Tunisie
11H56 - mercredi 16 janvier 2013

La nouvelle instance chargée des prochaines élections, une victoire en demi-teinte ?

 

Pierre angulaire de la prochaine étape de la transition démocratique post-révolutionnaire, la création de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections, ISIE deuxième du nom, a pris son temps. Malheureusement, les crises de l’automne 2012 qui ont rythmé le calendrier politique ont fait passer presque inaperçue l’adoption de la loi organique, mettant en place la nouvelle instance.

Pour ce projet de loi organique de 36 articles, un peu plus d’un mois d’examen a été nécessaire pour voir aboutir son adoption le 12 décembre dernier. Si certains élus sont satisfaits d’être arrivés au bout de cette tâche, des commentateurs doutent de l’indépendance réelle de l’instance en raison de la composition de la commission chargée de nommer les membres de l’ISIE.

Par ailleurs, alors que le vote sur le projet de loi de l’ISIE était en cours d’étude, une campagne a été lancée contre l’ISIE et en particulier son ancien président Kamel Jendoubi. Le 3 décembre 2012, suite à une fuite du rapport préliminaire de la cour des comptes, une enquête a ainsi été ouverte sur de supposés « dépassements d’ordre financier et administratif » évoqués dans ledit rapport.

 

Un calendrier rythmé par les crises

Le projet a été une première fois retardé par la sanglante répression des manifestations dans la ville de Siliana du 28 novembre au 1er décembre 2012. Preuve de la tension régnant à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) à cette période, une altercation a opposé dans les couloirs, le 29 novembre 2012, Néjib Mrad (Ennahdha) et Issam Chebbi (bloc démocrate) sur ce sujet brûlant, alors que l’absence de quorum empêche l’ANC de continuer à examiner la loi devant créer l’ISIE.

La situation revenue à un semblant de calme à Siliana (après plus de 200 blessés), de violents affrontements ont éclaté le 4 décembre devant le siège de l’UGTT à Tunis, venant perturber un peu plus l’examen de la loi par les élus. L’opposition décide d’ailleurs de boycotter dans la foulée les travaux de l’Assemblée pendant trois jours, en signe de solidarité avec la centrale syndicale.

 

Une instance réellement indépendante ?

L’adoption de la loi à une large majorité de 120 voix favorables (5 voix contre et 8 abstentions) témoigne mal des longues discussions qui ont eu lieu sur le texte. Plusieurs points ont particulièrement cristallisé les débats, notamment celui de la nomination des membres du conseil de l’ISIE par une commission spéciale, certains parlementaires redoutant une mainmise du parti islamiste Ennahdha.

L’article 6 de la loi stipule que cette commission spéciale formée au sein de l’ANC « est composée sur la base de la représentation proportionnelle, à raison d’un membre pour chaque dix députés, et aux plus forts le reste ». Autrement dit, un parti en position dominante à l’Assemblée disposera mécaniquement d’un poids plus important au sein de ce comité, une menace potentielle sur l’indépendance de l’ISIE.

En l’état des forces, le parti Ennahdha serait assuré d’avoir 9 des 22 sièges de cette commission. En y ajoutant les représentants de ses deux alliés, le CPR (1 à 2 sièges) et Ettakatol (1 siège), la coalition de la Troïka (coalition actuelle des trois partis) obtiendrait la majorité au sein de la commission spéciale, loin devant le premier groupe d’opposition, le Bloc démocrate, qui obtiendrait 3 à 4 sièges.

Cette majorité est toutefois à relativiser, ce qui explique peut-être que l’article 6 final n’ait pas été profondément revu par rapport au projet initial. En effet, des dissensions sont apparues ces dernières semaines entre Ennahdha et ses alliés, notamment le CPR du président Moncef Marzouki. De plus, quatre élus d’Ettakatol ont fait défection vers le bloc démocratique, retirant ainsi un siège au parti dans la commission spéciale. La courte majorité du parti islamiste est donc fragile, un passage en force semblerait donc hasardeux.

 

La société civile maintenue à l’écart des travaux sur l’ISIE

Des critiques, émanant cette fois de la société civile, ont pointé des critères peu clairs pour la nomination du conseil de l’ISIE et l’absence de parité dans la composition du conseil de l’ISIE dans le projet de loi. Finalement, la parité sera inscrite dans l’article 6 pour l’établissement des listes de choix des candidats à chacun des neuf postes du Conseil de l’ISIE, mais cela ne garantit pas la parité dans la désignation finale des membres de ce conseil. Autre concession par rapport au projet de loi, celui de la publication au JORT (Journal Officiel de la république Tunisienne) de la grille d’évaluation au moment de dépouiller les candidatures, dans un souci de transparence.

D’autres contributions de la société civile n’ont en revanche pas été retenues. Une proposition de loi de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE) prévoyant une représentation paritaire de tous les groupes parlementaires est restée lettre morte, tout comme celle élaborée conjointement par l’UGTT, le conseil de l’ordre des avocats tunisiens et la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH).

 

L’argent, nerf de la guerre et clé de l’indépendance

Parmi les autres sujets abondamment débattus figurent la présence des observateurs étrangers et surtout le financement de l’instance. Dans l’article 3, le projet de loi attribue entre autres missions à l’ISIE celle d’accréditer les observateurs étrangers, de quoi créer une polémique, certains élus estimant que la souveraineté de la Tunisie serait remise en cause par la présence d’observateurs internationaux. Le texte final conservera néanmoins l’article en l’état, permettant ainsi à l’ISIE de nommer des observateurs internationaux lors des prochaines élections.

L’article 20 traitant du financement de l’instance suscite en revanche l’inquiétude. Selon ce texte, l’ISIE n’est pas maître de son budget puisque la loi stipule que celui-ci doit être soumis au gouvernement pour avis, avant sa transmission à l’ANC pour approbation. Or, ce budget est la seule ressource de l’ISIE et doit servir à financer sa mission. Le contrôle ainsi instauré sur les finances de l’Instance fait craindre une perte d’indépendance. Il faut ajouter à ce risque d’entrave la faible autorité accordée aux  différents ministères pour la mise à disposition de moyens humains et matériels nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

 

Rached Cherif