Edito
06H10 - mardi 18 septembre 2012

Faut-il censurer Google ?

 

Comment un film débile, « L’innocence des musulmans », a-t-il pu tuer des femmes et des hommes ?

Certes, la liberté d’expression est le fondement de la démocratie. Inutile de lire Spinoza ou le 1er amendement de la Constitution américaine pour s’en convaincre. Celles et ceux qui désirent restreindre cette liberté, plus que d’autres droits, qu’ils soient religieux ou défenseurs d’une vérité quelle qu’elle fut, nous mèneront toujours vers des régimes plus autoritaires.

Et c’est bien ce que prônent les salafistes et autres auteurs de violences ces derniers jours en réponse à la diffusion du film « l’innocence des musulmans ». Que des personnes aient été tuées (plus d’une dizaine dans le monde arabo-musulman) en ricochet à ce film idiot, bête et méchant est dramatique et disproportionné.

Ceci dit, il y a deux responsables dans cette affaire qui aggrave les tensions entre civilisations.

Google tout d’abord. Le moteur de recherche (et sa filiale Youtube) ne peut se cacher derrière les législations nationales pour décider de bloquer ou de maintenir la diffusion de ce film, bref pour s’innocenter de la responsabilité des contenus qu’il diffuse.

En effet, si chacun a le droit de s’exprimer (Internet a libéré les paroles racistes, antisémites, haineuses et eschatologiques de toutes sortes), les diffuseurs, ceux qui offrent les canaux de diffusion de ces paroles ont d’autres responsabilités que leurs auteurs. Google est devenu un acteur planétaire mondial et a, comme toute entité d’envergure, une responsabilité politique et morale dans les informations et gestes que l’entreprise véhicule ou relaie.

Face aux dommages causés par ce film débile, Google aurait très bien pu bloquer les images et laisser son auteur se débrouiller pour le diffuser comme il veut.

Seconds responsables : les musulmans, attachés au sacré, devraient s’ouvrir davantage aux lois de la liberté s’ils veulent que le printemps arabe accouche de régimes démocratiques et non de nouvelles dictatures. Et on ne sait encore si c’est le chemin qu’ils prennent. Même la Tunisie, le plus libéral des pays arabes, a vu des artistes et des œuvres d’art respectueuses et de qualité, censurées par la pression poplaire ou le pouvoir islamiste.

Pendant des siècles, les chrétiens poursuivaient comme hérétiques et criminels les libre-penseurs et particulièrement les humoristes. Dans le fameux roman « le nom de la rose » de Umberto Ecco, c’est le livre perdu d’Aristote consacré au rire que les tenants de l’Eglise veulent interdire à la lecture des fidèles. La démocratie a réellement prospéré à l’issue de ce combat gagné par « les libéraux ».

Il faudra bien que l’Islam, et les musulmans, qui ont déjà connu des périodes de tolérance vis-à-vis de l’autre (et qui coïncidaient avec une période de lumières), acceptent la critique, par exemple la représentation du sacré par celles et ceux qui ne sont pas musulmans ou le droit à se convertir et à changer de foi. Les caricatures de Mahomet dans le journal Charlie Hebdo étaient pas exemple un acte de liberté en même temps que de respect vis-à-vis de tous publics. Cela s’appelle l’humour.

En revanche, personne n’a d’obligation à accepter ni  à diffuser la bêtise, la méchanceté, le racisme et l’intolérance que véhiculent des films comme « L’innocence des musulmans ». Tout est affaire de mesure et de proportion.

Michel Taube