Présidentielle France 2017
09H27 - jeudi 2 mars 2017

Jean-Paul Delevoye : « pourquoi, moi le gaulliste chiraquien, j’ai rejoint Emmanuel Macron et En Marche ! »

 

Ancien ministre de Jacques Chirac, président de l’association des Maires de France, Médiateur de la république et président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye a toujours attaché une importance à son indépendance. En 2013, l’ancien membre de l’UMP ira même jusqu’à soutenir un candidat PS aux élections de Bapaume, la petite ville qu’il dirigea de 2004 à 2014. Face à l’animosité provoquée dans son parti par cette décision, Jean-Paul Delevoye décide cette année-là de le quitter. Il sort aujourd’hui de sa « retraite politique » pour soutenir Emmanuel Macron et devient le président de la Commission nationale d’investiture de son mouvement En Marche !. Entretien avec la Rédaction d’Opinion Internationale.

 

Opinion Internationale : Jean-Paul Delevoye, vous présidez la Commission nationale d’investiture du mouvement En Marche !. Que fait un chiraquien, un gaulliste au côté d’Emmanuel Macron ?

Jean-Paul Delevoye : Vous connaissez mon parcours. Ministre de Jacques Chirac, président de l’Association des Maires de France, Médiateur de la République puis président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). Je tente, modestement, de tracer un sillon : réconcilier les citoyens avec la politique. La contestation du système en place est à son paroxysme, partout dans le monde et notamment en France.

Ensuite, l’économie française est en panne permanente. Je vois les ultra-Keynésiens de gauche qui n’arrivent pas à changer cette tendance. Il n’y a jamais eu autant d’injection de monnaie par les banques centrales. Pourtant il n’y a pas de croissance des prix, pas de croissance économique mais une inflation artificielle des actifs.

Le jeu politique gangrène la société. En ces jours de turbulence politique à droite, je pense à Philippe Séguin qui doit se retourner dans sa tombe face au Pénélope Gate, lui qui imposait à tous que le service de la France nécessite la grandeur de l’individu, l’humilité dans l’exercice de sa fonction et l’exemplarité dans sa conduite. Et on voit bien que, sans vouloir porter un quelconque jugement vis à vis de l’attitude personnelle de François Fillon, – c’est ma foi son problème, sa conscience -, on ne peut pas diriger un pays sans avoir été exemplaire. Et on ne peut pas non plus demander aux Français et aux Françaises des efforts qu’on n’impose pas à soi-même.

J’ai aussi pris mes distances avec un système politique qui neutralise toute possibilité de transformation : le président de la République, parce qu’il est élu avec 50% des voix, c’est-à-dire en fait 25% seulement du corps électoral vu les abstentionnistes, est minoritaire. Arrêtons aussi de dire : « si je suis dans l’opposition, je m’oppose systématiquement à tous les projets de la majorité et vice-versa ».

Les Français ont soif d’un projet politique, d’une vision, d’un idéal et d’hommes politiques à la hauteur. Sans vision il n’y a pas de projet, sans projet il n’y a pas de mobilisation. A force de vouloir séduire des électeurs, les hommes politiques ont perdu le citoyen qui est en train de se venger en pariant sur les populistes. A moins qu’un démocrate sache se lever pour maintenir nos concitoyens dans le giron de la République. C’est tout l’espoir que porte Emmanuel Macron qui est l’homme de la situation.

 

Mais qu’est-ce qu’Emmanuel Macron a de différent des autres pour vous faire sortir de votre « retraite politique » ? J’insiste, pourquoi le gaulliste qui est en vous est-il séduit par Macron ?

J’ai soif d’une grandeur de la France. Je vois l’Europe se disloquer, je vois Donald Trump lancer un formidable défi au monde, sur l’islam, sur la monnaie, sur les traités commerciaux, sur la défense, et je vois curieusement la Chine devenir un pacte de stabilité, et les Etats-Unis, un pacte d’instabilité.

Quand le général De Gaulle a compris que le jeu des partis politique était nuisible à la grandeur de la France, il a demandé à ce que l’on dépasse ces frontières artificielles pour mobiliser l’intelligence collective des citoyens au service d’un projet politique. J’ai vu ce qu’ont donné les primaires, auxquelles j’étais opposé : on a le meilleur candidat pour la gauche mais pas pour la France et le meilleur candidat pour la droite mais avec un projet dont chacun reconnaît qu’il n’est pas applicable au pays. Les primaires ont conduit à la radicalisation des rapports de forces politiques.

Cependant, ces dernières années, notamment à la tête du CESE, très bel observatoire des dynamiques citoyennes, j’ai été très attentif à tout ce qui, sur le terrain, traduisait une vitalité citoyenne. J’ai été frappé du paradoxe entre ce rejet politicien et cette soif politique de nos concitoyens, les Français étant éminemment politiques. Lorsque j’ai vu émerger cette dynamique citoyenne d’En Marche !, zéro militant il y a dix mois, plus de 190 000 adhérents aujourd’hui, je suis allé signifier à Emmanuel Macron que j’étais tout à fait prêt à manifester mon intérêt pour cette énergie citoyenne qui permettait une oxygénation de la vie politique et qui, surtout, n’enferme plus, enfin, les citoyens dans l’obligation de choisir entre la droite et la gauche. Macron et En Marche ! offrent enfin une alternative crédible à l’abstention ou aux votes de la révolte populiste pour Marine Le Pen ou pour les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon.  

 

Pensez-vous que Macron sera à la hauteur de ce dessein citoyen que vous lui prêtez ?

J’ai rencontré Mme Macron et M. Macron. Et là, j’ai vu un homme et une femme sincères, authentiques et dont le projet politique correspondait totalement à la philosophie annoncée. Un peu à l’image d’un Pompidou qui avait créé une Anthologie de la poésie française et qui était passé par les banques, je vois un Emmanuel Macron qui est lui aussi passé par les banques mais qui est pétri de philosophie.

 

Il a été secrétaire particulier du grand philosophe protestant Paul Ricœur…

En effet, Macron est un homme de culture autant qu’un économiste. Bref, je vois dans la traduction de son projet politique ce à quoi je crois : la société de l’intelligence qui a besoin que l’on développe le potentiel de ses enfants dès le plus jeune âge (d’où l’intérêt donné à l’école), la force de la France qui est sa créativité, son innovation.

Et donc, moi gaulliste, pétri de cette formidable ambition pour la France, attaché à l’humilité dans l’attitude et l’honnêteté exemplaire par le sens du devoir et de la mission, je trouve chez Emmanuel Macron ces qualités et cette formidable énergie en œuvre. 

 

En Marche !, c’est Emmanuel Macron mais ce sera aussi 577 candidats aux élections législatives. Vous avez la lourde responsabilité de présider la commission nationale d’investiture qui va sélectionner les candidats. Est-ce que ce renouvellement politique, on le retrouvera sur les bancs de l’Assemblée ?

Le choix d’Emmanuel Macron, c‘est d’avoir créé une commission nationale indépendante composée de 9 membres – dont six femmes – et quatre suppléants. Avec des critères de sélection très clairs : la moitié doivent être une première candidature, la moitié doivent être des femmes, ils doivent être en adhésion et en cohérence avec le projet politique d’Emmanuel Macron même s’ils peuvent être membres d’autres partis.  Nous avons ajouté des critères personnels : la probité (pas de casier judiciaire), la crédibilité sur le terrain, la nécessité de respect de l’environnement, notamment dans leurs permanences électorales, les contrats noués avec leurs assistants parlementaires devront être irréprochables, la restitution de leurs activités auprès de leurs concitoyens voire l’instauration d’assemblées délibératives pour les associer au débat.

Nous allons bien entendu tenir compte des rapports de force locaux dans chaque circonscription mais nous voulons faire émerger des profils nouveaux. Nous recevons aujourd’hui 200 candidatures par jour, nous en sommes à plus de 7.000 candidatures, nous pensons atteindre les 10 000. Environ 80% de ces candidats ont déjà des engagements associatifs. Donc on voit bien que ce sont des citoyens engagés.

Environ 70% des candidats sont des hommes mais la dynamique des candidatures féminines est en marche. Nous étions à 15% il y a quelques temps. Et je ne cesse de recevoir des femmes qui animent des réseaux et qui veulent se lancer.

 

Donc vous appelez les femmes à vous rejoindre ?

Bien sûr. Lorsque vous posez la question à un homme : veux-tu être candidat ? Neuf sur dix répondent oui. Lorsque vous posez la question à une femme, neuf sur dix disent : est-ce que vous croyez que j’en suis capable ? Il y a une distanciation par rapport au pouvoir qui donne une prime à la pureté de l’engagement féminin par rapport au pouvoir.

Avec En Marche !, nous avons énormément d’intelligence, d’engagement du cœur pour servir un pays. Cette mobilisation citoyenne est en marche. Ma conviction est qu’elle est irrésistible.

 

Propos recueillis par Michel Taube et Claire Courbet

Directeur de la publication