Que fuyait-il en tentant de traverser à la nage le Rio Grande, avec sa fille attachée à son corps ? Il ne fuyait pas une persécution, pas plus que la grande majorité des migrants tentant de traverser la Méditerranée, en réalité principalement des migrants économiques. Il espérait trouver aux États-Unis un monde meilleur, réaliser son rêve américain, pour lui et sa fille. Quoi de plus légitime ? Mais quoi de plus légitime pour un État, que de réguler le flux migratoire ? Cet homme, ce père, ne devrait-il pas être blâmé pour avoir fait prendre un tel risque à sa fille ? À suivre le raisonnement des moralisateurs internationalistes, un gros plan d’un enfant mort dans un accident de la circulation, quand bien même le conducteur aurait conduit dangereusement, devrait aboutir à interdire les voitures ou à accuser les constructeurs automobiles d’être des meurtriers. On n’en est d’ailleurs pas loin, s’agissant de la pollution atmosphérique.

Cette terrible photo a le mérite de rappeler que les drames collectifs ne peuvent se résumer à des chiffres, à des statistiques. Ils sont l’addition d’innombrables tragédies individuelles. Mais elle ne doit pas conduire à exonérer de toute responsabilité les individus qui prennent de tels risques, surtout quand ils les font prendre à d’autres. Le désespoir peut pousser les individus à relever les plus grands défis, sans considération de risque. Le réchauffement climatique, qui frappera encore plus durement des pays où la sécheresse est déjà un fléau mortel, en particulier en Afrique, pourrait drainer vers l’Europe des contingents encore bien plus imposants de désespérés luttant véritablement pour leur survie, et non pour réaliser leur « rêve américain ».

L’émotion est mauvaise conseillère, surtout pour les dirigeants politiques, mais lorsque l’analyse froide ne débouche que sur des alternatives terrifiantes, on se demande si, en définitive, ce n’est pas le cœur qui devrait avoir le dernier mot. Si demain, des réfugiés climatiques se dirigeaient par dizaines ou centaines de millions vers les contrées plus tempérées, devrions-nous ouvrir nos frontières ou tirer au canon pour les dissuader de nous « envahir » ? Dans les deux cas, nous serions perdants.

Le pire n’étant jamais certain, nous voilà rassurés !

 

Michel Taube

Directeur de la publication