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12H40 - jeudi 7 avril 2016

De l’influence du big data sur les élections américaines

 

Aux États-Unis, la course à la présidentielle passe par le big data. De puissants algorithmes permettent aux candidats de cibler les électeurs et d’orienter le choix des internautes indécis. Quelle sera l’influence du web sur l’élection du prochain président ?

Cartogramme des élections américaines de 2008 - Crédit: M. E. J. Newman

Cartogramme démographique des élections américaines de 2008 – Crédit: M. E. J. Newman

 

Si les deux précédentes campagnes présidentielles américaines de 2008 et 2012 avaient été marquées par l’usage intensif des réseaux sociaux, l’actuelle course à la présidence passe par l’utilisation massive du big data. Pour chaque candidat, il s’agit de faire appel à des sociétés hyperspécialisées dont le rôle est de trouver des corrélations et de définir des « cibles » d’électeurs potentiels. En traitant des millions de données personnelles accumulées à l’occasion des précédents votes (sur les fichiers électoraux américains, figurent notamment l’identité du votant, sa participation aux scrutins précédents ainsi que son origine ethnique ou encore, sur un mode déclaratif, sa sensibilité politique) et auprès des sympathisants, il est devient possible de construire et transmettre des messages personnalisés par e-mail ou via les réseaux sociaux. Ted Cruz, vainqueur des récentes élections primaires républicaines dans l’Iowa,  a fait appel à la société Cambridge Analytica. En complément aux données personnelles laissées par les internautes, cette société a réussi à dresser à grands traits les profils psychologiques d’électeurs en fonction de leur « ouverture d’esprit », de leur « côté consciencieux »… bref, de croiser d’immenses bases de données pour adresser des messages ciblés relayés par des bénévoles.

Data scientists pour éclairer les candidats

Favorisées par le Help American Vote Act, loi votée en 2002 qui met les données électorales à la disposition de tous, les sociétés spécialisées en big data électoral ont su tirer partie de cette incroyable mine d’or d’informations publiques. Si cela passe par un travail permanent de mise à jour et de qualification de ces données, les grands partis ne peuvent désormais plus se passer du savoir-faire de ces acteurs incontournables de la donnée qui œuvrent en coulisses. En complément à cette base d’informations publiques, Cambridge Analytica, Blue State Digital et autre Brixton font feu de tout bois en traitant également la multitude d’informations collectées sur les réseaux sociaux. Ils servent à arrêter les thèmes de campagne sur lesquels insister ; définir les expressions à marteler pour emporter le cœur des sympathisants ou encore susciter des versements financiers en se basant sur le croisement d’informations telles que le lieu d’habitation, le nombre d’enfants, les croyances religieuses…

Militantisme 2.0

L’actuelle campagne électorale pour la conquête de la Maison-Blanche a également mis sous les projecteurs NationBuilder. Logiciel déjà utilisé en 2012 par Barack Obama, cet outil d’analyse permet de transformer une élection en un véritable terrain de jeu optimisant le travail des militants. Bien plus qu’un simple logiciel servant à qualifier des contacts comme n’importe quel CMS (Content Management System), NationBuilder est l’outil par excellence du militantisme 2.0. Pour ce logiciel, la data est le carburant et la cartographie, le moteur. Le temps est révolu où les militants se déplaçaient de façon aléatoire dans un quartier. Ce logiciel, accessible sur abonnement à partir de 29 dollars par mois, permet de cibler les futures actions à lancer grâce à une cartographie détaillée intégrant les zones abstentionnistes favorables ou non à tel ou tel candidat, mais aussi de rédiger des mails « optimisés » grâce à un système de tests A/B deux versions différentes de courriels sont envoyées à deux panels de sympathisants et un bilan est réalisé pour savoir laquelle est la plus efficace (mails ouverts, clics sur la pièce jointe, réponse…), d’envoyer des SMS aux électeurs en adaptant très finement les messages, ou encore de mettre en mouvement des militants afin de créer un réseau communautaire en faveur d’un candidat, à l’instar de la stratégie numérique du mouvement Podemos en Espagne. Loin de ne séduire que des candidats Américains, NationBuilder a été utilisé en France à l’occasion des dernières élections locales et nationales.

 

Des algorithmes pour orienter les votes ?

Les données sont plus que jamais au cœur de notre monde numérique. En politique, là où l’enjeu n’est rien moins que la conquête du pouvoir, elles sont au centre du jeu. Quiconque les possède et maîtrise dispose d’un avantage considérable à tel point qu’il est possible de se demander si les géants du web, et Google au premier chef, ne pourraient pas influer sur les résultats électoraux. C’est la question très sérieuse que se sont posée les chercheurs de la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences en analysant si l’ordre des résultats ou la perception des électeurs sur les candidats pouvaient être influencés via l’affichage des résultats sur le web ; ces derniers conditionnés par la façon dont sont conçus les algorithmes. Ce questionnement est bien sûr à mettre en perspective avec le poids actuel du moteur de recherche aux États-Unis (70 %) et en Europe (de l’ordre de 90 %). Google pourrait-il manipuler les résultats de son classement afin de favoriser tel ou tel candidat ? Pour l’instant, l’étude répond par la négative – notamment en raison du fait qu’Internet n’est pas le seul moyen d’information des électeurs indécis – mais il n’empêche qu’en se fiant aux seuls résultats procurés par les algorithmes, la possibilité est bien réelle que ces nouveaux outils numériques puissent influencer, de manière directe ou indirecte, nos choix ; en l’occurrence politiques. Sur ce sujet, la phrase de l’auteur De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville, n’a pas pris une ride : « En politique, ce qu’il y a souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c’est ce qui se passe sous nos yeux ».

Philippe Boyer, auteur du livre : Ville connectée=vies transformées  Notre prochaine utopie ? Éditions Kawa.

Emoji première langue

Twittosphère, geeker, troller, fablab ou encore émoji font leur entrée dans l’édition 2017 des dictionnaires Robert et Larousse. Né au Japon avec l’avènement des Smartphones, le phénomène « emoji » est désormais mondial. Bien…