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11H39 - jeudi 21 janvier 2016

Demain, tous slashers ?

 

La digitalisation de l’économie n’en finit pas de bouleverser le travail. Face à cela, une nouvelle génération de travailleurs émerge. Surfant sur l’économie du partage ou collaborative, ils aspirent à choisir leur propre trajectoire professionnelle et à prendre le pouvoir sur leur vie.

 

Le ministère du travail - Crédit photo : Monique - Wikimedia Commons

Le ministère du travail – Crédit photo : Monique – Wikimedia Commons

Pas un jour sans que des pertes massives d’emplois ne soient prédites au motif que le numérique dévore le travail. Dans les faits, ce scénario s’appuie sur plusieurs rapports qui évoquent que, d’ici à 2050 aux États-Unis, 42 % des emplois d’aujourd’hui pourraient être détruits. En France, 50 % des emplois seraient automatisables en 20 ans. La conséquence de ces nouvelles technologiques est la transformation radicale qu’elle impose dans notre relation au travail. Le dernier rapport du Conseil national du numérique, Travail emploi numérique : les nouvelles trajectoires est centré autour de réflexions sur ce thème. Outre l’idée d’un « revenu de base » qui a focalisé l’attention de nombreux commentateurs, ce rapport évoque pour la première fois le statut de ces nouveaux travailleurs aux trajectoires professionnelles hybrides. En clair, un début de reconnaissance pour la génération des « slashers ».

 

Quand slashers rime avec entrepreneurs

En France, ces « slashers » – anglicisme dérivé du signe typographique (/) pour désigner les personnes exerçant au moins deux activités – seraient près de 4,5 millions, soit 16 % des actifs. Le plus souvent par choix, ces pluri-actifs cumulent deux, voire trois emplois. Aujourd’hui, grâce au commerce en ligne et aux plateformes collaboratives, il est facile de devenir chauffeur Uber quand on est cuisinier, pizzaiolo quand on est comptable ou encore producteur de musique quand on est journaliste. Si la dureté du marché de l’emploi n’est pas étrangère à ce phénomène, être slasher est aussi un moyen de se révéler tant sur un plan personnel que professionnel.

Le raisonnement est évident : mieux vaut avoir plusieurs cordes à son arc et ne pas confier son avenir à un seul. Pour ces travailleurs permanents, sorte de « workaholics » volontaires, la deuxième ou troisième activité tient le plus souvent d’une idée personnelle qu’il devient possible de concrétiser. Grâce aux nouveaux outils numériques et à l’économie collaborative, il est facile de vivre sa passion, voire vivre de sa passion. Finalement, les métiers multiples donnent la possibilité d’être un autre, de s’affirmer, se révéler, bref, de recouvrer un sentiment de liberté et de fierté du travail bien fait. Depuis Marx et ses écrits sur la société industrielle du xixe siècle, rien n’a changé : comme il l’analyse dans son Introduction générale à la critique de l’économie politique, « l’indifférence à l’égard du travail particulier correspond à une forme de société dans laquelle le genre déterminé du travail paraît fortuit et par conséquent indifférent. »

 

Expérimenter pour mieux s’insérer

On objectera que la pluriactivité n’existe que par nécessité, du fait que les salaires sont de plus en plus faibles et les contrats de travail de plus en plus courts. Sans doute certains slashers n’ont-ils pas d’autre choix, pour améliorer leurs fins de mois, que de se tourner vers des plateformes collaboratives comme Foulefactory, UberPop ou Taskrabbit… Pour autant, prenons garde de ne pas nous contenter de cette vision négative de l’économie collaborative qui la réduit à une « freelancisation » du monde du travail aboutissant à faire travailler une armée de gens, payés à la tâche et sans couverture sociale. Sans vouloir en ignorer les risques, il est bon de citer au moins un argument en sa faveur.

 

Ce nouveau modèle de l’économie du partage ouvre les champs du possible en matière d’emploi. Dans un pays où les jeunes sont dramatiquement touchés par un chômage structurel sans que les mesures prises par l’État ne contribuent vraiment à leur mettre le pied à l’étrier, cette transformation digitale qui permet de créer sa propre activité rebat en profondeur les cartes des inégalités sociales. Cette économie du partage est une chance pour les jeunes qui ne peuvent pas se prévaloir d’un diplôme ou de stages. Pour une fois, et pour peu que l’on soit débrouillard, curieux et entrepreneur, comme c’est souvent le cas pour ceux issus des banlieues, il devient possible de s’imaginer un avenir. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain au motif que cette forme de précarisation du monde du travail amenée par l’économie du partage ne conduirait qu’à créer un « netariat », nouvelle forme de prolétariat, forcément éloigné du sacro-saint CDI avec tous ses avantages. Puisqu’il est désormais évident que le travail demain ne ressemblera pas à celui d’aujourd’hui, offrons une meilleure reconnaissance légale à ces nouveaux travailleurs, ces slashers et autres entrepreneurs, qui ne se résignent pas et utilisent ces plateformes collaboratives. En effet, au-delà du statut professionnel qu’elles leur procurent, elles leurs ouvrent une porte vers une meilleure intégration sociale et une mobilité professionnelle ultérieure.

 

Gageons que ces enjeux figureront au cœur du projet de loi NOE (Nouvelles opportunités économiques) qu’Emmanuel Macron présentera dans les prochains jours en Conseil des ministres et que ce texte tiendra toutes ses promesses en reconnaissant que la transformation économique liée au numérique et à l’innovation est une opportunité pour tous dès lors que chacun peut y trouver sa place.

Philippe BOYER est l’auteur du livre : Ville connectée = vies transformées – Notre prochaine utopie ? Éditions Kawa, philippeboyer.strikingly.com   Twitter : @Boyer_Ph

 

 

Emoji première langue

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