Human Rights
14H17 - mardi 10 février 2015

Jean-Dominique Journet : « L’aphasie est un handicap très mal connu. Je me bats pour le faire connaître. »

 

Le 11 février 2015 marquera les dix ans de la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Jean-Dominique Journet, ancien médecin généraliste, Président de la Fédération Nationale des Aphasiques de France, s’est rendu au cinquième colloque de la Fondation Jacques Chirac, «Loi Handicap : quel bilan ? Quel futur ? ». Atteint lui aussi d’aphasie, il nous parle de ce handicap méconnu et livre ses attentes après une décennie de promesses.  

 

JD JOURNET

Jean-Dominique Journet, Président de la Fédération Nationale des Aphasiques de France

 

 

Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est l’aphasie ?

L’aphasie est un déficit de la fonction de communication chez des personnes qui ont eu une atteinte cérébrale (Accident Vasculaire Cérébral le plus souvent, traumatismes crâniens, tumeurs cérébrales, causes dégénératives comme la Maladie d’Alzheimer, plus rarement causes infectieuses ou inflammatoires). Le niveau de gravité peut varier, allant d’un léger trouble à une absence totale de communication. Le déficit peut toucher isolément ou conjointement les différentes composantes : parole / langage, compréhension/expression, oral/écrit, lettres/chiffres…

L’aphasie porte atteinte à la vie quotidienne des personnes aphasiques et à celle de leur famille; c’est une nouvelle vie pour eux : comment converser, téléphoner, regarder la télévision, écouter la radio, lire le journal, écrire une liste de courses, des lettres, remplir des formulaires, faire des calculs… Ce handicap se rencontre à tous les âges de la vie, les hommes comme les femmes. Aucune catégorie sociale n’est épargnée.

 

Comment se manifeste votre engagement associatif ?

C’est à la fois un soutien moral auprès des autres aphasiques et de leur proches, un soutien social pour intervenir au nom des aphasiques afin qu’on ne les oublie pas dans la société. Je suis leur porte-parole et je suis prêt à me battre pour défendre leurs droits. J’y travaille sans relâche et je sais que mon exemple permet aussi à beaucoup d’aphasiques de sortir de leur isolement pour s’investir dans les associations, prendre des responsabilités, mener des actions. En agissant pour les autres, on se dépasse soit même et on en tire une réelle fierté et une grande satisfaction.

L’aphasie est malheureusement très mal connue… et je me bats pour faire connaître ce handicap de communication et pour le faire reconnaître.

 

Il s’agit aussi d’un handicap social finalement…

Evidemment ! Quand on est privé de langage, comment faire pour exister dans une société qui ne cesse de perfectionner des outils pour communiquer toujours plus vite et toujours plus loin. Certains de ces outils vont venir en aide aux aphasiques mais il leur faut de l’aide et du temps pour se former à ces nouvelles technologies. Même quand il les maîtrise, un aphasique aura toujours besoin de temps pour réaliser une tâche car chacune des étapes lui demande des efforts de concentration, de recherche du mot juste, de mise en forme du mot à l’écrit …

Dans le monde basé sur la communication, que devient un homme ou une femme tout à coup privés de langage ? Quel regard la société va-t-elle poser sur lui, sur elle ? Quel rôle l’aphasique va-t-il jouer dans la société ?

 

On a vu, ces dernières années, de nombreuses campagnes de sensibilisation au handicap physique, mais très peu au handicap cognitif. Pourquoi s’intéresse-t-on uniquement aux handicaps visibles ?

Le handicap physique, on ne peut pas l’ignorer, il saute aux yeux. Une personne en fauteuil, munie d’une canne blanche ou pas, cela se remarque. Mais quelqu’un qui n’entend pas ce qu’on lui dit (comme une personne sourde) ou qui, comme un aphasique, ne comprend pas ou met du temps à formuler une phrase, ou ne parle pas distinctement, cela reste discret. Pour le remarquer, il faut déjà entreprendre une démarche pour entrer en communication avec l’aphasique. Or, beaucoup d’aphasiques préfèrent rester invisibles et en retrait pour ne pas se mettre en difficulté.

 

La « loi Handicap » célèbre ses dix ans en ce mois de février 2015, quelles avancées peut-on souligner ? A l’opposé, quels regrets, quelles désillusions ?

Difficile de répondre précisément. Ce que je retiens, ce sont les mots de Jean-François Chossy, Député honoraire et rapporteur de la Loi Handicap, qui a pu intervenir à l’introduction du colloque auquel j’ai assisté «Loi Handicap : quel bilan ? Quel futur ? ». Il a rappelé que la loi de 2005 est un texte élaboré avec les associations et les personnes concernées. Selon lui, même le titre est évocateur d’un état d’esprit, puisqu’il s’agit de «  l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Tous les articles de la loi sont tournés vers un seul objectif : donner à la personne handicapée les moyens de vivre son quotidien dans les meilleures conditions. Sauf que, m’a-t-il dit, on s’aperçoit que 10 ans après la promulgation de la loi, la personne handicapée est encore trop souvent regardée avec compassion, alors qu’elle a, comme tout un chacun, besoin de considération. C’est finalement plus un ressenti. Dans la perception du handicap, rien n’a changé.

 

Vous dites régulièrement que « la société française va trop vite pour les handicapés ». Faut-il s’adapter aux exigences de cette société ou faut-il davantage sensibiliser le public pour mettre un frein à cette grande course généralisée ?

La société française, ou étrangère, d’ailleurs va très vite. Les humains sont pris d’une frénésie matérialiste qui leur fait oublier les valeurs humaines essentielles. Du coup les gens qui ne peuvent pas suivre, les enfants, les personnes âgées, les malades, les handicapés deviennent encombrants et restent sur le côté. En changeant radicalement de cap et en remettant de l’ordre dans ses priorités, la société retrouverait sa dignité et se grandirait aux yeux de tous en trouvant des solutions tenant compte des différences.

C’est l’occasion d’insister sur ce plan « Formation des Aidants familiaux des personnes aphasiques » qui est lancé pour 3 ans dans toute la France. Ce sont 60 sessions  de  sensibilisation,  85  sessions  de  formations « Mieux communiquer » et « Mieux vivre » sur l’ensemble du territoire qui sont prévues, auxquelles viendront s’ajouter, et c’est une des nouveautés de ce programme, des modules de formation en ligne qui seront donc accessibles à distance pour les aidants. Ce programme de grande envergure, décliné dans les nombreuses régions de France métropolitaine et d’Outre-mer, favorise des formations de proximité des aidants familiaux des personnes aphasiques et vise la réduction  de leur handicap de  communication ainsi que la réduction des problématiques psychologiques spécifiques des aidants.

 

Quel est, selon vous, le meilleur moyen de parler de handicap à des personnes qui s’intéressent peu, voire pas du tout, à ce qu’implique l’invalidité au quotidien ?

Le handicap ne se raconte pas, il se vit tous les jours et dans de nombreuses situations. Il ne faut donc pas seulement en parler. Il faut faire des sessions de formation grand public, à l’école, au travail, dans des journées centrées sur le handicap. Il faut proposer au non handicapé de se mettre à la place de la personne qui l’est. Dans cette mise en situation, les difficultés quotidiennes se révèlent d’elles-mêmes.

 

 

Propos recueillis par Mélina Huet

Journaliste