Tunisie
08H32 - mercredi 20 février 2013

Danger pour la petite enfance en Tunisie

 

L’endoctrinement « rigoureux » et « virulent » de la religion aux enfants s’installe en Tunisie à travers le développement des  jardins d’enfants coraniques. Ce phénomène pose de graves problématiques sur l’encadrement légal de la petite enfance en Tunisie. L’Etat s’est désengagé  de la petite enfance depuis les années 80 et cela a entraîné l’émergence d’un système à deux vitesses et la privatisation de ce secteur.  Depuis quelques années, on peut observer le développement des écoles coraniques en Tunisie et on assiste aujourd’hui à la multiplication des jardins d’enfants coraniques clandestins qui mettent en avant de graves problèmes sur le plan de la santé et la protection de la petite enfance tunisienne, composée des citoyens de demain.

Sous le régime de Ben Ali, les pratiques religieuses des Tunisiens et  les prêches dans les mosquées étaient rigoureusement encadrés et surveillés par l’Etat au nom de la lutte contre les islamistes et les intégristes. Les femmes voilées étaient interdites dans les administrations publiques et leurs voiles étaient même arrachés sur la voie publique par la police pendant les années de plomb du régime. Ce contrôle extrême a été nuancé et modéré pendant les trois dernières années de la dictature de Ben Ali où il a été possible de constater un nombre plus important de femmes voilées parmi les tunisiennes mais aussi le développement des écoles coraniques, pour adultes et enfants, sous fond de repli identitaire par rapport à la culture occidentale, accentué par la télévision satellitaire  -chaînes des pays du Golfe- présente dans les foyers des Tunisiens et faisant la promotion d’un Islam « rigoureux, wahhabite et fanatique ».

 

« Le vide spirituel  des années Ben Ali,  a  également encouragé l’apparition des jardins d’enfants coraniques » selon Madame Nabiha Tlili,  directrice d’un jardin d’enfant à Tunis et présidente de la chambre syndicale des jardins d’enfants et des crèches en Tunisie interrogée par OI-Opinion Internationale à propos de ces structures. Elle nous a  précisé qu’il est actuellement impossible d’évaluer le nombre exact de ces jardins d’enfants au vu de leur clandestinité. En effet de nombreux jardins d’enfants coraniques ont été ouverts en Tunisie depuis quelques mois sans respecter la réglementation  datant de 2003 concernant l’agrément des structures pour la petite enfance âgée de 2 ans ½ à 6 ans. L’obtention de l’agrément ministériel requiert le respect d’un cahier des charges posant des conditions de forme et de fond absolument pas remplies par les structures clandestines. Ces jardins d’enfants se sont multipliés depuis la révolution de 2011 à travers des associations ayant obtenu un statut légal auprès du Premier Ministère.

Madame Tlili a évoqué l’endoctrinement radical des enfants enrôlés dans ces jardins d’enfants à envergure « religieuse » où les enfants seraient encadrés par des femmes portant le niqab (voile intégral), où la mixité est interdite, et le voile imposé. Selon elle, les enfants sont manipulés à la lumière de la lecture de l’Islam Wahhabite -mouvement politico-religieux fondé en Arabie Saoudite- et fanatique pour relayer des messages à leurs parents. Elle nous a révélé le témoignage de parents d’une enfant encadrée dans un jardin d’enfant à Nabeul et répétant «  je suis l’adapte de Ben Laden et je suis fière de l’être » ou  encore de parents témoignant que leur enfant parlait de la « Torture de la Tombe » pour les mécréants.

 

Par ailleurs Madame Tlilli a insisté sur le phénomène de ces écoles présentes aussi bien dans les quartiers populaires que huppés de la capitale car selon elle les « fanatiques » sont présents dans toutes les catégories sociales. En plus de constituer d’abord un grave problème quant à la protection de la petite enfance, ces écoles constituent par ailleurs une sorte de « concurrence déloyale » car elles n’assument pas les mêmes charges financières et sociales, étant donné que les encadrantes (non professionnelles de la petite enfance) ne sont pas déclarées.

 

 

Les graves et sérieuses conséquences sur la santé de la petite enfance

Le syndicat de la petite enfance et d’autres membres de la société civile ont tenté d’alerter à plusieurs reprises la Ministre Sihem Badi sur les graves conséquences sur la santé mentale et physique des enfants concernés et la nécessité de fermer ces structures illégales.

Le  docteur Moez Chérif, chirurgien pédiatre et président de l’association tunisienne pour

les droits de l’enfant nous a révélé avoir reçus des enfants concernés par de graves symptômes suite à leur présence dans ces jardins d’enfants dits coraniques. Il nous a  parlé d’enfants qui se plaignent de ne plus voir et qui font des cauchemars pendant leur sommeil. Selon lui ces graves symptômes s’expliquent par le fait que  l’on interdit aux enfants  de dessiner des humains ou encore de dessiner les yeux des animaux dans ces écoles. Or le docteur nous a expliqué que le dessin permet à l’enfant son développement psychomoteur et constitue une nécessité permettant de l’évaluer. Ainsi ces enfants manifestent des troubles dans la représentation corporelle mais aussi  un déséquilibre psychologique, des troubles de l’usage de leurs sens et des troubles du sommeil causés par l’angoisse.

 

La négligence des autorités et l’urgence d’agir pour la protection de la petite enfance

 

Madame Tlili a souligné la négligence des autorités et la vaine explication donnée par la Ministre des affaires de la Femme et de l’Enfance, Sihem Badi, pour justifier l’impossibilité de fermer ses structures : Madame Sihem Badi lui a avancé que des failles dans la loi empêcheraient la fermeture de ces jardins d’enfants illégaux et qu’il est impossible de retirer l’agrément à des structures, puisqu’elles n’en ont pas obtenu du Ministère avant d’ouvrir. Selon la Ministre toujours, pas moins de six ministères seraient actuellement mobilisés pour remédier à cette problématique. OI-Opinion Internationale a contacté l’attaché de presse de la Ministre Sihem Badi afin de s’assurer de sa position et lui demander quelles sont les actions entreprises pour remédier à ce sérieux problème : nous avons ainsi pu obtenir une réponse de Monsieur Mohamed Ali Khaldi, chargé de mission et du suivi de l’activité gouvernementale et la réforme administrative, qui nous a expliqué que la Ministre Sihem Badi a été sensibilisée à ce problème en novembre dernier et qu’elle a pris position en rappelant l’obligation de se conformer aux programmes d’éducation homologués par l’Etat dans les structures accueillant la petite enfance et en condamnant les actes contre l’enfance et les préjudices subis par cet « embrigadement ». Il nous a confirmé qu’une commission interministérielle a été formée à la demande de la Ministre pour proposer des solutions et demander l’adoption de mesures par le gouvernement afin de pouvoir agir. Cette commission s’est réunie en décembre 2012 et le ministère est à ce jour en en attente  de l’accord du cabinet du premier ministre afin de réunir une deuxième commission et prendre des mesures. Enfin il nous a précisé qu’il était impossible d’intervenir pour fermer ces jardins d’enfants clandestins car ils sont gérés par des associations dans des lieux relevant de la propriété privée.

 

Les différentes menaces posées par les jardins d’enfants coraniques mettent en évidence  la volonté d’importer l’Islam wahhabite dans la société tunisienne. L’identité et l’histoire des Tunisiens entrent en contradiction avec ces pratiques fanatiques et révèlent le souhait de certaines composantes tunisiennes et  étrangères de formater les prochaines générations et donc les futurs citoyens tunisiens à la lumière d’une lecture extrêmement obscure du dogme religieux. Les autorités tunisiennes doivent agir de manière imminente pour préserver les petits tunisiens concernés du « viol de leur enfance ».

 

 

Sarah Anouar, correspondante à Tunis.