Sauvons M. Cheikh
14H59 - mardi 10 février 2015

L’érudit mauritanien Muhammad Al-Mukhtar Al-Shinqiti dénonce tout recours à l’apostasie au nom de l’Islam

 

 

Muhammad al-Mukhtar al-Shinqiti est né en 1966 en Mauritanie. Après avoir effectué des études en jurisprudence islamique et en traduction (de l’arabe en français et en anglais), il a travaillé comme professeur d’éducation islamique et littérature arabe dans plusieurs lycées mauritaniens. Au cours de cette période, entre 1989 et 1996, il était également éditeur, traducteur de journaux mauritaniens (al-Kalam, al-Islah, al-Diyaa). Entre 1997 et 1998, il a travaillé à Sanaa (Yémen), comme professeur des Exégèses coraniques et Grammaire arabe à l’université al-Eman. Entre 1999 et 2000, il a travaillé comme professeur des Principes islamiques et langue arabe à Islamic Center (Washington DC), à American Open University (Virginia), et Islamic Center of Modesto (California). Entre 2001 et 2003, il a été directeur de Islamic Center of South Plains de Lubbock (Texas). Il a dirigé également le site Internet Al-Fiqh al-Syasi magazine (www.fiqhsyasi.com). Il a publié plusieurs livres sur la pensée politique en islam, la littérature islamique, les mouvements islamiques et le dialogue entre le monde islamique et l’Occident.

Il écrit dans les sites Internet aljazeera.net et fiqhsyasi. [www.islamopediaonline.org]

Voir aussi : https://www.facebook.com/pages/Translations-of-Sh-Mukhtar-Ash-Shanqiti-lectures/578746982209072]

 

Muhammad al-Mukhtar al-Shinqiti (2011) [http://klmty.net/301599]

Muhammad al-Mukhtar al-Shinqiti (2011)
[http://klmty.net/301599]

 

Le 22 juin 2014, l’érudit publie sur son compte Twitter, en arabe, le commentaire suivant qui apporte un appui religieux à la demande de libération de Mohamed Cheikh.

Il commence par la Sourate 2 du Coran, La Génisse [al-bakarat], qui semble dater de juillet 622, avant la bataille de Badr, en 624. Elle a été proclamée, dans sa plus grande partie, à Médine ; à cette époque, l’islam est devenu une institution dotée d’un culte nouveau, en arabe. Muhammad al-Mukhtar al-Shinqiti, fonde son argumentation sur le Verset 256 que voici :

« Pas de contrainte en créance.

La rectitude est distincte du fourvoiement.

Qui efface Tâghût et adhère à Allah

A déjà saisi l’anse la plus solide :

Elle ne se rompra pas,

Allah, entendeur, savant. »

[Le Coran, trad. André Chouraqui]

Selon le commentaire de Chouraqui, ce verset « fonde la liberté donnée aux juifs et aux chrétiens de persévérer dans leurs convictions. Rien ne doit empêcher la réalisation des droits et des devoirs du pacte d’Allah. » (Le Coran, Laffont, 1990 : 101).

Muhammad al-Mukhtar al-Shinqiti développe alors trente arguments explicites, que nous publions dans leur intégralité, suivis de l’original en arabe.

La sanction de l’apostasie relève de l’au-delà non de la vie ici-bas,
 une trentaine d’observations à ce sujet

1- S’il est un grand principe, aujourd’hui délaissé par les musulmans, depuis des siècles, c’est bien le principe de l’interdiction d’imposer un culte à quiconque. Ainsi la porte du repentir à Dieu demeurera ouverte aux humains tant qu’il en existera, et la religion restera du ressort de Dieu.

2- Le verset « Il n’y a pas de contrainte en religion » a été révélé dans l’une des formulations les plus extensives et les plus absolues en langue arabe. Elle a combiné l’indéterminé à la négation et à l’interdiction. Ce qui englobe, ainsi, toutes les circonstances dans leur commencement, tout comme leur continuité et leur fin.

3- Étrange est celui qui nous demande : qu’avez-vous fait d’un orphelin ? (hadith rapporté par une seule personne) et ne se demande pas, lui ce qu’il fait, d’un verset pourtant explicite « Il n’y a pas de contrainte en religion » !!!

4- L’explicite (Le Coran) est prioritaire par rapport au douteux (hadith orphelin) et ce pour tout être intelligent ; ne parlons donc pas des « savants ». De même que privilégier la règle de l’explicite (Le Coran) en cas de contradiction est une obligation. Hors il n’est de contradiction plus grande qu’un jugement impliquant la vie et la mort.

5- La distinction entre pardonner d’abord et tuer enfin n’est pas naturelle et constitue une contradiction. Rappelons ici que le verset est formulé de la manière la plus extensive et la plus absolue en langue arabe.

6- Lequel des deux actes préférez-vous présenter devant Allah : Tuer au nom d’un hadith orphelin ou donner la vie par un verset explicite ?

7- Tuer l’apostat n’est que l’une des catastrophes de l’exégèse auxquelles le délaissement du Coran et la mise de la loi au service de l’État nous ont conduit.

8- Celui qui annonce publiquement son apostasie dans nos sociétés doit nous conduire à prêcher publiquement son retour à l’Islam. Cela ne nous donne pas le droit de le tuer car notre glorieux et majestueux Dieu dit « Il n’y a pas de contrainte en religion ».

9- Si, ce qui ne s’était pas passé avec les rebelles de l’époque des Compagnons du prophète relevait de sanctions religieuses, la sanction n’aurait pas été possible sans procès ; or, il n’y eu jamais de procès pour apostasie à l’époque du prophète et/ou de ses compagnons.

10- L’apostasie est affaire une purement intellectuelle. Elle ne constitue pas une subversion sauf si l’apostat verse dans le prosélytisme auquel cas nous devons le combattre par le discours (argument et contre-argument).

11- La distinction entre la mécréance par naissance et la mécréance par apostasie nous conduit à faire de la naissance dans la croyance un délit.

12- N’est-elle pas étrange cette logique d’exégètes qui croient en la contrainte de culte pour les musulmans et en sa liberté pour les non musulmans !!!!

13- Les guerres de Abou Bakr As-Siddiq [vers 573-634, règne entre 632-634], premier khalife du prophète, étaient une réplique à une rébellion armée et au refus de payer les taxes (zakat) qui revenaient aux pauvres. Elles n’ont jamais eu pour objectifs de ramener quiconque à l’islam par la contrainte.

14- L’apostasie est le péché le plus capital en islam puisqu’elle détruit la base de la religion chez l’apostat. L’islam n’y a pourtant pas prévu une sanction relevant de la vie ici-bas car la contrainte engendre l’hypocrisie au lieu de la foi.

15- Il a été prouvé que Oumar ibn Al-Khattab (deuxième khalife) [584-644, règne 634-644] a juger que l’apostat rebelle ne doit pas être tué après qu’il soit maîtrisé par les musulmans. Ce jugement est rendu par Oumar dans l’affaire de la rébellion du petit group des Beni Bakr Ibn Wael.

16- Oumar disait : « que je les prenne dans la paix m’est préférable à tous les trésors de la terre, je leur proposait la porte par laquelle ils étaient sortis… »

17- Toute hypocrisie est maléfique, elle l’est d’ailleurs plus que la mécréance assumée.

18- Al Thawri et Al-Nakhi, deux des plus grands savants de l’époque [ultérieure aux] Compagnons, ont tous les deux récusé la peine de mort pour l’apostat et ont estimé qu’il doit être invité au repentir sans contrainte de délais.

19- La règle dominante dans l’école sunnite du Hanafisme est que la femme apostat n’était pas tuée car la femme à l’époque n’était pas combattante. Il s’agit-là d’une distinction heureuse entre la rébellion armée et la rébellion intellectuelle (l’apostasie pacifique).

20- Oumar ibn Al-Khattab a condamné l’apostat à la prison. Ce qui veut dire qu’il considère que la sanction de l’apostasie ne relève pas des peines mais plutôt de la correction qui est laissé en islam à l’appréciation du juge.

21- Exiger le repentir sous la contrainte n’est qu’une interprétation qui n’est citée par aucun texte. Prêcher par la sagesse et l’homélie positive est mieux indiqué à l’endroit de l’apostat et du mécréant.

22- L’apostasie est de deux types : intellectuelle et armée. La première ne relève d’aucune sanction dans le code pénal musulman tandis que la seconde relève de la correction que l’autorité, juste, doit apprécier et appliquer.

23- La sanction de l’apostasie armée est justifiée par le délit de la subversion et de la division du rang des musulmans (la rébellion) et non par le changement de culte.  

24- La sanction du reniement de la vraie religion relève du jugement dernier auprès d’Allah. Elle est plus grave que toute sanction que l’on puisse imaginer, mais il n’y a pas de sanction relevant des humains dans la vie ici-bas.

25- Le terme « reniement » était, de l’époque du prophète, utilisé dans un sens très large ne couvrant pas seulement l’apostasie qui s’est rependu par la suite dans les livres d’exégèse. Exemple : « Quant à Selema, il a renié son exode. »

26- Combattre l’apostat armé ne veut pas dire qu’il faut tuer l’apostat pacifique. Cette distinction, ancienne a été faite par ibn Hazm qui l’avait attribué à une frange de savants. 

27- Il n’a jamais été rapporté, que le khalife Abou Bakr a eu à maîtriser un apostat ne refusant pas le repentir et qui s’était repenti et qu’il l’aurait laissé ou qui aurait refusé le repentir et que le khalife l’aurait tué. C’est ce que les savants de la loi islamique n’ont jamais prouvé selon ibn Hazm.

28- Dire que la contrainte interdite en religion ne concerne que l’adoption initiale et qu’elle n’englobe pas le reniement de l’islam est tendancieux

29- L’hypocrite connu [est] en moins nocif que l’inconnu. 

30- En conclusion, il n’y a pas contrainte en religion ni au début, ni dans la continuité encore moins à la fin et il n’y a pas de sanction humaine pour l’apostasie. Revenez donc à votre Saint Livre et laissez les petites déviations.